Un Cadet de Famille, v. 1/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 1/3 - Trelawny Edward John


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Non-seulement par l'excès des exigences de la dame, mais encore pour continuer la parade de son élévation, il dépensa en bals et en festins une bonne partie de la dot, et six mois après mon père quittait l'armée sous le faux prétexte d'une maladie de poitrine, mais véritablement pour se retirer à la campagne et y végéter, en attendant mieux, dans les privations d'une tardive et sévère économie.

      Le savant Malthus n'avait pas encore éclairé le monde, et chaque année mon père enregistrait à contre cœur dans la Bible de la famille la naissance d'un fardeau vivant. Des dépenses inévitables le fatiguèrent tellement, qu'il s'attrista et perdit le courage de tâcher d'y pourvoir. Sur ces malheureuses entrefaites, un legs lui fut laissé, et, en relevant son affaiblissement moral, cette bonne fortune augmenta, s'il était possible, son système d'économie et ses désirs d'amasser de l'argent.

      Cette avare occupation devint alors l'unique emploi de son temps; il y concentra toutes ses facultés, et fut enfin ce que l'on appelle un homme prudent. Si un pauvre parent se hasardait à venir demander à mon père l'appui d'un secours, il lui était refusé au milieu de phrases sonores qui élevaient au-dessus de toute considération les devoirs qu'il avait à remplir envers sa femme, et les nécessités sans cesse renaissantes d'un essaim d'enfants dont le chiffre n'était pas encore arrêté.

      Plus la fortune de mon père prenait d'accroissement, et plus il s'entourait des apparences de la misère, plus il criait contre le prix déraisonnable de toutes les denrées. Son avarice, en ne se relâchant jamais que pour lui-même, mettait dans sa tête des idées absurdes. D'abord il se persuadait et essayait de persuader aux autres qu'il était au-dessus de ses moyens de nous envoyer en pension, parce que l'éducation coûtait bien au delà de sa valeur; il partait de là pour prouver encore que ses études à Westminster ne lui avaient été ni utiles ni agréables, et n'avaient apporté aucun changement à la direction de sa vie, puisqu'il n'avait point relu les livres grecs et latins qu'il avait été forcé d'y apprendre.

      Cependant, disait-il, je ne suis ni plus sot ni plus ignorant qu'un autre: tout ce que l'on doit savoir, c'est la valeur de l'argent, les avantages qu'il procure et la nécessité d'en amasser beaucoup; la science vient quand on en a besoin. Car il croyait peut-être à la doctrine du talent inné, en trouvant qu'il n'était nécessaire de s'instruire qu'au moment de faire le choix d'une profession. Comme il me destinait, ainsi que mon frère, à celle des armes, nos études devaient se borner à la plus légère superficie de toutes les sciences. Mon père détestait les superflus onéreux; d'ailleurs il avait observé dans son régiment que ceux qui étaient instruits étaient les plus niais et les plus pédants, et que la profondeur de leur érudition ne les avançait pas d'une ligne dans la carrière militaire.

      II

      Mon frère James, garçon à peu près de mon âge (nous étions entre neuf et dix ans), avait un caractère doux, inoffensif, généreux. Il ne se plaignait jamais de la tristesse de notre vie, mais il en souffrait passivement. Quant à moi, j'étais sans cesse grondé par mon père, car, en suivant les caprices de mon imagination, je me révoltais violemment contre le frein qu'il voulait y mettre, et les entraves de sa volonté, le transport de ses furieuses colères ne servaient qu'à augmenter mon vif penchant pour l'indiscipline. Entre les mille rigueurs qui bornaient l'étroit horizon de notre liberté, il en était une que je n'ai jamais pu admettre: celle de nous promener dans le jardin sans jamais en franchir les allées.

      Mon frère se soumettait tranquillement à cette règle, tandis que j'allais chercher une compensation à ce plaisir restreint en maraudant dans les propriétés voisines, d'où je revenais les mains et les poches remplies de racines, de fruits et de fleurs. En outre de la monotone promenade du jardin, nous avions celle plus monotone encore d'une route peu fréquentée qui longeait la maison, et pendant que le pacifique James arpentait lentement l'espace fixé, je grimpais sur les collines, et là, riche de mes frauduleuses récoltes, je passais une grande partie du jour mangeant, dormant, rêvant, sans être préoccupé une seule minute de l'accueil qui attendait mon retour.

