A fond de cale. Reid Mayne
car je l'avais vu souvent briller au soleil, tandis que la perche restait brune. Celle-ci avait été sans doute peinte autrefois, mais lavée souvent par l'eau de mer, qui dans les tempêtes s'élançait jusqu'en haut du baril, la couleur en avait disparu peu à peu.
Je ne m'étais pas moins trompé quant à son élévation: du rivage elle me paraissait être de la taille d'un homme ordinaire, tandis qu'en réalité elle se dressait au-dessus de ma tête comme le mat d'un sloop, et devait bien avoir sept ou huit mètres de hauteur.
L'étendue de mon îlot me surprenait également, je le croyais à peine de quelques pieds carrés, là il avait au moins un demi-hectare. Presque toute et surface en était couverte de galets, depuis la grosseur d'un caillou jusqu'à celle d'une futaille; et çà et là on y voyait des quartiers de roche engagés dans les interstices du rocher fondamental. Toutes ces pierres, quel que fût leur volume, étaient revêtues d'une substance noirâtre et gluante, et supportaient, en divers endroits, un lit d'herbes marines de différentes espèces. Quelques-unes de ces algues m'étaient familières pour les avoir vues sur la côte, où elles sont déposées par le flux; et depuis quelque temps j'avais fait avec elles plus intime connaissance, en aidant à les répandre dans les champs de mon oncle, où elles fumaient les pommes de terre.
Après avoir satisfait ma curiosité à l'égard de la pièce de bois qui servait de signal, et fait mes conjectures relativement au volume du baril, je commençai l'exploration de mon île. Je voulais non seulement reconnaître les lieux, mais encore trouver un coquillage, une curiosité quelconque, afin d'avoir un souvenir de cette excursion, aussi agréable qu'aventureuse.
Il était moins facile de parcourir cet écueil bouleversé que je ne l'avais cru d'abord: les pierres, recouvertes, ainsi que je l'ai dit plus haut, d'une espèce de glu marine, étaient aussi glissantes que si elles avaient été savonnées; et dès les premiers pas je fis une chute assez cruelle, sans parler des efforts qu'il fallait faire pour gravir les fragments de rochers qui se trouvaient sur mon passage.
Je tournais le dos à l'endroit où j'avais laissé mon batelet, et je me demandai si je ne ferais pas mieux de revenir sur mes pas; mais en face de moi une sorte de presqu'île s'avançait dans la mer, et il me semblait voir à son extrémité un amas de coquillages précieux qui redoublèrent mon envie d'en posséder plusieurs.
J'avais déjà remarqué différentes coquilles dans le sable qui se trouvait entre les quartiers de roche; les unes étaient vides, les autres habitées; mais elles me semblaient trop communes; je les avais toujours vues depuis que j'allais sur la grève, et je les retrouvais dans les pommes de terre de mon oncle, où elles étaient apportées avec le varech. Du reste, elles n'avaient rien de curieux, ce n'étaient que des moules, des manches de couteau et des pétoncles. Il n'y avait pas d'huîtres, sans cela j'en aurais avalé une ou deux douzaines, car l'appétit commençait à se faire sentir. Les crabes et les homards étaient abondants, mais je ne voulais pas les manger crus, et il m'était impossible de les faire cuire. D'ailleurs ma faim était encore très supportable.
Ce qui me faisait aller au bout de cette pointe rocailleuse, où j'apercevais des coquillages, c'était le désir de me procurer un oursin. J'avais toujours eu envie de posséder un bel échantillon de cette singulière coquille; je n'avais jamais pu m'en procurer une seule. Quelques-uns de ces échinodermes s'apercevaient bien de temps en temps près du village, mais ils n'y restaient pas; c'était dans le pays un objet assez rare, par conséquent d'une valeur relative, et qu'on posait sur la cheminée, dont il faisait l'ornement. Comme on visitait fort peu le récif, qui était assez loin de la côte, j'avais l'espoir d'y trouver cette coquille, et je regardais avec attention dans toutes les crevasses, dans toutes les cavités où mon œil pouvait atteindre.
À mesure que j'avançais, les formes brillantes qui m'avaient attiré devenaient de plus en plus distinctes, et j'étais sûr de trouver parmi elles quelque chose de précieux. Je n'en marchais pas plus vite, sachant bien qu'elles ne s'éloigneraient pas, car c'étaient d'anciennes demeures abandonnées depuis longtemps; j'avais donc la certitude qu'elles resteraient à la même place, et je ne voulais pas négliger ce qui pouvait être sur ma route. Précaution inutile; je ne vis rien qui fût à ma convenance tant que je n'arrivai pas à l'endroit en question; mais alors quelle découverte! C'était le plus bel oursin qu'on eût jamais rencontré; il était rond comme une orange, et sa couleur était d'un rouge foncé; mais je n'ai pas besoin de vous le décrire; quel est celui d'entre vous qui ne connaît pas l'oursin8?
