La fabrique de mariages, Vol. III. Féval Paul

La fabrique de mariages, Vol. III - Féval Paul


Скачать книгу
dit sans l'offenser puisqu'il est présentement mon gendre, et comme tel de ma famille, – en outre que M. le comte savait que je le cherchais l'arme au bras, l'ayant dit ici et là, et partout, à qui voulait l'entendre, à haute voix, que j'aurais, le cas échéant, le sang du séducteur jusqu'à la dernière goutte!

      Niquet: Quand on s'y prend comme ça… voilà!

      Palaproie: Ça y est!

      Barbedor: Alors, tu n'as pas été de la noce?

      Niquet à Palaproie: Est-il taquinant, ce gros robinet à vin blanc.

      Palaproie: Ah! mais oui!

      Roger, qui a regardé de travers le cousin Jean-François: C'est sous-entendu qu'ils s'étaient mariés à l'église d'abord dans un petit pays prussien, là-bas, vers la Nouvelle-Montagne, connue par son zinc. La lettre était justement pour me demander mon consentement par écrit et les papiers, afin de se marier au civil devant la loi… Il n'y avait pas trop à réfléchir; puisque les choses étaient comme ça pas mal avancées… d'ailleurs, le parti ne me déplaisait pas au fond…

      Niquet: Pas dégoûté, l'ancien!

      Palaproie: Ah! mais non!

      Barbedor, avec un sourire: Un titre de comtesse avec huit cent mille livres de rente.

      Roger, solennellement: Il n'y a point sous la calotte des cieux un parti trop haut pour la fille d'un capitaine de l'armée française!

      Niquet: Bien dit!

      Palaproie: C'est que ça y est!

      Barbedor: Et, quand tu arrivas, cousin, le mariage civil était fait?

      Roger: Grâce aux papiers que j'avais eu soin d'envoyer d'avance.

      Barbedor: Le mariage civil se fit aussi dans ce petit village prussien?..

      Roger: Non pas!.. à Bruxelles en Brabant, ville de trois cent mille âmes, au su et au vu de tous les habitants de cette capitale… Voilà comme ça se joue, mon vieux, quand l'éducation y est, et les manières, et les principes, enfin tout ce qui compose le truc… sans compter qu'un papa d'un certain genre ne nuit pas à la chose… pas vrai, Niquet?

      Niquet: Tu veux mon avis? le voilà: Tu as mérité le bonheur de ton enfant!

      Palaproie: Ça y est… dans le cinq cents… du premier coup!

      Jean-François Vaterlot tirait cependant sur sa pipe comme un malheureux. Un observateur eût aisément jugé qu'il avait encore quelque chose à demander.

      Mais la question était apparemment bien grosse… elle ne pouvait passer.

      – Eh bien, cousin! dit le triomphant Roger en lui versant à boire, – ça a l'air de te chiffonner, cette aventure là.

      – Nom d'un cœur! se récria Barbedor; – pourquoi donc?

      – Y a comme ça des particuliers qu'ont de la jalousie, continua le sergent.

      – Ah! mais! fit l'adjudant.

      – Tonnerre! gronda Vaterlot; – si ces deux-là jouissaient seulement chacun d'une jambe de rechange, on parlerait par gestes tous trois, mais contre deux… et y aurait encore du retour à donner… mais n'y a rien à faire avec ces écloppés… Moi jaloux? Dieu merci! je me bats l'œil des comtes et des barons!.. quand le mur d'octroi va être percé… seulement, on aime à s'instruire, pas vrai… Moi qui parle, je n'ai pas voyagé beaucoup… j'aimerais savoir si les actes de mariage, c'est fait comme chez nous dans ce pays de Belgique.

      – Ma foi, répondit Roger, – je n'en sais rien… ça doit être quelque chose d'approchant.

      Si le vieux capitaine avait examiné son cousin Jean-François en ce moment, il aurait vu s'épaissir la couche écarlate qui enluminait si violemment sa grosse face.

      Barbedor travaillait pour la barrière des Paillassons, – le traître!

      – Pardon, excuse, reprit-il bonnement, – j'avais cru que tu avais vu l'acte de mariage de ta fille… Tu n'es pas curieux, quoi, voilà!

