Un Cadet de Famille, v. 1/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 1/3 - Trelawny Edward John


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violemment contre l'arbre. Mais cette dure secousse ne semblait lui faire aucun mal. Son corps rebondissait comme une balle élastique, et son regard restait terne et froidement féroce. Nous combattîmes ainsi pendant quelques minutes, et ses efforts pour échapper à l'énergique pression de mes mains, trop faibles pour le contenir, me causèrent de vives douleurs. J'étais évidemment moins fort que lui, et j'allais succomber.

      – Si j'appelais le jardinier? me demanda l'enfant, dont l'effroi avait suspendu les larmes.

      – Non, car il dirait à mon père que nous avons pris des poires. Je vais prendre ce lâche oiseau; donne-moi ta ceinture.

      La petite fille me tendit le ruban bleu qui retenait les plis de sa robe, et je réussis, malgré mes blessures, à l'attacher au cou de notre ennemi. Après avoir grimpé sur l'arbre, j'attachai le ruban à une branche, et nous eûmes le plaisir de voir le corbeau à la portée de nos coups et dans l'impossibilité de se défendre.

      Nous commencions à peine à prendre notre revanche, lorsque mon frère arriva vers nous. La vue de mes blessures, dont il ne comprit la cause qu'en apercevant lié comme un criminel celui qui les avait faites, changea vite sa tristesse en joie, et il nous aida à assaillir le corbeau d'une volée de pierres.

      Quand nous fûmes fatigués de ce divertissement, et que, d'après l'immobilité de l'oiseau, nous le jugeâmes mort, je remontai sur l'arbre, et je repris le ruban de notre petite amie. Le corbeau détaché tomba au pied du poirier. Pour compléter notre triomphante victoire, mon frère prit une branche de sureau et le frappa encore violemment sur la tête, quand tout à coup, – à notre grande surprise et surtout à notre grande consternation, – l'infernal oiseau s'élança dans l'air en jetant un cri aigu. Mais sa méchanceté fut sa perte; car après avoir tournoyé un instant au-dessus de nous, il dirigea son vol oblique contre mes regards, levés vers lui, et auxquels il préparait un aveuglant coup de bec. Je le saisis par ses ailes en criant à mon frère de ne pas fuir, car la terreur l'avait jeté à vingt pas de moi, et nous emprisonnâmes de nouveau notre invincible ennemi. Mais il était enfin comme anéanti. Son regard terrifiant se voilait des ombres de la mort, le sang coulait de son bec entr'ouvert et ses ailes battaient la terre. J'avais le pied sur sa queue à moitié arrachée, et cependant l'expirante bête employait encore son dernier souffle à la conservation de sa vie. J'étais aussi ensanglanté que le corbeau, qui mourut enfin sous nos piétinements.

      Nous lui attachâmes une pierre au cou, afin de cacher son corps et notre impardonnable crime dans la profondeur de l'étang. Ce duel est le premier et le plus redoutable que j'aie jamais eu. Je le raconte, quoiqu'il soit puéril, non-seulement parce qu'il s'est fortement imprimé dans ma mémoire, mais ensuite parce que la revue de ma vie m'a prouvé qu'il fut l'anneau auquel se sont liées toutes mes actions. Cet événement est une preuve que, jusqu'à une certaine limite, je puis supporter les ennuis et les vexations, mais qu'une fois révolté contre ma chaîne, je la brise sans souci, sans crainte, sans arrière-pensée, sans réflexion surtout. Je vois le but, je le saisis sans regarder ni en avant ni en arrière.

      Cette brusque révélation d'une nature fort patiente, mais inexorable dans la démonstration de sa force trop longtemps contenue, est un grand défaut, et ce défaut m'a donné de vifs, de profonds remords; car j'ai tué sans justice, par violence, dans des circonstances où les corrections eussent été suffisantes. En commettant une action que mon emportement me faisait trouver naturelle et justiciable, ceux qui en souffraient ou qui vivaient avec moi la considéraient comme une horrible vengeance.

      III

      D'après le règlement établi dans notre famille par les convictions de mon père sur l'inutilité de l'enseignement précoce, on nous laissa jusqu'à l'âge de dix ans sans nous apprendre à lire.

      J'étais à cette époque d'une taille élancée, grand, maigre, gauche dans tous mes mouvements, surtout en présence de mon terrible père.

