Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne
je puis ainsi parler, le meme type transmis de la mere a la fille; le meme front eleve, le meme angle facial, la meme ligne du nez, droite comme un rayon de lumiere, et la courbe des narines, delicatement dessinee en spirale, que l'on retrouve dans les medailles grecques. Leurs cheveux aussi etaient de la meme couleur, d'un blond dore; mais chez la mere l'or etait melange de quelques fils d'argent. Les tresses de la jeune fille semblaient des rayons du soleil, tombant sur son cou et sur des epaules dont les blancs contours paraissaient avoir ete tailles dans un bloc de Carrare. On trouvera sans doute que j'emploie un langage bien eleve, bien poetique. Il m'est impossible d'ecrire ou de parler autrement sur ce sujet. Au reste, je m'arrete la, et je supprime des details qui auraient peu d'interet pour le lecteur. En echange, accordez-moi la faveur de croire que la charmante creature, qui fit alors sur moi une impression desormais ineffacable, etait belle, etait adorable.
– Ah! il serait bien krande la gomblaisance, si matame et matemoiselle ils foulaient chouer la Marseillaise, la krante Marseillaise. Qu'en tit mein lieb fraulein? (Ma chere demoiselle.)
– Zoe! Zoe! prends ta mandoline. Oui, docteur, nous allons jouer, pour vous faire plaisir. Vous aimez la musique, et nous aussi. Allons, Zoe.
La jeune fille, qui jusque-la avait suivi avec attention le travail du naturaliste, se dirigea vers un coin de la chambre, et decrochant un instrument qui ressemblait a une guitare, elle retourna s'asseoir pres de sa mere. La mandoline fut mise d'accord avec la harpe, et les cordes des deux instruments retentirent des notes vibrantes de la Marseillaise. Il y avait quelque chose de particulierement gracieux dans ce petit concert. L'accompagnement, autant que j'en pus juger, etait parfaitement execute, et les voix, pleines de douceur, s'y harmonisaient admirablement. Mes yeux ne quittaient pas la jeune Zoe, dont la figure, animee par les fortes pensees de l'hymne, s'illuminait de rayons divins; elle semblait une jeune deesse de la liberte jetant le cri: "Aux armes!" Le botaniste avait interrompu son travail et pretait l'oreille avec delices. A chaque retour de l'energique appel: Aux armes, citoyens! le brave homme battait des mains et frappait la mesure avec ses pieds sur le plancher. Le meme enthousiasme qui, a cette epoque, mettait toute l'Europe en rumeur eclatait dans tous ses traits.
– Ou suis-je donc! Des figures francaises, de la musique francaise, des voix francaises, la causerie francaise! – Car le botaniste s'etait servi de cette langue, en s'adressant aux dames, bien qu'avec un fort accent des bords du Rhin, qui m'avait confirme dans ma premiere impression, relativement a sa nationalite. – Ou suis-je donc? Mon oeil errait tout autour de la chambre cherchant une reponse a cette question. Je reconnaissais le style de l'ameublement; les chaises de campeche avec les pieds en croix, un rebozo, un pautate de feuilles de palmier. Ah! Alp! Mon chien etait couche sur le tapis pres de mon lit, et il dormait.
– Alp!.. Alp!..
– Oh! maman! maman! ecoutez! l'etranger appelle.
Le chien s'etait dresse; et, posant ses pattes de devant sur le lit frottait son nez contre moi avec de joyeux petits cris. Je sortis une main de mon lit et le caressai en lui adressant quelques mots de tendresse.
– Oh! maman! maman! il le reconnait! Voyez donc!
La dame se leva vivement et s'approcha du lit. L'Allemand me prit le poignet, et repoussa le Saint-Bernard qui etait sur le point de s'elancer sur moi.
– Mon Dieu! il est mieux. Ses yeux, docteur, quel changement!
– Ya, ya! beaugoup mieux; pien beaugoup mieux. Hush! arriere, tog! En arriere, mon pon gien!
– Qui?.. quoi?.. dites-moi?.. ou suis-je? qui etes-vous?
– Ne craignez rien, nous sommes des amis. Vous avez ete bien malade.
– Oui, oui; nous sommes des amis, repeta la jeune fille…
– Ne craignez rien, nous veillerons sur vous. Voici le bon docteur, voici maman, et moi je suis…
– Un ange du ciel, charmante Zoe!