J'eus bientôt ramassé ma coquille, dont j'admirai avec joie les courbes charmantes et les écussons qui la rendaient si jolie. C'était la plus curieuse de toutes celles que j'avais vues, et je me félicitais d'avoir à conserver de ma promenade un souvenir aussi précieux.
Quand, après l'avoir bien examinée à l'extérieur, j'eus lorgné la cavité qu'elle présentait, et qui avait servi de logette à l'oursin même, logette blanche et propre qui m'amusa par ses mille petits trous rangés en lignes, je me rappelai que j'avais vu d'autres coquilles, et je me mis en devoir d'en ramasser. Il y en avait de quatre espèces, toutes les quatre fort jolies et complétement nouvelles pour moi. J'en mis dans mes poches tant qu'elles purent en contenir, et les mains pleines je revins sur mes pas avec l'intention de me rembarquer.
Mais, ô stupeur! les coquilles m'échappèrent des mains, et peu s'en fallut que je ne les suivisse dans leur chute. Ô mon bateau, mon bateau!
CHAPITRE VIII
Vous jugez de ma surprise, ou plutôt de mon alarme.
«Qu'est-ce que c'était? demandez-vous; est-ce que l'esquif avait disparu? Non; mais pour moi cela n'en valait guère mieux, il s'était éloigné.
La crique où je l'avais mis était vide; en jetant les yeux sur la mer, je vis mon canot voguant à l'aventure et déjà loin du rocher. Ce n'était pas étonnant, j'avais oublié de l'amarrer; dans ma précipitation, je n'avais pas pris le cordage qui devait me servir à le fixer au bord de l'écueil; la brise, en fraîchissant, l'avait poussé hors de la crique, et bientôt en pleine mer.
Vous comprenez ma position: comment ravoir mon canot, et sans lui comment revenir à la côte? Je ne pouvais pas franchir à la nage les trois milles qui me séparaient de la grève. Personne ne viendrait à mon secours. Il était impossible que l'on pût me voir du rivage, ou que l'on connût ma position. Le petit canot, lui-même, ne serait pas aperçu; je savais maintenant combien le volume des objets est diminué par la distance: le récif que je croyais s'élever à peine à trente centimètres au-dessus de l'eau, y était à plus d'un mètre; et mon batelet devait être invisible à tous les flâneurs qui se promenaient sur la grève, à moins qu'on ne fût armé d'un télescope; mais quelle improbabilité!
Plus j'y réfléchissais, plus j'étais malheureux; plus je comprenais le péril où m'avait placé ma négligence. Que faire, quel parti prendre? je n'avais pas d'autre alternative que de rester où j'étais. Si je pouvais néanmoins regagner mon canot à la nage? Il n'était pas encore assez loin pour que je ne pusse pas l'atteindre; mais il s'éloignait toujours, et je n'avais pas une minute à perdre, si je voulais mettre ce projet à exécution.
Je me dépouillai de mes habits en toute hâte, et les jetai derrière moi, ainsi que mes souliers, mes bas et ma chemise, afin d'avoir toute la liberté de mes mouvements.
Une fois à la mer je me dirigeai vers mon bateau, sans me détourner de la ligne droite; hélas! j'eus beau redoubler de vigueur, je ne voyais pas diminuer la distance qui me séparait de l'embarcation. Je finis par comprendre qu'il me serait impossible de la gagner de vitesse, et que mes efforts étaient complétement inutiles. J'eus un instant de désespoir; si je ne pouvais ressaisir mon canot, il me faudrait revenir à l'écueil ou tomber au fond de la mer, puisqu'il m'aurait été aussi difficile d'atteindre le rivage que de traverser l'Atlantique. J'étais assez bon nageur pour ne pas m'inquiéter d'avoir un mille à franchir; mais le triple était au-dessus de mes forces; et puis le vent ne poussait pas le canot droit à la côte, et dans la direction que j'avais prise pour le suivre, il y avait au moins dix milles entre la terre et moi.
Découragé dans mon entreprise,
8
L'oursin est un animal rayonné, c'est-à-dire qu'au lieu de présenter deux parties symétriques (côté droit, côté gauche), il offre un axe d'où rayonnent toutes les parties qui le composent. Sa forme est plus ou moins globuleuse, et il est de grosseur moyenne. Sa coquille présente des espèces de plaques, ou de mamelons, disposés régulièrement, ainsi qu'une infinité de petits trous. Au lieu d'être nue, comme chez les huîtres et les colimaçons, cette coquille est recouverte d'une membrane vivante, pourvue de cils vibratiles. Il en résulte que l'oursin est complétement ébouriffé; aussi l'a-t-on nommé vulgairement châtaigne ou hérisson de mer, et scientifiquement