Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne
Ou du vin?
– Copitita de vino, senor. (Un tout petit verre de vin, monsieur.)
– Voici, ma douce colombe; avalez-moi ca en un saut d'ecureuil!..
Maintenant, ma petite, bonne chance, et un bon mari je vous souhaite!
– Gracias, senor Americano!
– Comment! vous comprenez cela? usted entiende, vous entendez?
– Si, senor.
– Bravo donc! Eh bien, ma petite, connaissez-vous la danse de l'ours?
– No entiende.
– Vous ne comprenez pas! tenez, c'est comme ca.
Et le lourdaud chasseur commence a se balancer devant sa partenaire, en imitant les allures de l'ours gris.
– Hola, Bill! crie un camarade, tu vas etre pris au piege, si tu ne te tiens pas sur tes gardes. As-tu tes poches bien garnies, au moins?
– Que je sois un chien, Gim, si je ne suis pas frappe la, dit le chasseur etendant sa large main sur la region du coeur.
– Prends garde a toi, bonhomme! c'est une jolie fille, apres tout.
– Tres-jolie! offre-lui un chapelet, si tu veux, et jette-toi a ses pieds!
– Beaux yeux qui ne demandent qu'a se rendre; oh! les jolies jambes!
– Je voudrais bien savoir ce que son vieux magot demanderait pour la ceder. J'ai grand besoin d'une femme; je n'en ai plus eu depuis celle de la tribu des Crow que j'avais epousee sur les bords du Yeller-Stone.
– Allons donc, bonhomme, tu n'es pas chez les Indiens. Fais, si tu veux, que la fille y consente, et il ne t'en coutera qu'un collier de perles.
– Hourra pour le vieux Missouri! crie un voiturier.
– Allons, enfant! montrons-leur un peu comment un Virginien se fraye son chemin. Debarrassez la cuisine, vieilles et jeunes canailles.
– Gare a droite et a gauche! la vieille Virginie va toujours de l'avant.
– Viva el Gobernador! viva Armijo! viva, viva!
L'arrivee d'un nouveau personnage faisait sensation dans la salle. Un gros homme fastueux, a tournure de pretre, faisait son entree, accompagne de plusieurs individus. C'etait le gouverneur avec sa suite, et un certain nombre de citoyens bien couverts, qui formaient sans doute l'elite de la societe new-mexicaine. Quelques-uns des nouveaux arrivants etaient des militaires revetus d'uniformes brillants et extravagants; on les vit bientot pirouetter autour de la salle dans le tourbillon de la valse.
– Ou est la senora Armijo? demandai-je tout bas a Saint-Vrain.
– Je vous l'avais dit: elle n'est pas venue. Attendez-moi ici je m'en vais pour quelques instants. Procurez-vous une danseuse: et voyez a vous divertir. Je serai de retour dans un moment. Au revoir.
Sans plus d'explications, Saint-Vrain se glissa a travers la foule et disparut.