      À la nuit tombante, j'abandonnais ma solitude aérienne pour les eaux bleues du lac dans lequel j'appris à nager. Les coups qui célébraient mes rentrées nocturnes ne changeaient rien à mes projets pour le lendemain, car je les réalisais avec autant d'insouciance pour leurs mauvais résultats que j'avais, avec la même perspective, réalisé ceux de la veille. Je détestais les réprimandes, les sermons, les maîtres, les curés, enfin tous ceux qui se prétendent sages et qui ne sont qu'ennuyeux.

      Loin d'intimider mes passions et de les contraindre, la cruelle sévérité de mon père ne faisait qu'en décupler les forces, et je recherchais toujours et plus avidement que les autres les actions dangereuses à tenter ou qu'il m'était défendu de faire; car c'était précisément celles qui s'emparaient avec le plus de force de mon esprit, et j'étais incapable de résister à cet entraînement qui me poussait à la désobéissance avec une joie d'esclave emporté par le courant d'une révolte.

      Si, à la place de ses brutales remontrances, mon père m'eût témoigné un peu d'affection ou même un semblant d'amitié, je serais resté doux et gentil, comme je l'étais aux premiers jours de mon enfance. Mais les privations, les coups, les pénitences aigrirent mon caractère; et ce sont les seules preuves d'amour paternel dont je puisse me souvenir.

      Mon père possédait depuis fort longtemps un affreux corbeau, pour lequel il avait, malgré sa sécheresse de cœur, une profonde amitié. Ce corbeau, qui était vieux, laid, sale, boiteux, passait sa vie à rôder solitairement dans le jardin, et détestait les enfants, car lorsque nous apparaissions à la porte il accourait vers nous en jetant des cris de fureur et nous chassait de son domaine. Bien certainement je ne lui eusse jamais disputé la possession de ce territoire, s'il n'eût mis tant de méchanceté à en constater les droits. Mais le sauvage égoïsme de cette odieuse bête, soutenu par mon père, nous la faisait considérer comme le second tyran du logis.

      Il était hideux à voir; sa démarche chancelante sur des pattes roidies par les années et aussi dures que l'écorce d'un liége, son regard lourd et faussement engourdi donnaient à son approche quelque chose d'effrayant. Mon frère en avait peur: quant à moi, il ne m'inspirait qu'un invincible dégoût. L'affreuse bête passait la moitié du jour couchée au soleil, sur la crête d'un mur contre lequel était appuyé un des pruniers du jardin et le plus productif. La privation de ces prunes délicieuses, dont le corbeau défendait énergiquement la possession, augmenta notre haine et nous fit enfin, épuisés de patience, concevoir le projet de nous en rendre maîtres.

      Avant d'en arriver à de trop vives représailles, nous essayâmes de le déloger amicalement, d'abord par des offres de fruits, de viandes qu'il aimait, puis enfin par de douces paroles.

      Mais tout échoua devant l'impassible regard d'un œil flasque et vitreux. L'entêtement raisonné de la méchante bête, qui semblait deviner nos désirs, l'impossibilité de satisfaire ces désirs et la rage de nous voir vaincus nous rendirent tout à fait furieux. Nous eûmes alors recours aux procédés qu'on employait si souvent envers nous, procédés sans réplique, qui étaient de rosser d'importance la maligne bête. Mais nous étions trop faibles pour agir avec efficacité sur sa vieille carcasse, car les pierres et les coups de bâton l'atteignirent à peine; il fallait y renoncer et attendre une meilleure occasion. Le soir de la bataille, je demandai justice au jardinier en lui exposant nos griefs contre le corbeau; mais, dans la crainte de déplaire à son maître, le jardinier nous donna tort et se moqua de notre gourmandise.

      Le lendemain de cette orageuse journée, en jouant sur la route avec la petite fille d'un de nos voisins, je fus entraîné à lui offrir des fruits, car, ayant soif, elle voulait nous quitter, et son départ eût suspendu nos plaisirs. Sans être vus, même de mon père, nous entrâmes tous les deux dans le jardin avec l'intention de remplir clandestinement nos poches de poires. Mais au moment où, joyeux de notre mystérieuse escapade, nous commencions notre récolte, le corbeau fondit sur nous et saisit la petite fille par la manche de sa robe. Éperdue d'épouvante et trop effrayée pour se débattre, la pauvre enfant jeta un cri d'angoisse, auquel je répondis en me précipitant sur le corbeau.

      À mon approche, le monstre tourna sa fureur contre moi, et son bec de fer mordit violemment


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