La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre


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histoire me contes-tu là?

      – Jamais Français n'a parlé le patois napolitain comme le parlait le pauvre diable.

      – Holà! s'écria la reine, j'espère, que tu n'as pas commis quelque erreur. Je t'avais parfaitement annoncé un Français venant à cheval de Capoue à Pouzzoles.

      – C'est bien cela, madame, et en barque de Pouzzoles au château de la reine Jeanne?

      – Un aide de camp du général Championnet.

      – Oh! c'est bien à lui que nous avons eu affaire. D'ailleurs, il a eu le soin de nous dire lui-même qui il était.

      – Tu lui as donc adressé la parole?

      – Sans doute, madame. En lui entendant hacher du napolitain comme de la paille, j'ai eu peur de me tromper et je lui ai demandé s'il était bien celui que j'étais chargé de tuer.

      – Imbécile!

      – Pas si imbécile, puisqu'il m'a répondu: «Oui.»

      – Il t'a répondu: «Oui?»

      – Votre Majesté comprend bien qu'il eût parfaitement pu me répondre autre chose; qu'il était de Basso-Porto ou de Porta-Capuana, et il m'eût mis dans un grand embarras; car je n'eusse pas pu lui prouver le contraire. Mais non, il n'y a pas été par trente-six chemins. «Je suis celui que vous cherchez.» Et pif! paf! voilà deux hommes à terre de deux coups de pistolet; et vli! vlan! voilà deux hommes à terre de deux coups de sabre. Il aura jugé indigne de mentir, car c'était un brave, je vous en réponds.

      La reine fronça le sourcil à cet éloge de la victime par son assassin.

      – Et il est mort?

      – Oui, madame, il est mort.

      – Et qu'avez-vous fait du cadavre?

      – Ah! par ma foi, madame, une patrouille arrivait, et, comme, en me compromettant, je compromettais Votre Majesté, j'ai laissé à cette patrouille le soin de ramasser les morts et de faire panser les blessés.

      – Alors, on va le reconnaître pour un officier français!

      – A quoi? Voilà son manteau, voilà ses pistolets, voilà son sabre, que j'ai ramassés sur le champ de bataille. Ah! il en jouait bien, du sabre et du pistolet, je vous en réponds! Quant à ses papiers, il n'avait pas autre chose sur lui que ce portefeuille et ce chiffon, qui y est resté collé.

      Et le sbire jetait sur la table un portefeuille en basane teint de sang; une espèce de chiffon de papier ressemblant à une lettre adhérait en effet au portefeuille, le sang séché l'y maintenait.

      Le sbire les sépara l'un de l'autre avec une profonde insouciance et les jeta tous deux sur la table.

      La reine allongea la main; mais sans doute hésitait-elle à toucher ce portefeuille ensanglanté; car, s'arrêtant à moitié chemin, elle demanda:

      – Et son uniforme, qu'en as-tu fait?

      – Voilà encore une chose qui a manqué me faire donner au diable: c'est qu'il n'avait pas plus d'uniforme que sur ma main. Il était tout simplement vêtu, sous son manteau, d'une houppelande de velours vert avec des tresses noires. Comme il avait fait un grand orage, il l'aura laissé à quelque ami qui lui aura prêté sa redingote en échange.

      – C'est étrange! dit la reine; on m'avait cependant bien donné le signalement; au reste, les papiers contenus dans ce portefeuille lèveront tous nos doutes.

      Et, de ses doigts gantés dont les extrémités se teignirent de rouge, elle ouvrit le portefeuille et en tira une lettre portant cette suscription:

      «Au citoyen Garat, ambassadeur de la république française à Naples.»

      La reine brisa le cachet aux armes de la République, ouvrit la lettre, et, aux premières lignes qu'elle en lut, poussa une exclamation de joie.

      Cette joie allait croissant au fur et à mesure qu'elle avançait dans sa lecture, et, quand elle l'eut achevée:

      – Pasquale, tu es un homme précieux, dit-elle, et je ferai ta fortune.