L'enfant me regarda d'un air emerveille, et rougit en disant:
– Ah! maman, il sait mon nom!
C'etait le premier compliment qu'elle eut jamais recu, inspire par l'amour.
– C'est pon, madame; il est pien beaugoup mieux; il sera pientot tepout, maindenant. Ote-toi de la, mon pon Alp! Ton maitre il fa pien; pon gien: a pas! a pas!
– Peut-etre, docteur, ferions-nous bien de le laisser. Le bruit…
– Non, non! je vous en prie, restez avec moi. La musique! voulez-vous jouer encore?
– Oui, la musique, elle est tres-ponne, tres-ponne pour la malatie.
– Oh! maman, jouons alors.
La mere et la fille reprirent leurs instruments et recommencerent a jouer. J'ecoutais les douces melodies, couvant les musiciennes du regard. A la longue, mes paupieres s'appesantirent, et les realites qui m'entouraient se perdirent dans les nuages du reve.
Mon reve fut interrompu par la cessation brusque de la musique. Je crus entendre, a moitie endormi, que l'on ouvrait la porte.
Quand je regardai a la place occupee peu d'instants avant par les executants, je vis qu'ils etaient partis. La mandoline avait ete posee sur l'ottomane, mais Elle n'etait plus la. Je ne pouvais pas, de la place que j'occupais, voir la chambre tout entiere; mais j'entendis que quelqu'un etait entre par la porte exterieure. Les paroles tendres, que l'on echange quand un voyageur cheri rentre chez lui, frapperent mon oreille. Elles se melaient au bruit particulier des robes de soie froissees. Les mots: "Papa! – Ma bonne petite Zoe!" ceux-ci, articules par une voix d'homme, se firent entendre. Ensuite vinrent des explications echangees a voix basse et que je ne pouvais saisir. Quelques minutes s'ecoulerent; j'ecoutai en silence. On marchait dans la salle d'entree. Un cliquetis d'eperons accompagnait le bruit sourd des bottes sur le plancher. Les pas se firent entendre dans la chambre et s'approcherent de mon lit. Je me retournai; je levai les yeux; le chasseur de chevelures etait devant moi!
XII
SEGUIN
– Vous allez mieux? vous serez bientot retabli; je suis heureux de voir que vous vous etes tire de la.
Il dit cela sans me presenter la main.
– C'est a vous que je dois la vie, n'est-ce pas?
Cela peut paraitre etrange, mais des que j'apercus cet homme, je demeurai convaincu que je lui devais la vie. Je crois meme que cette idee m'avait traverse le cerveau auparavant, dans la courte periode qui s'etait ecoulee depuis que j'avais repris connaissance. L'avais-je rencontre pendant mes courses desesperees a la recherche de l'eau, ou avais-je reve de lui dans mon delire?
– Oh! oui! me repondit-il en souriant; mais vous devez vous rappeler que j'etais redevable envers vous du risque que vous aviez couru de la perdre pour moi.
– Voulez-vous accepter ma main? Voulez-vous me pardonner?
Apres tout, il y a une pointe d'egoisme meme dans la reconnaissance.
Quel changement s'etait opere dans mes sentiments a l'egard de cet homme! Je lui tendais la main, et, quelques jours auparavant, dans l'orgueil de ma moralite, j'avais repousse la sienne avec horreur. Mais j'etais alors sous l'influence d'autres pensees. L'homme que j'avais devant les yeux etait le mari de la dame que j'avais vue; c'etait le pere de Zoe. Son caractere, son affreux surnom, j'oubliais tout; et, un instant apres, nos mains se serraient dans une etreinte amicale.
– Je n'ai rien a vous pardonner. J'honore le sentiment qui vous a pousse a agir comme vous l'avez fait. Une pareille declaration peut vous sembler etrange. D'apres ce que vous saviez de moi, vous avez bien agi; mais un jour viendra, monsieur, ou vous me connaitrez mieux, et ou les actes qui vous font horreur non-seulement vous sembleront excusables, mais seront justifies a vos yeux. Assez pour l'instant. Je suis venu pres de vous pour vous prier de taire ici ce que vous savez sur mon compte.
Sa voix s'eteignit dans un soupir en me disant ces mots, tandis que sa main indiquait en meme temps la porte de la chambre.
– Mais, dis-je a Seguin, desirant detourner la conversation d'un sujet qui lui paraissait