Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4 - Féval Paul


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une occasion pareille! Je me serais fait fort de vous obtenir, moi, tout ce que vous auriez voulu… Trente bonnes mille livres de rente, car cet homme-là est fou!.. Des créatures comme ça refuser trente mille livres de rente!.. Dites donc, avez-vous l'argent de votre mois pour me payer? Ah! ah! j'ai été trop bonne avec vous! Demain soir, foi d'honnête femme, les gens du grenier iront coucher dans la rue!..

      Diane restait toujours calme. A la voir, on eût dit que toutes ces paroles insultantes ne lui étaient point adressées.

      A ces derniers mots, pourtant, elle se tourna vers madame Cocarde avec lenteur.

      La principale locataire, qui crut à une attaque, mit le poing sur la hanche d'un air intrépide; mais ses bras tombèrent lorsqu'elle entendit la jeune fille lui demander froidement:

      – Combien faut-il d'argent pour faire trente mille livres de rente?

      – Comment dites-vous, mon cœur?.. balbutia madame Cocarde. Combien il faut d'argent, en capital?..

      – Oui.

      – Six cent mille francs au denier vingt.

      – Six cent mille francs!.. répéta Diane en regardant sa sœur à la dérobée.

      La petite femme se rapprochait.

      – Est-ce que nous allons être gentilles?.. murmura-t-elle avec un retour subit de caressante douceur.

      Diane pensait.

      Puis elle dit d'un ton tranquille:

      – Cet homme… pourrait-on y aller ce soir?

      Madame Cocarde recula d'un pas, et Cyprienne releva la tête en sursaut pour jeter à sa sœur un regard stupéfait. Elle se croyait le jouet d'un rêve.

      Il n'y avait pas la moindre trace d'émotion sur le beau visage de Diane.

      – Peste!.. fit la petite femme; ce soir!.. Comme on y va maintenant!.. Ah çà! mignonnes, vous vous êtes donc joliment moquées de moi?..

      – Diane! prononça tout bas Cyprienne.

      Diane lui imposa silence d'un geste glacé.

      – Je vous demande, dit-elle en s'adressant à la principale locataire qu'elle regardait en face, si on peut aller chez cet homme ce soir?

      – Mais… je ne vois pas… balbutia madame Cocarde; sans doute…

      Elle ajouta en aparté:

      – Au fait, je ne réponds de rien, moi!.. C'est lui qui les a dénichées!.. Mais, tudieu! il paraît que les petits anges savent déjà ce que parler veut dire!.. Tout de suite, mon séraphin! reprit-elle en souriant à Diane, et je vous promets que vous serez bien reçues… et que vous trouverez là un souper tout servi!

      – C'est bon… dit Diane; voulez-vous nous y conduire?

      – Oh! ma sœur!.. fit Cyprienne en joignant les mains.

      – Si je le veux!.. s'écria la petite femme; je passe un châle; je mets un chapeau, et j'envoie chercher une voiture… Attendez-moi, mes biches!.. je suis à vous dans deux minutes!

      Elle sortit en courant.

      Les deux jeunes filles restèrent seules.

      Cyprienne regardait sa sœur avec de grands yeux ébahis, et ne pouvait point trouver de paroles pour l'interroger.

      Diane était immobile, la taille droite, les bras croisés sur sa poitrine.

      – Six cent mille francs!.. dit-elle enfin… de quoi racheter Penhoël!

      – Oh!.. mon Dieu! fit Cyprienne.

      – Écoute!.. reprit Diane, pendant que tu allais acheter du pain, j'étais là-haut, moi, et je les voyais souffrir! Comme Madame est changée!.. Ses yeux n'ont plus de larmes… Et notre vieux père qui va chaque jour de porte en porte, repoussé partout… abreuvé partout d'insultes et de mépris!..

      Cyprienne pleurait.

      – C'est vrai!.. c'est vrai! dit-elle parmi ses larmes. Mais la honte!..

      Diane la prit entre ses bras et la couvrit d'un regard de mère.

