La fabrique de mariages, Vol. I. Féval Paul

La fabrique de mariages, Vol. I - Féval Paul


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arrivées! Il y eut bien un léger échange de pinçons, de tapotes et de croquignoles entre celles qui voulaient passer toutes à la fois, mais la sous-maîtresse ne les vit pas. – Elles souffrent tant, ces pauvres sous-maîtresses, que parfois elles deviennent méchantes.

      C'est assez rare. Ordinairement, elles s'engourdissent dans leurs misères et supportent avec un égal stoïcisme les piqûres des élèves et les coups de boutoir de madame.

      – Chacun son tour! chacun son tour! disait la petite bonne femme, débordée; – tout le monde en aura si on ne me tracasse pas… Un sou, mademoiselle Valérie… Vous voulez des pommes, vous, mademoiselle Anaïs? Attendez: les pommes, c'est en dernier… Deux sous, mademoiselle Célestine… Voyons! saperlotte! chacun son tour!

      Un joyeux rire s'éleva, mêlé de trépignements: on aimait à la faire jurer saperlotte.

      Les retenues se mirent à pleurer parce qu'elles n'avaient point leur part de cette fête, et la sous-maîtresse leur dit:

      – Que cela vous apprenne à être sages!

      Pour exprimer cette pensée, mademoiselle Mélite Géran eût fait assurément un discours. Mais elle avait tant de talent.

      Elle était là, mademoiselle Mélite, avec sa robe de soie et sa tabatière d'or.

      Elle montrait justement à une nouvelle cliente le joyeux spectacle des fillettes entourant la marchande de plaisir.

      Mademoiselle Philomène faisait de même. Mélite était sur le perron; Philomène au milieu de la pelouse abandonnée.

      Mélite endoctrinait savamment une grosse négociante, épaisse et lourde, qui avait apporté sa fille, chétive enfant de sept ans; Philomène séduisait une svelte baronne qui tenait par la main un beau petit ange coquet, gracieux et mutin.

      – Certes, certes, madame, disait Mélite avec sa belle dignité, – j'ai beaucoup entendu parler de la maison Maillard-Coquelin, banque, recouvrements…

      – Surtout la commission pour l'exportation, interrompit la négociante.

      – J'allais avoir l'honneur de le dire, madame… Notre établissement est tout spécialement monté pour le haut commerce.

      – Oh! fit madame Maillard-Coquelin, – notre fille ne sera pas dans le commerce.

      – J'entends bien, madame, répliqua Mélite souriant finement – mais noblement; – l'héritière d'une maison comme la vôtre…

      – M. Maillard va se retirer dans deux ans.

      – Si jeune encore!.. Ah! le commerce, dans des mains habiles…

      – Et probes, mademoiselle!

      – Et probes, c'est sous-entendu quand il s'agit de la maison Maillard-Coquelin… Le commerce est la première profession du monde!

      – Maman, dit la petite Maillard-Coquelin, elles mangent du plaisir.

      – Mademoiselle Cornélie! appela Mélite.

      La sous-maîtresse vint aussitôt.

      – Allez chercher du plaisir à ce cher amour, dit Mélite.

      – Ah! mademoiselle… fit la mère reconnaissante.

      – Mon Dieu, madame, reprit Mélite modestement, – notre soin principal est de nous faire aimer de nos enfants… Vous voyez le jardin… elles sont ici comme dans le paradis.

      – Pour jouer, objecta madame Maillard-Coquelin, – c'est très-bien… mais pour travailler… D'abord, je veux qu'Angélina travaille.

      – Angélina! se récria Mélite en caressant la joue blafarde de l'enfant; – quel nom distingué!

      – Vous trouvez?.. c'est moi qui l'ai choisi… On voulait l'appeler Jeanne, comme une cuisinière.

      – Quant au travail, reprit Mélite.

      – Je veux de l'histoire, interrompit la négociante, – de la géographie, du piano, des analyses, un peu de philosophie…

      Cornélie, la sous-maîtresse, revenait avec le plaisir. – Ce fut mademoiselle Mélite qui le donna elle-même à l'enfant.

      – Madame, dit-elle, si nos conditions vous conviennent, fiez-vous à moi. J'ai déjà pour Angélina la plus tendre sympathie. Je la surveillerai spécialement et je m'engage à faire d'elle ce que nous appelons un brillant sujet!

      Ce dernier mot fut lancé, comme on dit au théâtre. Mademoiselle Mélite en savait l'effet d'avance. Elle reconduisit mademoiselle Maillard-Coquelin jusqu'à la porte de la rue, et celle-ci lui dit en partant:

      – Demain, j'amènerai la petite.

      Vous pensez si Mélite embrassa Angélina de bon cœur!

      – Ah! madame! disait pendant cela Philomène à la baronne, – nous ne vivons pas encore assez en dehors du monde pour ignorer l'éclat de certains noms historiques… N'y eût-il pas un Salvage aux croisades?

      – Deux, répondit madame la baronne de Salvage.

      – A la première, mais un seul à la seconde, je crois ne pas me tromper… Pierre de Saulx, chevalier, seigneur de Salvage, était à Bouvines avec Philippe-Auguste… Vous portez écartelé, au premier et quatrième de sable au croissant d'argent qui est Saulx, au troisième et deuxième burellé d'or et de gueules, au franc canton d'hermines qui est Salvage.

      La baronne la regardait, stupéfaite et enchantée.

      – Vous savez…? murmura-t-elle.

      Philomène eut un sourire.

      – Ma foi, chère demoiselle, ajouta la jolie baronne, – je serais bien embarrassée s'il me fallait blasonner ainsi couramment notre écusson.

      – Ne vous étonnez pas, madame, dit Philomène, – c'est ici la pension de la noblesse.

      La baronne fronça légèrement ses sourcils aquilins.

      – Je ne tiens pas à cela, dit-elle; – il faut que ma petite Jeanne s'habitue à voir tout le monde.

      – Jeanne! se récria Philomène, qui se baissa pour embrasser l'enfant; – quel nom distingué!

      – Ce n'est pas l'avis de mon cordon bleu, répliqua la baronne en riant; – elle s'appelle Angélina et se fâche quand M. le baron lui défend d'appeler sa fille Juanita…

      – Petite maman, dit l'enfant, – celles-là mangent du plaisir… c'est bon.

      Philomène ouvrait la bouche pour appeler mademoiselle Cornélie, mais elle n'eut pas le temps.

      – Va, Jeanne, dit la baronne; – fais comme elles.

      Jeanne s'élança comme une petite folle. Au bout d'une minute juste, elle avait conquis son plaisir, poussé et embrassé toute la pension Géran.

      – Ma chère demoiselle, reprit madame de Salvage pendant l'absence de Jeanne, – veuillez excuser mon ignorance… Quelles sont vos études?.. J'espère que vous n'apprenez pas le blason à ces fillettes?

      – Nous apprenons le français, madame la baronne, – l'anglais, l'allemand, l'italien…

      – C'est parfait…

      – L'histoire, la géographie, la littérature…

      – Ont-elles bien le temps de jouer? demanda la baronne.

      – Pour cela, je vous en réponds.

      – Et les ouvrages d'aiguille?

      – Nous nous en occupons beaucoup.

      – Dans notre famille, voyez-vous, nous sommes des femmes de maison et de ménage.

      – De vraies femmes de gentilshommes! s'écria Philomène avec admiration.

      – Vous êtes trop bonne, chère demoiselle; – Jeanne ne doit point être un petit prodige.

      – Ce


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