Un Cadet de Famille, v. 1/3. Trelawny Edward John

Un Cadet de Famille, v. 1/3 - Trelawny Edward John


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bœuf et du jambon froids?

      – Je ne désire ni l'un ni l'autre, gronda le contre-maître; voulez-vous donc nous donner le scorbut, affreux coquin?

      – Nous avons aussi des côtelettes et des biftecks.

      – C'est cela, apportez-en et faites mouvoir vos jambes un peu plus vite que cela, imbécile que vous êtes… Attendez… serait-il possible d'avoir des poulets?

      – Oui, monsieur, oui, nous en avons un superbe dans le garde-manger, répondit le garçon ahuri, et se tenant prudemment à distance du maître d'équipage.

      – Un poulet! stupide animal; je vous dis de faire rôtir tout le poulailler et de vous dépêcher, encore; car s'ils ne sont pas sur la table dans cinq minutes, dites à la mère… je ne sais pas son nom… à l'hôtesse, que je l'embrocherai elle-même. Eh bien! pourquoi ne bougez-vous pas? Mais allons donc, butor! Arrêtez… Comment!.. Mais où diable est donc le grog que j'ai demandé il y a une heure?

      – Mais, monsieur… balbutia le garçon, de plus en plus effrayé.

      – Taisez-vous, belître, dit le marin en lançant au travers de la chambre son chapeau orné de dentelles d'or; taisez-vous et filez sous le vent, ou sinon…

      Le garçon, à qui cette manière claire et précise de commander donnait des ailes, se baissa sous la table, et se levant avec l'élasticité d'un diable de tabatière, il s'élança vers la cuisine et disparut comme l'éclair sous les yeux du vieux loup de mer.

      Celui-ci, à qui cette rapidité exagérée dans l'exécution de ses ordres était loin de déplaire, jeta sur nous un regard de triomphante satisfaction; puis, élevant la main droite jusqu'à la hauteur de sa bouche, il en retira, avec une délicatesse suprême, une chique qui y était toujours emprisonnée et qui faisait croire aux étrangers que le vieux marin avait sous une de ses joues un incurable abcès. Après avoir, par une seconde manœuvre, transporté de la main droite au creux de la main gauche ce morceau de tabac, à qui il ne donnait de répit qu'aux heures solennelles des repas, notre homme saisit son verre avec la ferme assurance d'un homme habitué à cet exercice, et en avala d'un trait le contenu.

      – Diable! dit-il en faisant claquer bruyamment sa langue contre le palais, voilà un petit brandy que j'aime bien mieux dans ma gorge qu'une corde alentour d'elle, et je ne serais pas fâché, avant d'approfondir les côtelettes et les biftecks qu'on doit nous apporter, de renouveler connaissance avec lui… Je vais donc lui dire encore un mot.

      Et le contre-maître versa encore dans son verre une rasade de cognac, pour laquelle il mit pour la forme un passe-poil d'eau claire.

      Ce grog fulminant étant avalé, les yeux de notre mentor brillèrent et s'humectèrent d'une larme de satisfaction, puis, s'affermissant sur sa chaise et fixant un regard assuré sur la table, que le garçon, revenu de sa frayeur, avait abondamment garnie de viandes, il brandit sa fourchette et nous donna le signal du branle-bas, en s'écriant:

      – Adieu va! mes enfants, sus à l'ennemi!

      L'ennemi, je veux dire les côtelettes et les biftecks, ne tint pas longtemps devant nos appétits aiguisés par une longue traversée, et, après une courte résistance, la table fut couverte des débris de notre victoire et de plusieurs bouteilles et flacons morts. Ces malheureux, qui avaient perdu l'esprit dans la bataille, furent dédaigneusement jetés sur le carreau par notre général en chef, qui, ainsi que nous, avait oublié et le vaisseau et la pension.

      D'un pas légèrement festonné, nous arrivâmes à Gaspart. Là, notre pilote nous promena de boutique en boutique, et dans chacune d'elles il faisait une emplette, en nous engageant à l'imiter. Comme il nous avait avertis qu'il prenait à son compte personnel tout le montant des dépenses, et que nous savions que notre commanditaire n'aimait pas à être désobéi, nous nous donnâmes bien garde de le contrarier, et nous sortîmes des magasins où il nous avait menés chargés de butin.

