Les chasseurs de chevelures. Reid Mayne

Les chasseurs de chevelures - Reid Mayne


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une halte d'un jour, pour reparer nos forces, dans quelque vallon boise, garni d'une herbe epaisse et arrose d'une eau pure. De temps a autre, nous etions arretes pour racommoder un timon ou un essieu brise, ou pour degager un wagon embourbe. J'avais peu a m'inquieter, pour ma part, de mes equipages. Mes Missouriens se trouvaient etre d'adroits et vigoureux compagnons qui savaient se tirer d'affaire en s'aidant l'un l'autre, et sans se lamenter a propos de chaque accident, comme si tout eut ete perdu. L'herbe etait haute; nos mules et nos boeufs, au lieu de maigrir, devenaient plus gras de jour en jour. Je pouvais disposer de la meilleure part du mais dont mes wagons etaient pourvus en faveur de Moro, qui se trouvait tres-bien de cette nourriture.

      Comme nous approchions de l'Arkansas, nous apercumes des hommes a cheval qui disparaissaient derrieres des collines. C'etaient des Pawnees, et, pendant plusieurs jours, des troupes de ces farouches guerriers roderent sur les flancs de la caravane. Mais ils reconnaissaient notre force, et se tenaient hors de portee de nos longues carabines. Chaque jour m'apportait une nouvelle impression, soit incident de voyage, soit aspect du paysage, Gode, qui avait ete successivement voyageur, chasseur, trappeur et coureur de bois, m'avait, dans nos conversations intimes, instruit de plusieurs details relatifs a la vie de la prairie; grace a cela j'etais a meme de faire bonne figure au milieu de mes nouveaux camarades. De son cote, Saint-Vrain, dont le caractere franc et genereux m'avait inspire une vive sympathie, n'epargnait aucun soin pour me rendre le voyage agreable. De telle sorte que les courses du jour et les histoires terribles des veillees de nuit m'eurent bientot inocule la passion de cette nouvelle vie. J'avais gagne la fievre de la prairie. C'est ce que mes compagnons me dirent en riant. Je compris plus tard la signification de ces mots: La fievre de la prairie! Oui, j'etais justement en train de m'inoculer cette etrange affection. Elle s'emparait de moi rapidement. Les souvenirs de la famille commencaient a s'effacer de mon esprit; et avec eux s'evanouissaient les folles illusions de l'ambition juvenile. Les plaisirs de la ville n'avaient plus aucun echo dans mon coeur, et je perdais toute memoire des doux yeux, des tresses soyeuses, des vives emotions de l'amour, si fecondes en tourments; toutes ces impressions anciennes s'effacaient; il semblait qu'elles n'eussent jamais existe, que je ne les eusse jamais ressenties! mes forces intellectuelles et physiques s'accroissaient; je sentais une vivacite d'esprit, une vigueur de corps, que je ne m'etais jamais connues. Je trouvais du plaisir dans le mouvement. Mon sang coulait plus chaud et plus rapide dans mes veines, ma vue etait devenue plus percante; je pouvais regarder fixement le soleil sans baisser les paupieres. Etais-je penetre d'une portion de l'essence divine qui remplit, anime ces vastes solitudes qu'elle semble plus particulierement habiter? Qui pourrait repondre a cela? – La fievre de la prairie! – Je la sens a present! Tandis que j'ecris ces memoires, mes doigts se crispent comme pour saisir les renes, mes genoux se rapprochent, mes muscles se roidissent comme pour etreindre les flancs de mon noble cheval, et je m'elance a travers les vagues verdoyantes de la mer-prairie.

      III

      COURSE A DOS DE BUFFALO

      Il s'etait ecoule environ quatre jours quand nous atteignimes les bords de l'Arkansas, environ six milles au-dessous des Plum Buttes2. Nos wagons furent formes en cercle et nous etablimes notre camp. Jusque-la nous n'avions vu qu'un tres-petit nombre de buffalos; quelques males egares, tout au plus deux ou trois ensemble, et ils ne se laissaient pas approcher. C'etait bien la saison de leurs courses; mais nous n'avions rencontre encore aucun de ces grands troupeaux emportes par le rut.

      – La-bas! cria Saint-Vrain, voila de la viande fraiche pour notre souper.

