Robert Burns. Angellier Auguste
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Robert Burns / Vol. II., Les Oeuvres
INTRODUCTION
On s'étonnera peut-être de ne trouver, dans les pages qui suivent, aucun aperçu sur la formation du génie de Burns, aucun essai pour montrer de quels éléments il se compose, quelle part en revient à la race, au climat, aux habitudes de vie. C'est de parti-pris que nous nous sommes interdit toute tentative de ce genre. Nous concevons une étude aussi précise et aussi poussée qu'il est possible de la faire des caractères, des limites, de la force d'un génie, ou, pour mieux dire, de ses manifestations extérieures. Nous concevons aussi qu'on essaye de déterminer les conditions dans lesquelles le génie s'est exercé. Quant au génie lui-même, à sa formation et à ses causes profondes, nous croyons que vouloir l'expliquer est une tentative au-delà de nos pouvoirs d'analyse. Ce n'est pas qu'on ne puisse supposer avec vraisemblance que la race ait une part dans la formation du génie, et que le milieu, et le moment, si l'on veut, aient une part dans la forme de ses œuvres. C'est là un axiome philosophique qu'on ne peut guère discuter. Mais dès qu'on sort de cette affirmation générale, on est dans d'inextricables difficultés. Qui dira, en effet, ce qui revient à la race, si tant est qu'il y ait des races dans nos mondes mélangés et que les races aient un génie? Qui dira, chose peut-être plus importante, ce qui revient à une alliance unique de tempéraments, rapprochés à un moment unique, et produisant de leur union une combinaison supérieure à eux? Qui dira ce qui revient à des impressions d'enfance, innombrables, imperceptibles, ignorées, à des accidents de conversation, à l'harmonie de l'entourage ou aux réactions contre un entourage impropice? Qui dira les milliers d'influences dont l'énumération, si elle était possible, n'éluciderait encore rien, mais dont la rencontre, le nœud, en des proportions inappréciables, ont contribué à former un esprit? Ce sont là d'indéchiffrables problèmes dont la complexité est effrayante et décourageante.
Cette étude, si elle pouvait être faite, au lieu d'être une généralisation et l'application d'une formule, serait la plus particulière, la plus minutieuse qu'on puisse imaginer. Ce serait d'abord la possession indiscutable de tous les éléments ethniques qui sont entrés dans la composition d'un homme, et ce serait ensuite le relevé, jour par jour, des impressions, fournies par la nature, les livres et la vie, qui ont pu agir sur lui. Ce serait une suite de monographies individuelles, travaillées avec la dernière exactitude et poussées dans les derniers détails. Mais vouloir expliquer ces élaborations obscures et incalculables au moyen de quelques affirmations simples, non contrôlées, c'est recommencer, pour les choses mystérieuses de l'âme, les explications enfantines et sommaires que les sauvages donnent des phénomènes physiques. C'est l'état d'esprit le plus inscientifique qu'on puisse imaginer. C'est, à la face des choses, un exercice vain, incertain et stérile.
Il n'y a pas d'étude où il faille plus soigneusement se garder de cette tendance périlleuse que celle de la littérature anglaise. Un vigoureux esprit, qui semble avoir été toute sa vie prisonnier d'une de ces solutions trop simples qu'on accepte dans la jeunesse, l'a pendant longtemps dominée. Nous désirons parler de lui avec toute la déférence due à son mérite et à son labeur. À ce respect s'ajoute pour nous un sentiment de gratitude, car c'est lui qui, par l'éclat de ses pages, nous a conduit vers l'étude de la littérature anglaise. Sans doute, la même reconnaissance lui est due par plus d'un homme de notre génération. Son livre a été comme une fanfare, un drapeau déployé, qui ont tourné de ce côté les regards, excité les enthousiasmes et les zèles. Mais, en face de ce grand service, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il a faussé et, pour ainsi dire, obstrué, écrasé l'étude des œuvres littéraires anglaises. Car, s'il est difficile de résister d'abord à l'assurance de ses jugements et à l'autorité de son nom, on ne tarde pas, en y regardant de plus près, et lorsque l'habitude a engendré la familiarité, à voir apparaître les uns après les autres les faiblesses de son œuvre et les dangers de son système.