      – Il y a déjà bien longtemps que Votre Majesté me le promet, répondit le sbire.

      – Pour cette fois, sois tranquille, je te tiendrai parole; en attendant, tiens, voici un à-compte.

      Elle prit un morceau de papier sur lequel elle écrivit quelques lignes.

      – Prends ce bon de mille ducats; il y en a cinq cents pour toi et cinq cents pour tes hommes.

      – Merci, madame, fit le sbire soufflant sur le papier pour en faire sécher l'encre avant de le mettre dans sa poche; mais je n'ai pas dit à Votre Majesté tout ce que j'ai à lui dire.

      – Et moi, je ne t'ai point demandé tout ce que j'ai à te demander; mais, auparavant, laisse-moi relire cette lettre.

      La reine relut la lettre une seconde fois, et, à cette seconde fois, ne parut pas moins satisfaite qu'à la première.

      Puis, cette seconde lecture achevée:

      – Voyons, mon fidèle Pasquale, qu'avais-tu à me dire?

      – J'avais à vous dire, madame, que, du moment où ce jeune homme est resté depuis onze heures et demie jusqu'à une heure du matin dans les ruines du palais de la reine Jeanne; que, du moment où il y a troqué son uniforme militaire contre une houppelande bourgeoise, il n'y est pas resté seul; et sans doute avait-il des lettres de la part de son général pour d'autres personnes encore que l'ambassadeur français.

      – C'était justement ce que je pensais en même temps que tu me le disais, mon cher Pasquale. Et sur ces personnes, ajouta la reine, tu n'as aucun soupçon?

      – Non, pas encore; mais nous allons, je l'espère bien, savoir quelque chose de nouveau.

      – Je t'écoute, Pasquale, dit la reine en inondant en quelque sorte le sbire de la lumière de ses yeux.

      – Des huit hommes que j'avais commandés pour l'expédition de cette nuit, j'en ai distrait deux, pensant que c'était assez de six pour venir à bout de notre aide de camp; il a failli m'en coûter cher de l'avoir pesé à faux poids; mais cela ne fait rien… Eh bien, ces deux hommes, je les ai placés en embuscade au-dessus du palais de la reine Jeanne, avec ordre de suivre les gens qui en sortiraient avant ou après l'homme à qui j'avais affaire moi-même, et de tâcher de savoir qui ils sont ou du moins où ils demeurent.

      – Eh bien?

      – Eh bien, madame, je leur ai donné rendez-vous au pied de la statue du Géant, et, si Votre Majesté le permet, je vais voir s'ils sont à leur poste.

      – Va! et, s'ils y sont, amène-les-moi; je veux les interroger moi-même.

      Pasquale de Simone disparut dans le corridor, et l'on entendit le bruit de ses pas décroître au fur et à mesure qu'il descendait les marches de l'escalier.

      Restée seule, la reine jeta vaguement un regard sur la table, elle y vit ce second papier que le sbire avait traité de chiffon, décollé du portefeuille où il adhérait et rejeté en même temps que lui sur la table.

      Dans son désir de lire la lettre du général Championnet, et dans sa satisfaction après l'avoir lue, elle l'avait oublié.

      C'était une lettre écrite sur un élégant papier; elle était d'une écriture de femme, mince, fine, aristocratique; aux premiers mots, la reine reconnut une lettre d'amour.

      Elle commençait par ces deux mots: Caro Nicolino.

      Par malheur pour la curiosité de la reine, le sang avait presque entièrement envahi la page écrite; on pouvait seulement distinguer la date, qui était le 20 septembre, et lire les regrets ressentis par la personne qui écrivait la lettre de ne pouvoir venir à son rendez-vous accoutumé, obligée qu'elle était de suivre la reine, qui allait au-devant de l'amiral Nelson.

      Il n'y avait pour toute signature qu'une lettre, une initiale, une E.

      Pour


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