La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre


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dans la chambre éclairée du roi.

      XX

      LA CHAMBRE OBSCURE

      A peine la reine était-elle rentrée chez elle, que le capitaine général Acton s'était fait annoncer en lui mandant qu'il avait deux nouvelles importantes à lui communiquer; mais sans doute ce n'était pas lui que la reine attendait ou n'était-il point le seul qu'elle attendit; car elle répondit assez durement:

      – C'est bien! qu'il entre au salon; aussitôt que je serai libre, j'irai le rejoindre.

      Acton était habitué à ces boutades royales. Depuis longtemps, entre la reine et lui, il n'y avait plus d'amour; il était l'amant en titre comme il était premier ministre; ce qui n'empêchait point qu'il n'y eût d'autres ministres que lui.

      Un lien politique rattachait seul l'un à l'autre ces deux anciens amants. Acton avait besoin, pour rester au pouvoir, de l'influence que la reine avait prise sur le roi, et la reine, pour ses vengeances ou ses sympathies, qu'elle satisfaisait avec une égale passion, avait besoin du génie intrigant d'Acton et de sa complaisance infinie, prête à tout supporter pour elle.

      La reine se dépouilla rapidement de toute sa toilette de gala, de ses fleurs, de ses diamants, de ses pierreries; elle effaça et fit disparaître le rouge dont les femmes et surtout les princesses couvraient leurs joues à cette époque, passa un long peignoir blanc, prit une bougie, suivit un couloir solitaire, et, après avoir traversé tout un appartement, elle arriva à une chambre isolée, d'un ameublement sévère et communiquant à l'extérieur avec un escalier secret dont la reine avait une clef, et son sbire Pasquale de Simone une autre.

      Les fenêtres de cette chambre restaient constamment fermées pendant le jour, et pas le moindre rayon de lumière n'y pénétrait.

      Une lampe de bronze occupait le centre de la table, où elle était scellée, et un abat-jour posé sur la lumière était construit de manière à concentrer cette lumière dans la circonférence de la table seulement, et à laisser tout le reste de la chambre dans l'obscurité.

      C'était là que l'on entendait les dénonciations. Si les dénonciateurs, malgré l'ombre qui s'épaississait dans les profondeurs de la salle, craignaient d'être reconnus, ils pouvaient entrer un masque sur le visage, ou revêtir dans l'antichambre une de ces longues robes de pénitent qui accompagnent le cadavre au cimetière ou le patient à l'échafaud: linceuls effrayants qui rendent l'homme pareil à un spectre et qui, ne laissant de passage qu'à la vue, font, des trous pratiqués à cet effet, deux ouvertures pareilles aux orbites vides d'une tête de mort.

      Les trois inquisiteurs qui s'asseyaient à cette table ont acquis une assez triste célébrité pour faire leurs noms immortels; ils se nommaient Castel-Cicala, ministre des affaires étrangères, Guidobaldi, vice-président de la junte d'État en permanence depuis quatre ans, et Vanni, procureur fiscal.

      La reine, en récompense de ses bons services, venait de faire ce dernier marquis.

      Mais, cette nuit-là, la table était déserte, la lampe éteinte, la chambre solitaire; le seul être vivant ou plutôt ayant apparence de vie qui l'habitât était une pendule dont le balancement monotone et le timbre strident troublaient seuls le silence funèbre qui semblait descendre du plafond et peser sur le parquet.

      On eût dit que les ténèbres qui régnaient éternellement dans cette chambre en avaient épaissi l'air et l'avaient rendu semblable à cette vapeur qui flotte au-dessus des marais; on sentait, en y entrant, que l'on changeait non-seulement de température, mais encore d'atmosphère, et que celle-ci, ne se composant plus des éléments qui forment l'air extérieur, devenait plus difficile à respirer.