      En me voyant si rapidement atteindre la stature d'un adolescent, ma famille commença à entrevoir la nécessité de me mettre au collége, et on s'occupa journellement à discuter l'instant précis de ce départ et du choix à faire de la maison d'enseignement.

      Comme mes parents n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur la solution de ces importantes affaires, elles traînèrent en longueur, et ne se seraient peut-être jamais résolues si un événement puéril, et même trivial, n'était venu couper court à toutes leurs discussions.

      La fatigante oisiveté qui absorbait lentement les longues heures du jour, en laissant mon esprit occupé à la recherche des distractions, me conduisait naturellement à mal faire, et cela parce que je ne savais que faire.

      Un jour donc, excédé d'ennui et de désœuvrement, j'entrai au jardin, malgré la défense que nous avions reçue de ne jamais y reparaître, éternelle expiation de la mort du corbeau. Mon frère m'avait suivi. Je grimpai lestement sur un pommier, et nous nous amusâmes, moi à lui jeter des pommes, lui à riposter à mes agaceries par la dégringolade de celles qu'il atteignait avec des projectiles. Au milieu de l'animation d'un plaisir qui provoquait nos éclats de rire, nous fûmes violemment interrompus par cette foudroyante exclamation:

      – Ah! les voleurs!

      C'était la voix de mon père.

      James voulut s'enfuir, mais, pris par l'oreille, il fut contraint d'attendre que mon père m'eût jeté en bas de l'arbre. Lorsque nous nous trouvâmes tous deux en sa possession, il nous dit d'un ton furieux:

      – Suivez-moi, brigands!

      Je m'attendais aux inévitables coups de canne dont mon père gratifiait si généreusement nos épaules pour la moindre faute; mais il passa devant la maison sans s'y arrêter, traversa la route et se dirigea vers la ville.

      Nous marchâmes ainsi pendant une heure et sans échanger la moindre parole. Moi, je suivis mon père d'un air bourru, tandis que le pauvre James, ivre de peur, trébuchait à chaque pas, et, sans ma main qui saisit la sienne, il serait infailliblement tombé de faiblesse et d'épouvante.

      Arrivés à l'extrémité de la ville, mon père questionna un marchand assis devant sa porte, et d'après la réponse qui lui fut faite, il se dirigea d'un air superbe vers un sombre édifice entouré de hautes murailles. Nous suivîmes automatiquement notre majestueux conducteur dans un long passage, au bout duquel se trouvait une porte massive, lourde et chargée de serrures comme celle d'une prison. Mon père frappa, le domestique qui ouvrit nous fit traverser d'abord une immense salle remplie d'ombre et d'une atmosphère glaciale, puis enfin il nous laissa dans un petit parloir sévèrement et tristement meublé de quelques chaises.

      Après dix minutes d'une silencieuse attente, minutes dont l'anxieuse longueur me parut éternelle, un petit homme parut. La tête de cet homme, renversée en arrière, soit dans le dessein de relever par la fierté de cette pose la médiocre apparence de sa frêle personne, soit par l'habitude de regarder du haut en bas son interlocuteur en le toisant comme une bête de somme, donnait à sa physionomie, à demi cachée sous de grandes lunettes bleues, quelque chose de faux, de lâche et de servilement bas. Les grandes boucles d'argent qui reluisaient sur ses souliers, le col étroit qui emprisonnait son cou comme un carcan de fer, ajoutaient à la première impression produite par son aspect un air précis, froid et terriblement méthodique pour l'imagination d'un enfant.

      Le regard rapide de ses yeux de faucon, sous ses lunettes relevées, tomba d'abord sur mon père, et, quand il nous eut également examinés, il comprit sans doute le but de notre visite, car il avança une chaise à mon père, et d'un signe brusque et impératif il nous engagea tous deux à nous asseoir.

      – Monsieur, dit mon père après avoir répondu à la profonde salutation du petit homme, vous êtes, je crois, monsieur Sayers?

      – Oui, monsieur.

      – Pouvez-vous disposer de deux places dans votre pension?

      – Certainement, monsieur.

      – Eh bien! répliqua mon père, maintenant, monsieur, voulez-vous vous charger de ces indomptables vagabonds qui me rendent fort malheureux, car il m'est impossible d'en obtenir respect et obéissance? Celui-ci, continua


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