      – Est-ce que tu voudrais insinuer…? commença Roger, qui fronça le sourcil.

      Jean-François Vaterlot avait ce qu'il était venu chercher. Le renseignement conquis par lui valait bien la recherche faite par Léon Rodelet dans les cartons de maître Souëf (Isidore-Adalbert).

      Il possédait désormais de quoi payer l'article du Journal des Débats.

      Le sergent Niquet et l'adjudant Palaproie, comprenant vaguement que ce sujet d'entretien blessait leur bon ami Roger, étaient tout disposés à s'y cramponner, tant ils avaient l'âme bonne. Ce fut Barbedor lui-même qui changea brusquement la conversation.

      Il donna une ronde poignée de main au cousin et dit:

      – Des fois, en voulant prouver qu'on prend de l'intérêt aux amis, on a l'air de s'immiscer fâcheusement dans leurs affaires du particulier… Si j'ai commis une ou plusieurs gaucheries, l'intention n'y était pas réputée pour le fait… Tu as crânement marié ta fille, cousin; tant mieux pour elle et pour toi: je n'en éprouve que le plaisir le plus sincère de t'en adresser mon compliment… En raison de quoi, débouchons-en une nouvelle et chantons sans rancune des hymnes patriotiques en l'honneur de Bacchus!

      Roger ne repoussa point la main qu'on lui tendait, mais un nuage resta sur son front, tandis que Niquet, Palaproie et Jean-François entonnaient une de ces chansons militairement rabelaisiennes, où l'on se moque des moines, des nonnes, des prêtres, etc., etc., avec autant d'esprit que de cœur.

      Il but quatre ou cinq verres coup sur coup et ne fit chorus qu'au troisième couplet.

      A la fin de la chanson, il dit comme malgré lui:

      – Cartouchibus! quand j'arrivai à Maestricht, ils étaient mariés dur comme du fer!.. on l'appelait madame la comtesse… et j'eus une pipe garnie pour cadeau de noces… Du diable si l'idée me vint de réclamer l'acte de mariage!..

      – Comment! s'écria Barbedor, – tu en es encore à ruminer là-dessus, cousin?

      – Foutrimaquette! gronda le capitaine; il m'appela beau-père tout de suite… et le poulet qui osera se moquer d'un gaillard comme moi n'est pas encore sorti de sa coquille!

      V

      – Le réveil de Béatrice. —

      Le soleil de midi inclinait les bouquets trop lourds des lilas. Le feuillée était chaude; sous les bosquets, l'air circulait tout imprégné du parfum des fleurs.

      Ces tièdes matinées où le printemps mûr a déjà les langueurs de l'été, répandent ces senteurs particulières qu'on reconnaît toute sa vie après les avoir respirées une fois. Cela produit sur les sens le double effet d'un cordial et d'un narcotique. L'âpre émanation des feuilles toutes jeunes, frappées par le rayon trop brûlant, se mêle aux suaves aromes des corolles tôt ouvertes. L'herbe qui pousse jette de vigoureuses effluves, la terre fermente; il semble que chaque odeur distincte puisse être perçue dans la brise, qui pourtant les entraîne confondues.

      C'était ainsi dans ce beau jardin de Mersanz, dont les allées déroulaient leur sable d'or sous les vertes voûtes. Le balcon de l'hôtel du Tresnoy ne voyait que la plate-forme où trônait ce quatuor burlesque, commandé par le capitaine Roger. A droite et à gauche, c'étaient de mystérieux bosquets, des pelouses abritées où nul indiscret regard ne pouvait pénétrer. Au bout des larges avenues, quelques statues blanches se montraient à demi. La pièce d'eau bruissait derrière les charmilles, précédant la cascade qui se perdait là-bas dans la grotte envahie par les lierres.

      Il y avait, vers l'extrémité orientale de l'hôtel, deux croisées dont les persiennes étaient closes. Elles donnaient sur un gracieux parterre au delà duquel un quinconce de grands ormes abaissait des branches pleureuses jusque sur la pelouse.

      Deux cignes nageaient silencieusement sur le bassin aux lèvres de marbre et se jouaient autour du jet d'eau patient, qui dispersait au soleil sa petite gerbe nacrée.

      Ces


Скачать книгу