Robinson Crusoe. II. Defoe Daniel

Robinson Crusoe. II - Defoe Daniel


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demander du secours. Nous résolûmes donc aussi de faire feu touts ensemble sur l'ours, afin de délivrer mon serviteur. J'étais cependant fâché de tout cœur contre lui, pour avoir ainsi attiré la bête sur nous lorsqu'elle allait à ses affaires par un autre chemin. J'étais surtout en colère de ce qu'il l'avait détournée et puis avait pris la fuite. Je l'appelai: « – Chien, lui dis-je, est-ce là nous faire rire? Arrive ici et reprends ton bidet, afin que nous puisions faire feu sur l'animal.» – Il m'entendit et cria: – «Pas tirer! pas tirer! rester tranquille: vous avoir beaucoup rire.» – Comme l'agile garçon faisait deux enjambées contre l'autre une, il tourna tout-à-coup de côté, et, appercevant un grand chêne propre pour son dessein, il nous fit signe de le suivre; puis, redoublant de prestesse, il monta lestement sur l'arbre, ayant laissé son fusil sur la terre, à environ cinq ou six verges plus loin.

      L'ours arriva bientôt vers l'arbre. Nous le suivions à distance. Son premier soin fut de s'arrêter au fusil et de le flairer; puis, le laissant là, il s'agrippa à l'arbre et grimpa comme un chat, malgré sa monstrueuse pesanteur. J'étais étonné de la folie de mon serviteur, car j'envisageais cela comme tel; et, sur ma vie, je ne trouvais là-dedans rien encore de risible, jusqu'à ce que, voyant l'ours monter à l'arbre, nous nous rapprochâmes de lui.

      Quand nous arrivâmes, VENDREDI avait déjà gagné l'extrémité d'une grosse branche, et l'ours avait fait la moitié du chemin pour l'atteindre. Aussitôt que l'animal parvint à l'endroit où la branche était plus faible, – «Ah! nous cria VENDREDI, maintenant vous voir moi apprendre l'ours à danser.» – Et il se mit à sauter et à secouer la branche. L'ours, commençant alors à chanceler, s'arrêta court et se prit à regarder derrière lui pour voir comment il s'en retournerait, ce qui effectivement nous fit rire de tout cœur. Mais il s'en fallait de beaucoup que VENDREDI eût fini avec lui. Quand il le vit se tenir coi, il l'appela de nouveau, comme s'il eût supposé que l'ours parlait anglais: – «Comment! toi pas venir plus loin? Moi prie toi venir plus loin.» – Il cessa donc de sauter et de remuer la branche; et l'ours, juste comme s'il comprenait ce qu'il disait, s'avança un peu. Alors VENDREDI se reprit à sauter, et l'ours s'arrêta encore.

      Nous pensâmes alors que c'était un bon moment pour le frapper à la tête, et je criai à VENDREDI de rester tranquille, que nous voulions tirer sur l'ours; mais il répliqua vivement: – «O prie! O prie! pas tirer; moi tirer près et alors.» – Il voulait dire tout-à-l'heure. Cependant, pour abréger l'histoire, VENDREDI dansait tellement et l'ours se posait d'une façon si grotesque, que vraiment nous pâmions de rire. Mais nous ne pouvions encore concevoir ce que le camarade voulait faire. D'abord nous avions pensé qu'il comptait renverser l'ours; mais nous vîmes que la bête était trop rusée pour cela: elle ne voulait pas avancer, de peur d'être jetée à bas, et s'accrochait si bien avec ses grandes griffes et ses grosses pattes, que nous ne pouvions imaginer quelle serait l'issue de ceci et où s'arrêterait la bouffonnerie.

      Mais VENDREDI nous tira bientôt d'incertitude. Voyant que l'ours se cramponnait à la branche et ne voulait point se laisser persuader d'approcher davantage: – «Bien, bien! dit-il, toi pas venir plus loin, moi aller, moi aller; toi pas venir à moi, moi aller à toi.» – Sur ce, il se retire jusqu'au bout de la branche, et, la faisant fléchir sous son poids, il s'y suspend et la courbe doucement jusqu'à ce qu'il soit assez près de terre pour tomber sur ses pieds; puis il court à son fusil, le ramasse et se plante là.

      – Eh bien, lui dis-je, VENDREDI, que voulez-vous faire maintenant? Pourquoi ne tirez-vous pas?» – «Pas tirer, répliqua-t-il, pas encore; moi tirer maintenant, moi non tuer; moi rester, moi donner vous encore un rire.» – Ce qu'il fit en effet, comme on le verra tout-à-l'heure. Quand l'ours vit son ennemi délogé, il déserta de la branche où il se tenait, mais excessivement lentement, regardant derrière lui à chaque pas et marchant à reculons, jusqu'à ce qu'il eût gagné le corps de l'arbre. Alors, toujours l'arrière-train en avant, il descendit, s'agrippant au tronc avec ses griffes et ne remuant qu'une patte à la fois, très-posément. Juste à l'instant où il allait appuyer sa patte de derrière sur le sol, VENDREDI s'avança sur lui, et, lui appliquant le canon de son fusil dans l'oreille, il le fit tomber roide mort comme une pierre.

      Alors le maraud se retourna pour voir si nous n'étions pas à rire; et quand il lut sur nos visages que nous étions fort satisfaits, il poussa lui-même un grand ricanement, et nous dit: «Ainsi nous tue ours dans ma contrée.» – «Vous les tuez ainsi? repris-je, comment! vous n'avez pas de fusils?» – «Non, dit-il, pas fusils; mais tirer grand beaucoup longues flèches.»

      Ceci fut vraiment un bon divertissement pour nous; mais nous nous trouvions encore dans un lieu sauvage, notre guide était grièvement blessé, et nous savions à peine que faire. Les hurlements des loups retentissaient toujours dans ma tête; et, dans le fait, excepté le bruit que j'avais jadis entendu sur le rivage d'Afrique, et dont j'ai dit quelque chose déjà, je n'ai jamais rien ouï qui m'ait rempli d'une si grande horreur.

      Ces raisons, et l'approche de la nuit, nous faisaient une loi de partir; autrement, comme l'eût souhaité VENDREDI, nous aurions certainement dépouillé, cette bête monstrueuse de sa robe, qui valait bien la peine d'être conservée; mais nous avions trois lieues à faire, et notre guide nous pressait. Nous abandonnâmes donc ce butin et poursuivîmes notre voyage.

      La terre était toujours couverte de neige, bien que moins épaisse et moins dangereuse que sur les montagnes. Des bêtes dévorantes, comme nous l'apprîmes plus tard, étaient descendues dans la forêt et dans le pays plat, pressées par la faim, pour chercher leur pâture, et avaient fait de grands ravages dans les hameaux, où elles avaient surpris les habitants, tué un grand nombre de leurs moutons et de leurs chevaux, et même quelques personnes.

      Nous avions à passer un lieu dangereux dont nous parlait notre guide; s'il y avait encore des loups dans le pays, nous devions à coup sûr les rencontrer là. C'était une petite plaine, environnée de bois de touts les côtés, et un long et étroit défilé où il fallait nous engager pour traverser le bois et gagner le village, notre gîte.

      Une demi-heure avant le coucher du soleil nous entrâmes dans le premier bois, et à soleil couché nous arrivâmes dans la plaine. Nous ne rencontrâmes rien dans ce premier bois, si ce n'est que dans une petite clairière, qui n'avait pas plus d'un quart de mille, nous vîmes cinq grands loups traverser la route en toute hâte, l'un après l'autre, comme s'ils étaient en chasse de quelque proie qu'ils avaient en vue. Ils ne firent pas attention à nous, et disparurent en peu d'instants.

      Là-dessus notre guide, qui, soit dit en passant, était un misérable poltron, nous recommanda de nous mettre en défense; il croyait que beaucoup d'autres allaient venir.

      Nous tînmes nos armes prêtes et l'œil au guet; mais nous ne vîmes plus de loups jusqu'à ce que nous eûmes pénétré dans la plaine après avoir traversé ce bois, qui avait près d'une demi-lieue. Aussitôt que nous y fûmes arrivés, nous ne chômâmes pas d'occasion de regarder autour de nous. Le premier objet qui nous frappa ce fut un cheval mort, c'est-à-dire un pauvre cheval que les loups avaient tué. Au moins une douzaine d'entre eux étaient à la besogne, on ne peut pas dire en train de le manger, mais plutôt de ronger les os, car ils avaient dévoré toute la chair auparavant.

      Nous ne jugeâmes point à propos de troubler leur festin, et ils ne prirent pas garde à nous. VENDREDI aurait bien voulu tirer sur eux, mais je m'y opposai formellement, prévoyant que nous aurions sur les bras plus d'affaires semblables que nous ne nous y attendions. – Nous n'avions pas encore traversé la moitié de la plaine, quand, dans les bois, à notre gauche, nous commençâmes à entendre les loups hurler d'une manière effroyable, et aussitôt après nous en vîmes environ une centaine venir droit à nous, touts en corps, et la plupart d'entre eux en ligne, aussi régulièrement qu'une armée rangée par des officiers expérimentés. Je savais à peine que faire pour les recevoir. Il me sembla toutefois que le seul moyen était de nous serrer touts de front, ce que nous exécutâmes sur-le-champ. Mais, pour qu'entre les décharges nous n'eussions point trop d'intervalle, je résolus que seulement de deux hommes l'un ferait feu, et que les autres, qui n'auraient pas tiré, se tiendraient prêts à leur faire essuyer immédiatement une seconde fusillade s'ils continuaient d'avancer sur nous; puis que ceux qui auraient lâché leur


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