      Le peuple, qui voyait les fenêtres de cette chambre constamment fermées, l'avait appelée la chambre obscure; et, par les bruits vagues qui s'en étaient échappés comme de toute chose mystérieuse, il avait, avec le terrible instinct de divination qui le caractérise, à peu près entrevu ce qui s'y passait, mais, comme ce n'était pas lui que menaçait cette funèbre obscurité, comme les décrets qui sortaient de cette chambre sombre passaient au-dessus de sa tête pour frapper des têtes plus hautes que la sienne, c'était lui qui parlait le plus de cette chambre, mais c'était lui aussi qui, au bout du compte, la craignait le moins.

      Au moment où la reine entra, pâle et éclairée comme lady Macbeth par le reflet de la bougie qu'elle tenait à la main, dans cette chambre à l'atmosphère épaisse, cette espèce d'échappement qui précède la sonnerie se fit entendre, et la pendule sonna la demie après deux heures.

      Ainsi que nous l'avons dit, la chambre était vide, et, comme si elle se fût attendue à y trouver quelqu'un, la reine parut s'étonner de cette solitude. Un instant elle hésita à s'avancer; mais bientôt, surmontant cette terreur qui l'avait prise au bruit inattendu de la pendule, elle explora les deux angles de la chambre opposés au côté par lequel elle était entrée, et vint, lente et pensive, s'asseoir à la table.

      Cette table, tout au contraire de celle qui se trouvait chez le roi, était couverte de dossiers comme le bureau d'un tribunal, et offrait en triple tout ce qu'il fallait pour écrire, papier, encre et plumes.

      La reine feuilleta distraitement les papiers; ses yeux les parcouraient sans les lire, son oreille tendue essayait de saisir le moindre bruit, son esprit errait loin du corps. Au bout d'un instant, ne pouvant contenir son impatience, elle se leva, alla à la porte donnant sur l'escalier secret, y appuya son oreille, et écouta.

      Après quelques moments, elle entendit le grincement d'une clef qui tournait dans la serrure, et murmura ce mot, qui peignit l'impatience avec laquelle elle attendait:

      – Enfin!

      Puis alors, ouvrant la porte donnant sur un escalier sombre:

      – Est-ce toi, Pasquale? demanda-t-elle.

      – Oui, Votre Majesté, répondit une voix d'homme venant du bas de l'escalier.

      – Tu viens bien tard! dit la reine regagnant sa place d'un air sombre et le sourcil froncé.

      – Par ma foi! peu s'en est fallu que je ne vinsse pas du tout, répondit celui à qui l'on faisait le reproche de manquer de diligence.

      La voix se rapprochait de plus en plus.

      – Et pourquoi as-tu manqué de ne pas venir du tout?

      – Parce que la besogne a été rude là-bas, dit l'homme apparaissant enfin à la porte de la chambre.

      – Est-elle faite, du moins? demanda la reine.

      – Oui, madame, grâce à Dieu et à saint Pasquale, mon patron, elle est faite et bien faite; mais elle a coûté cher!

      Et, en disant ces mots, le sbire déposait sur un fauteuil un manteau contenant des objets qui rendirent un son métallique au contact du meuble.

      La reine le regarda faire avec une expression mêlée de curiosité et de dégoût.

      – Comment, cher? demanda-t-elle.

      – Un homme tué et trois blessés, rien que cela.

      – C'est bien. On fera une pension à la veuve et l'on donnera des gratifications aux blessés.

      Le sbire s'inclina en signe de remercîment.

      – Ils étaient donc plusieurs? demanda la reine.

      – Non, madame, il était seul; mais c'était un lion que cet homme; j'ai été obligé de lui lancer mon couteau à dix pas; sans quoi, j'y passais comme les autres.

      – Mais enfin?

      – Enfin, on en est venu à bout.

      – Et vous lui avez pris les papiers de force?

      – Oh! non, de bonne volonté, madame: il était mort.

      – Ah! fit la reine avec un léger frisson. Ainsi, vous avez été obligé de le tuer?

      – Morbleu! plutôt deux fois qu'une, et cependant, foi de Simone! cela m'a fait de la peine; il fallait bien, je vous le jure, que ce fût pour le service de Votre Majesté.

      – Comment!


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