Il est inutile d'insister sur les inexactitudes matérielles qui ont fourni les matériaux de tout l'édifice. La conception historique du mélange des différentes races de la Grande-Bretagne est de fond en comble incomplète et fausse. Ce mélange est beaucoup plus compliqué qu'on ne semble le penser; la Grande-Bretagne est une cuve où ont été brassés ensemble et amalgamés vingt peuples dont quelques-uns restent mystérieux1. La destruction de l'élément celtique n'est plus admise. On est disposé au contraire à en reconnaître la persistance et l'importance2. En tous cas, la Cornouailles, le Pays de Galles, l'Écosse et l'Irlande sont des réservoirs assez riches de sang gaulois pour avoir fourni une longue infiltration, et des districts assez pauvres pour que ce courant se soit établi par l'attrait des régions plus riches et des villes. Aussi M. Matthew Arnold a pu soutenir, avec autrement de preuves et de vraisemblance, que la partie idéale et légère de la poésie anglaise est due à l'esprit gaulois. La représentation du milieu physique est inexacte. C'est un exercice littéraire, l'amplification d'une phrase de géographe ancien qui se représenterait, par ouï-dire, une île fabuleuse, je ne sais quelle vague et lointaine Cassitéride, perdue au loin quelque part, aux confins du monde, dans des brumes et des nuées. Mais l'Angleterre n'est pas un roc morose enveloppé d'un éternel brouillard. C'est une contrée fertile, grasse, heureuse et plantureuse autant que les Flandres ou la Normandie, et plus variée. Les terrains, cet élément si important d'un paysage, d'où dépend tout à fait sa nuance et en partie sa température, y sont divers. Elle a ses sites gais, légers de lignes, clairs de couleurs, tournés au soleil et réjouis par lui. L'idée d'un milieu commun est une pure abstraction. Dans une étendue un peu vaste de pays, surtout dans nos latitudes tempérées, il n'y a pas un milieu, il y en a des centaines qui diffèrent à quelques lieues de distance. Un revers d'une chaîne de collines n'est pas le même milieu que le revers opposé. Or, pour étudier l'influence d'un pays sur un homme, il ne faut pas faire une moyenne météorologique entre des limites d'une pure expression géographique, il faut connaître intimement les dix lieues carrées où il a vécu. De même il n'y a pas un milieu moral, il y en a à l'infini. Tel enfant est élevé dans une ville de province comme il y a cent ans; tel autre dans un village de montagne ou de côte comme il y a trois cents ans; tel autre, abandonné, mène, dans les bas fonds des grandes villes, une existence de rapines comme en vie sauvage. Les états de civilisation où grandissent ces jeunes êtres sont séparés par des centaines d'années; ils ne sont pas contemporains. Là encore chaque cas est à étudier à part. Enfin il est inutile de relever, dans le détail, tant de négligences et de distorsions de faits, au moyen desquelles, en omettant ici ce qui est important, en grossissant là ce qui ne l'est pas, en établissant des points de comparaison également défigurés et déformés, on obtient une apparence de logique.
On dira peut-être que ce ne sont là que des erreurs matérielles qui ruinent l'application du système sur un point donné. Il se pourrait que les cadres en restassent solides et que, mieux remplis, ils fussent capables de vérité. Mais ce qu'il y a de plus grave, c'est que, dans quelques conditions qu'il fût appliqué, ce système était condamné à l'avance, parce que la conception même en est radicalement défectueuse.
L'idée de race pure, sur laquelle repose tout l'édifice, est flottante, peu solide et controversée. Mais alors même qu'elle aurait quelque chose d'exact pour le physique, elle ne peut avoir aucune solidité pour le moral. Et cela pour deux raisons. D'abord parce que rien ne prouve que quelques différences dans les caractères corporels, si faibles d'ailleurs et si superficielles, la courbe d'un nez, la couleur des yeux ou des cheveux, entraînent des différences et des différences capitales dans le régime intellectuel. Ensuite, parce que la psychologie des races est encore plus problématique. Il ne suffit pas d'appliquer quelques adjectifs vagues à quelques dénominations ethnologiques pour obtenir l'âme d'une fraction de l'humanité. Cette psychologie semble d'ailleurs impossible à établir. Il n'y a pas de commune mesure dans les jugements moraux réciproques des races les unes sur les autres. Le jugement tombe autant sur celui qui juge que sur celui qui est jugé. L'excès que je trouve à quelque chose peut n'être qu'une déclaration de mon insuffisance sur ce point-là. Le trop et le trop peu, qui sont au fond de toute appréciation, peuvent être un verdict sur moi plus que sur celui que je vise. Il n'y a pour de pareilles sentences aucune échelle, et à ce conflit aucun arbitrage. De telles décisions peuvent alimenter des habitudes, des satisfactions d'esprit; elles alimentent des préjugés, le plus souvent. C'est un système qui détruit son application; car, si tout homme est le résultat d'un ensemble,
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Sur la survivance de certains types qu'on ne sait à quelle branche rattacher, voir le chapitre VI, dans le remarquable ouvrage de Charles. I. Eldon,
Ces faits rendent extrêmement probable qu'une partie de la population néolithique a survécu jusqu'à nos jours, sans doute avec une amélioration constante provenant de son croisement et de son mélange avec les nombreuses autres races qui ont successivement envahi la Grande-Bretagne» (
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Sur ce point capital, il suffit de lire les travaux qui sont autre chose que des histoires à prétendues tendances patriotiques pour savoir à quoi s'en tenir. On peut lire
M. Elton dit en parlant des tribus celtiques de l'intérieur: «L'histoire de ces peuples celtiques nous touche de plus près que les maigres traditions des Pictes et des Siluriens, ou même l'histoire plus complète que nous possédons des colons gaulois civilisés. Les Gaulois vivaient surtout dans la partie sud-est de l'Angleterre et leur postérité doit avoir été chassée ou détruite, avec comparativement peu d'exceptions, dans les dernières guerres de massacre. On peut être sûr que les Anglais expulsèrent leurs ennemis «aussi complètement que cela a jamais été possible pour des envahisseurs». Mais certains des naturels ont dû demeurer dans les cités et places fortifiées, qui restèrent longtemps respectées; quelques-uns des plus puissants chefs peuvent avoir acheté la tranquillité de leur peuple «surtout dans les districts qui étaient occupés par les plus faibles bandes d'aventuriers», et des multitudes de femmes celtiques durent être gardées en mariage ou en servitude. Mais on admet que jusqu'au nord du Trent et dans tous les comtés de l'ouest, le caractère de la population ne subit pas de changement considérable. Les signes de l'élément celtique sont apparents dans le ton et même dans l'idiome de quelques-uns des dialectes provinciaux, dans les noms de notre géographie rurale et dans les mots de vie quotidienne employés pour les choses communes et domestiques; et quelques-uns ont même distingué la présence dans notre littérature d'un coloris brillant et d'une note romanesque qu'ils attribuent à une influence celtique persistante (
Enfin rien ne peut être plus décisif et plus lumineux sur ce point que le travail de Huxley: