Le vicomte de Bragelonne, Tome II.. Dumas Alexandre
Et, en effet, avec son sourire narquois, Malicorne tira de sa poche une lettre dont la Montalais s'empara comme d'une proie et qu'elle lut avec avidité.
À mesure qu'elle lisait, son visage s'éclairait.
– Malicorne! s'écria-t-elle après avoir lu, en vérité vous êtes un bon garçon.
– Pourquoi cela, mademoiselle?
– Parce que vous auriez pu vous faire payer cette commission et que vous ne l'avez pas fait.
Et elle éclata de rire, croyant décontenancer le clerc. Mais
Malicorne soutint bravement l'attaque.
– Je ne vous comprends pas, dit-il.
Ce fut Montalais qui fut décontenancée à son tour.
– Je vous ai déclaré mes sentiments, continua Malicorne; vous m'avez dit trois fois en riant que vous ne m'aimiez pas; vous m'avez embrassé une fois sans rire, c'est tout ce qu'il me faut.
– Tout? dit la fière et coquette Montalais d'un ton où perçait l'orgueil blessé.
– Absolument tout, mademoiselle, répliqua Malicorne.
– Ah!
Ce monosyllabe indiquait autant de colère que le jeune homme eût pu attendre de reconnaissance. Il secoua tranquillement la tête.
– Écoutez, Montalais, dit-il sans s'inquiéter si cette familiarité plaisait ou non à sa maîtresse, ne discutons point là- dessus.
– Pourquoi cela?
– Parce que, depuis un an que je vous connais, vous m'eussiez mis à la porte vingt fois si je ne vous plaisais pas.
– En vérité! À quel propos vous eussé-je mis à la porte?
– Parce que j'ai été assez impertinent pour cela.
– Oh! cela, c'est vrai.
– Vous voyez bien que vous êtes forcée de l'avouer, fit
Malicorne.
– Monsieur Malicorne!
– Ne nous fâchons pas; donc, si vous m'avez conservé, ce n'est pas sans cause.
– Ce n'est pas au moins parce que je vous aime! s'écria
Montalais.
– D'accord. Je vous dirai même qu'en ce moment je suis certain que vous m'exécrez.
– Oh! vous n'avez jamais dit si vrai.
– Bien! Moi, je vous déteste.
– Ah! je prends acte.
– Prenez. Vous me trouvez brutal et sot; je vous trouve, moi, la voix dure et le visage décomposé par la colère. En ce moment, vous vous jetteriez par cette fenêtre plutôt que de me laisser baiser le bout de votre doigt; moi, je me précipiterais du haut du clocheton plutôt que de toucher le bas de votre robe. Mais dans cinq minutes vous m'aimerez, et moi, je vous adorerai. Oh! c'est comme cela.
– J'en doute.
– Et moi, j'en jure.
– Fat!
– Et puis ce n'est point la véritable raison; vous avez besoin de moi, Aure, et moi, j'ai besoin de vous. Quand il vous plaît d'être gaie, je vous fais rire; quand il me sied d'être amoureux, je vous regarde. Je vous ai donné une commission de dame d'honneur que vous désiriez; vous m'allez donner tout à l'heure quelque chose que je désirerai.
– Moi?
– Vous! mais en ce moment, ma chère Aure, je vous déclare que je ne désire absolument rien; ainsi, soyez tranquille.
– Vous êtes un homme odieux, Malicorne; j'allais me réjouir de cette commission, et voilà que vous m'ôtez toute ma joie.
– Bon! il n'y a point de temps perdu; vous vous réjouirez quand je serai parti.
– Partez donc, alors…
– Soit; mais, auparavant, un conseil…
– Lequel?
– Reprenez votre belle humeur; vous devenez laide quand vous boudez.
– Grossier!
– Allons, disons-nous nos vérités tandis que nous y sommes.
– Ô Malicorne! ô mauvais coeur!
– Ô Montalais! ô ingrate!
Et le jeune homme s'accouda sur l'appui de la fenêtre.
Montalais prit un livre et l'ouvrit.
Malicorne se redressa, brossa son feutre avec sa manche et défripa son pourpoint noir.
Montalais, tout en faisant semblant de lire, le regardait du coin de l'oeil.
– Bon! s'écria-t-elle furieuse, le voilà qui prend son air respectueux. Il va bouder pendant huit jours.
– Quinze, mademoiselle, dit Malicorne en s'inclinant.
Montalais leva sur lui son poing crispé.
– Monstre! dit-elle. Oh! si j'étais un homme!
– Que me feriez-vous?
– Je t'étranglerais!
– Ah! fort bien, dit Malicorne; je crois que je commence à désirer quelque chose.
– Et que désirez-vous, monsieur le démon! Que je perde mon âme par la colère?
Malicorne roulait respectueusement son chapeau entre ses doigts; mais tout à coup il laissa tomber son chapeau, saisit la jeune fille par les deux épaules, l'approcha de lui et appuya sur ses lèvres deux lèvres bien ardentes pour un homme ayant la prétention d'être si indifférent. Aure voulut pousser un cri, mais ce cri s'éteignit dans le baiser.
Nerveuse et irritée, la jeune fille repoussa Malicorne contre la muraille.
– Bon! dit philosophiquement Malicorne, en voilà pour six semaines; adieu, mademoiselle! agréez mon très humble salut.
Et il fit trois pas pour se retirer.
– Eh bien! non, vous ne sortirez pas! s'écria Montalais en frappant du pied; restez! je vous l'ordonne!
– Vous l'ordonnez?
– Oui; ne suis-je pas la maîtresse?
– De mon âme et de mon esprit, sans aucun doute.
– Belle propriété, ma foi! L'âme est sotte et l'esprit sec.
– Prenez garde, Montalais, je vous connais, dit Malicorne; vous allez vous prendre d'amour pour votre serviteur.
– Eh bien! oui, dit-elle en se pendant à son cou avec une enfantine indolence bien plus qu'avec un voluptueux abandon; eh bien! oui, car il faut que je vous remercie, enfin.
– Et de quoi?
– De cette commission; n'est-ce pas tout mon avenir?
– Et tout le mien.
Montalais le regarda.
– C'est affreux, dit-elle, de ne jamais pouvoir deviner si vous parlez sérieusement.
– On ne peut plus sérieusement; j'allais à Paris, vous y allez, nous y allons.
– Alors, c'est par ce seul motif que vous m'avez servie, égoïste?
– Que voulez-vous, Aure, je ne puis me passer de vous.
– Eh bien! en vérité, c'est comme moi; vous êtes cependant, il faut l'avouer, un bien méchant coeur!
– Aure, ma chère Aure, prenez garde; si vous retombez dans les injures, vous savez l'effet qu'elles me produisent, et je vais vous adorer.
Et, tout en disant ces paroles, Malicorne approcha une seconde fois la jeune fille de lui.
Au même instant un pas retentit