      Nous tournames les yeux vers le nord-ouest, que nous indiquait notre ami. Sur l'escarpement d'un plateau peu eleve, cinq silhouettes noires se decoupaient a l'horizon. Il nous suffit d'un coup d'oeil pour reconnaitre des buffalos. Au moment ou Saint-Vrain parlait, nous etions en train de desseller nos chevaux. Reboucler les sangles, rabattre les etriers, sauter en selle et s'elancer au galop fut l'affaire d'un moment. La moitie d'entre nous environ partit: quelques-uns, comme moi, pour le simple plaisir de courir, tandis que d'autres, vieux chasseurs, semblaient sentir la chair fraiche. Nous n'avions fait qu'une faible journee de marche; nos chevaux etaient encore tout frais, et en trois fois l'espace de quelques minutes, les trois milles qui nous separaient des betes fauves furent reduits a un. La nous fumes eventes. Plusieurs d'entre nous, et j'etais du nombre, n'ayant pas l'experience de la prairie, dedaignant les avis, ayant galope droit en avant, et les buffalos, ouvrant leurs narines au vent, nous avaient sentis. L'un d'eux leva sa tete velue, renifla, frappa le sol de son sabot, se roula par terre, se releva de nouveau, et partit rapidement, suivi de ses quatre compagnons. Il ne nous restait plus d'autre alternative que d'abandonner la chasse, ou de lancer nos chevaux sur les traces des buffalos. Nous primes ce dernier parti, et nous pressames notre galop. Tout a la fois, nous nous dirigions vers une ligne qui nous faisait l'effet d'un mur de terre de six pieds de haut. C'etait comme une immense marche d'escalier qui separait deux plateaux, et qui s'etendait a droite et a gauche aussi loin que l'oeil pouvait atteindre, sans la moindre apparence de breche. Cet obstacle nous forca de retenir les renes et nous fit hesiter. Quelques-uns firent demi-tour et s'en allerent, tandis qu'une demi-douzaine, mieux montes, parmi lesquels Saint-Vrain, mon voyageur Gode et moi, ne voulant pas renoncer si aisement a la chasse, nous piquames des deux et parvinmes a franchir l'escarpement. De ce point nous eumes encore a courir cinq milles au grand galop, nos chevaux blanchissant d'ecume, pour atteindre le dernier de la bande, une jeune femelle, qui tomba percee d'autant de balles que nous etions de chasseurs a sa poursuite. Comme les autres avaient gagne pas mal d'avance, et que nous avions assez de viande pour tous, nous nous arretames, et, descendant de cheval, nous procedames au depouillement de la bete. L'operation fut bientot terminee sous l'habile couteau des chasseurs. Nous avions alors le loisir de regarder en arriere et de calculer la distance que nous avions parcourue depuis le camp.

      – Huit milles, a un pouce pres, s'ecria l'un.

      – Nous sommes pres de la route, dit Saint-Vrain, montrant du doigt d'anciennes traces de wagons qui marquaient le passage des marchands de Santa-Fe.

      – Eh bien?

      – Si nous retournons au camp, nous aurons a revenir sur nos pas demain matin. Cela fera seize milles en pure perte.

      – C'est juste.

      – Restons ici, alors. Il y a de l'herbe et de l'eau. Voici de la viande de buffalo; nous avons nos couvertures; que nous faut-il de plus?

      – Je suis d'avis de rester ou nous sommes.

      – Et moi aussi.

      – Et moi aussi.

      En un clin d'oeil, les sangles furent debouclees, les selles enlevees, et nos chevaux pantelants se mirent a tondre l'herbe de la prairie, dans le cercle de leurs longes. Un ruisseau cristallin, ce que les Espagnols appellent un arroyo, coulait au sud vers l'Arkansas. Sur le bord de ce ruisseau, et pres d'un escarpement de la rive, nous choisimes une place pour notre bivouac. On ramassa du bois de vache, on alluma du feu, et bientot des tranches de bosses embrochees sur des batons cracherent leurs jus dans la flamme, en crepitant. Saint-Vrain et moi nous avions heureusement nos gourdes, et comme chacune d'elles contenait une pinte de pur cognac, nous etions en mesure pour souper passablement. Les vieux chasseurs s'etaient munis de leurs pipes et de tabac; mon ami et moi nous avions des cigares, et nous restames assis autour du feu jusqu'a une heure tres-avancee, fumant et pretant l'oreille aux recits terribles des aventures de la montagne. Enfin, la veillee se termina; on raccourcit les longes, on rapprocha les piquets; mes camarades, s'enveloppant dans leurs couvertures, poserent leur tete sur le siege de leurs selles et s'abandonnerent au sommeil.

      Il y avait parmi nous un homme du nom de Hibbets, qui, a cause de ses habitudes somnolentes, avait recu le sobriquet de l'Endormi. Pour cette raison, on lui assigna le premier tour de garde, regardant les premieres heures de la nuit comme les moins dangereuses, car les Indiens attaquent rarement un camp avant l'heure ou le sommeil est le plus profond, c'est-a-dire un peu avant le point du jour. Hibbets avait gagne son poste, le sommet de l'escarpement, d'ou il pouvait apercevoir toute la prairie environnante. Avant la nuit, j'avais remarque une place charmante sur le bord de l'arroyo, a environ deux cents pas de l'endroit ou mes camarades etaient couches. Muni de mon rifle, de mon manteau et de ma couverture, je me dirigeai vers ce point en criant a l'Endormi,


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<p>2</p>

Mot a mot: Collines a fruit.