Depuis mon entree, j'etais demeure assis sur une banquette, pres de Saint-Vrain, dans un coin ecarte de la salle. Un homme d'un aspect tout particulier occupait la place voisine de mon compagnon, et etait plonge dans l'ombre d'un rideau. J'avais remarque cet homme tout en entrant, et j'avais remarque aussi que Saint-Vrain avait cause avec lui; mais je n'avais pas ete presente, et l'interposition de mon ami avait empeche un examen plus attentif de ma part, jusqu'a ce que Saint-Vrain se fut retire. Nous etions maintenant l'un pres de l'autre, et je commencai a pousser une sorte de reconnaissance angulaire de la figure et de la tournure qui avaient frappe mon attention par leur etrangete. Ce n'etait pas un Americain; on le reconnaissait a son vetement, et cependant sa figure n'etait pas mexicaine. Ses traits etaient trop accentues pour un Espagnol, quoique son teint, hale par l'air et le soleil, fut brun et bronze. La figure etait rasee, a l'exception du menton, qui etait garni d'une barbe noire taillee en pointe. L'oeil, autant que je pus le voir sous l'ombre d'un chapeau rabattu, etait bleu et doux. Les cheveux noirs et ondules, marques ca et la d'un fil d'argent. Ce n'etaient point la les traits caracteristiques d'un Espagnol, encore moins d'un Hispano-Americain; et, n'eut ete son costume, j'aurais assigne a mon voisin une toute autre origine. Mais il etait entierement vetu a la mexicaine, enveloppe d'une manga pourpre, rehaussee de broderies de velours noir le long des bords et autour des ouvertures. Comme ce vetement le couvrait presque en entier, je ne faisais qu'entrevoir en dessous une paire de calzoneros de velours vert, avec des boutons jaunes et des aiguillettes de rubans blancs comme la neige, pendant le long des coutures. La partie interieure des calzoneros etait garnie de basane noire gaufree, et venait joindre les tiges d'une paire de bottes jaunes munies de forts eperons en acier. La large bande de cuir pique qui soutenait les eperons et passait sur le cou-de-pied donnait a cette partie le contour particulier que l'on remarque dans les portraits des anciens chevaliers armes de toutes pieces. Il portait un sombrero noir a larges bords, entoure d'un large galon d'or. Une paire de ferrets, egalement en or, depassait la bordure; mode du pays. Cet homme avait son sombrero penche du cote de la lumiere, et paraissait vouloir cacher sa figure. Cependant, il n'etait pas disgracie sous ce rapport. Sa physionomie, au contraire, etait ouverte et attrayante; ses traits avaient du etre beaux autrefois, avant d'avoir ete alteres, et couverts d'un voile de profonde melancolie par des chagrins que j'ignorais. C'etait l'expression de cette tristesse qui m'avait frappe au premier aspect. Pendant que je faisais toutes ces remarques, en le regardant de cote, je m'apercus qu'il m'observait de la meme maniere, et avec un interet qui semblait egal au mien. Il fit sans doute la meme decouverte, et nous nous retournames en meme temps de maniere a nous trouver face a face; alors l'etranger tira de sa manga un petit cigarero brode de perles et me le presenta gracieusement en disant:
– Quiere a fumar, caballero? (Desirez-vous fumer, monsieur?)
– Volontiers, je vous remercie, – repondis-je en espagnol.
Et en meme temps je tirai une cigarette de l'etui.
A peine avions-nous allume, que cet homme, se tournant de nouveau vers moi, m'adressa a brule-pourpoint cette question inattendue:
– Voulez-vous vendre votre cheval?
– Non.
– Pour un bon prix?
– A aucun prix.
– Je vous en donnerai cinq cents dollars.
– Je ne le donnerais pas pour le double.
– Je vous en donnerai le double.
– Je lui suis attache. Ce n'est pas une question d'argent.
– J'en suis desole. J'ai fait deux cents milles pour acheter ce cheval.
Je regardai mon interlocuteur avec etonnement et repetai machinalement ses derniers mots.
– Vous nous avez donc suivis depuis l'Arkansas?
– Non, je viens du Rio-Abajo.
– Du Rio-Abajo! du bas du Del-Norte?
– Oui.
– Alors, mon cher monsieur, il y a erreur. Vous croyez parler a un autre et traiter de quelque autre cheval.
– Oh! non; c'est bien du votre qu'il s'agit, un etalon noir, avec le nez roux, et a tous crins; demi-sang arabe. Il a une petite marque au-dessus de l'oeil gauche.
Ce signalement etait assurement celui de Moro, et je commencai a eprouver une sorte de crainte superstitieuse a l'endroit de mon mysterieux voisin.
– En verite, repliquai-je, c'est tout a fait cela; mais j'ai achete cet etalon, il y a plusieurs mois, a un planteur louisianais. Si vous arrivez de deux cents milles au-dessous de Rio-Grande, comment, je vous le demande, avez-vous pu avoir la moindre connaissance de moi ou de mon cheval?
– Dispensadme, caballero! je ne pretends rien de semblable. Je viens de loin au-devant de la caravane pour acheter un cheval americain. Le votre est le seul dans toute la cavalcade qui puisse me convenir, et, a ce qu'il parait, le seul que je ne puisse me procurer a prix d'argent.
– Je le regrette vivement; mais j'ai