      Durant tout le cours de cette bordée, ou plutôt de cette invasion à Gaspart, le vieux marin, qui avait le vin très-hospitalier, invitait tous les camarades qui se trouvaient sur son passage et toutes les figures qui lui plaisaient – et il était facile de lui plaire dans ces moments-là – à dîner à la taverne de la Couronne et l'Ancre à deux heures précises.

      Ce n'était pas seulement aux hommes que le prodigue amphitryon s'adressait. Non moins tendre que généreux, à toutes les jeunes et jolies femmes qu'il rencontrait également de sa connaissance, – et Dieu sait si le nombre en était grand, – il tenait ce discours flatteur:

      – Mes toutes belles, virez de bord, mettez le cap sur votre domicile, balayez les ponts, mettez un peu d'ordre dans votre cabine, gréez-vous le plus coquettement possible, et venez me rejoindre au théâtre. Surtout, mes petits amours, ne manquez pas de remplir vos petites bouteilles de poche, afin d'avoir beaucoup de grog dans la cambuse; je serai exact au poste.

      Ces invitations terminées, le contre-maître, qui était prévoyant et systématique dans les arrangements de sa fête, alla au théâtre, pour lequel il prit trois loges, et rentra enfin à la Couronne et l'Ancre, en se plaignant de son travail à sec, c'est-à-dire d'avoir travaillé sans boire.

      Les nombreuses connaissances de notre joyeux commodore commencèrent bientôt à arriver. Les salutations extravagantes, rudes et folles le ballottèrent des mains de l'une dans les bras de l'autre. Ce fut une orgie de paroles qui précéda l'orgie d'action. On servit la table, et les viandes disparurent comme par miracle; les bouteilles vides volèrent çà et là, accompagnées des plats et des assiettes. Au dessert, l'eau-de-vie, la limonade spiritueuse et le rhum firent le tour de la table. On chanta, on porta des toasts, on fit des plaisanteries jusqu'au moment où notre méthodique amphitryon, se levant de table, nous dit avec gravité:

      – Vous, là-bas, dans ce coin au bout de la table, jeunes chiens de mer, arrêtez votre jargon, ou je vous porte à l'instant dans les bras du docteur, vous comprenez… Maintenant, mes braves, ceci s'adresse à tous, que pensez-vous de l'offre d'une petite promenade? Il est l'heure du spectacle, et vous devez savoir que, pour aller aux églises et aux théâtres, il faut être de sang-froid; là, par respect pour les curés; ici, par amour pour les dames. Il n'est point admis dans les belles manières de s'enivrer avant le coucher du soleil, et je ne le permettrai pas. Ainsi, avancez à l'ordre; je n'ai plus qu'un toast à porter, et après cette dernière salve je hisse mon pavillon.

      Le contre-maître fut bruyamment interrompu par les cris des convives.

      – Silence! gronda-t-il d'une voix de tonnerre.

      Tout le monde se tut, excepté les verres et les bouteilles, qui tremblèrent et rendirent un son cristallin.

      Quand le calme fut un peu rétabli, le marin ajouta:

      – Remplissez vos verres, messieurs, mais faites-le sans bruit, car nous allons porter un toast très-solennel. Je m'aperçois avec peine de la négligence que ce rustaud de garçon apporte à remplir ses devoirs envers nous; les bouteilles sont à moitié vides; eh bien! je vous ordonne d'empoigner chacun une bouteille, de la désenfler complétement et de lui casser la tête.

      Cet ordre, reçu avec acclamation, satisfaisait fort peu le garçon de service, qui se hasarda à murmurer quelques remontrances.

      – Marins! cria notre chef, soutenez votre capitaine. Qu'est-ce à dire, drôle, tu te révoltes?.. Sors d'ici… Ah! tu ne veux pas vider le pont, eh bien! mes braves, écoutez ceci: un, deux, et quand je dirai trois, souvenez-vous que la tête de ce requin est une cible.

      Le domestique, effaré, se précipita hors de la chambre, contre les portes de laquelle les bouteilles allèrent se briser.

      Après avoir bu avec une gravité chancelante à la santé du grand Nelson, nous fîmes irruption dans la ville, tâchant, tant bien que mal, de marcher ensemble dans la direction du théâtre. Cette orgie fut ma première leçon d'ivresse, et j'étais tellement ébloui par les liqueurs que j'en respirais partout, et que l'air me semblait imprégné d'alcool.

      Je ne me rappelle absolument rien de la pièce que je vis représenter au théâtre; il me souvient seulement


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