      – Tu as raison, pauvre enfant!.. murmura-t-elle; ne viens pas… car c'est encore un combat… et si l'on échoue, cette fois, il faudra bien mourir…

      – J'irai… dit Cyprienne.

      VI

      L'HOTEL MONTALT

      Nehemiah Jones, le majordome de Montalt, était un gentleman et un homme de goût parfait. Il avait acheté pour son maître un des plus confortables hôtels du faubourg Saint-Honoré; un hôtel largement séparé de la voie où fourmille la foule bruyante et gênante, isolé au beau milieu de la grande ville, ombragé par des arbres centenaires et ouvrant la haute porte de ses salons sur des jardins de prince.

      Nehemiah Jones avait trouvé cela entre les Champs-Élysées et la place Beauveau. C'était une retraite choisie d'où la vue rencontrait partout des arbres, du gazon, des fleurs, et nulle part l'autre côté de la rue, cette odieuse barrière qui borne l'horizon parisien! nulle part la fenêtre curieuse du voisin; nulle part le dos de ces civilisés qui passent des heures en contemplation devant les vitres des cordonniers ou des marchands de parapluies.

      Et c'était charmant! Une sorte de riant palais, bâti sous le règne de Louis XV, alors que les bosquets de Beaujon étaient bien loin de Paris encore et cachaient seulement les façades mignonnes des folies nobles ou financières.

      L'hôtel Montalt, comme on l'appelait déjà dans le faubourg, affectait la forme régulière d'un château du xviiie siècle dessiné par Péronnet ou Gabriel.

      C'était un corps de bâtiment carré, flanqué de deux pavillons symétriques. Au-dessus du deuxième étage, dont chaque fenêtre avait à son sommet des têtes rieuses de nymphes ou de satyres, régnait une galerie ajourée, tournant autour du toit et le masquant presque entièrement. Sur le fronton triangulaire, Coustou le jeune avait taillé deux dryades, couchées à demi et soutenant un écusson de marbre.

      Sous le fronton, quatre colonnes doriques supportaient un large balcon, dont la saillie abritait la dernière marche d'un perron circulaire, où s'étageaient douze paires de vases à fleurs.

      En quittant la cour plantée d'arbres pour monter les degrés du perron, vous trouviez un spacieux vestibule, soutenu par un péristyle d'ordre corinthien en marbre violet, avec chapiteaux de bronze; l'œil enfilait le corps de logis, percé à jour, et allait se reposer sur la belle verdure du jardin situé derrière l'hôtel.

      Aux deux côtés du vestibule, pavé en mosaïque romaine, s'ouvraient, à droite, le salon, la galerie, la bibliothèque, le tout en enfilade; à gauche, sous une tête de cerf monstrueuse, la salle à manger, où pouvaient s'asseoir cinquante convives.

      En face du perron, l'escalier d'honneur montrait sa haute rampe d'acier ciselé, rehaussé de volutes d'or, de pampres et de fleurs. Du côté opposé à la rampe, au-dessus d'un lambris en marbre violet comme celui des colonnes, Desportes avait mis quelques-unes de ses larges peintures, sur lesquelles le dôme transparent qui terminait l'escalier jetait la lumière à grands flots.

      La terrasse, tournant deux fois sur elle-même avec ses balustrades de marbre blanc, s'ouvrait au delà du vestibule et descendait au jardin. C'était un vrai petit parc, qui s'étendait à gauche de l'avenue Marigny jusqu'aux maisons du faubourg d'une part, de l'autre, jusqu'aux abords des Champs-Élysées.

      On était là surtout en plein xviiie siècle. Après le beau parterre, venait le boulingrin Pompadour et les tilleuls énormes, taillés en arcades. Puis c'étaient des statues, habillées de mousse et cachées dans des niches de verdure, des jets d'eau qui voulaient être rustiques, des naïades, des tritons, Neptune, Amphitrite, etc., le tout entouré d'un cercle de buis centenaires à qui le ciseau avait donné mille formes architecturales ou fantastiques.

      Par delà les grands buis, il y avait des labyrinthes ombreux où Cupidon et sa sœur se jouaient, aimaient, souriaient, se groupaient sous la feuillée, suivant


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