Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4 - Féval Paul


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a brisés. Mais le nabab disait bien souvent que jamais il n'avait aimé…

      C'était sa nature, sans doute.

      Il fallait croire cela, bien que difficilement on pût concilier ce vide glacé du cœur, ce matérialisme sans contre-poids avec la belle générosité qui perçait, non point dans ses paroles, mais dans ses actions.

      Il y avait tant de contrastes dans cet homme!

      Ceux qui l'approchaient le plus intimement n'auraient point osé le juger, encore moins le définir. En principe, son âme semblait perdue; il n'y avait plus rien en lui que doute, négation, blasphème. Tout ce qui est bon, tout ce qui est saint, excitait son mépris ou sa raillerie. Il ne voulait croire qu'au mal. Et pourtant, à part les fautes de sa vie systématiquement dissolue, il ne faisait que le bien.

      C'était comme une lutte entre sa nature bonne, sensible, miséricordieuse, et quelque système impie, qu'il s'était imposé de force à lui-même. C'était, si l'on peut s'exprimer ainsi, un homme arrivé à la religion du vice, et tâchant d'expier ses vertus. C'était surtout, du moins aurait-on pu le croire s'il n'avait pris à tâche de le nier constamment, un homme blessé par le sort injuste et qui avait cette folie bizarre de tourner sa vengeance contre Dieu même.

      Ses bonnes actions, il les cachait avec un soin minutieux et jaloux, avec un soin presque égal à celui qu'il mettait à se parer de ses fautes. Vis-à-vis même du serviteur chargé de répandre ses bienfaits, il s'en excusait comme d'une faiblesse honteuse. Par un raffinement d'ironie, ce même serviteur remplissait auprès de lui un emploi sans nom.

      C'était un Anglais appelé Smith. Des sommes énormes passaient par les mains de ce Smith. La plus grande part était affectée à des aumônes, bien que Montalt fît semblant de croire parfois que le tout passait au budget de ses plaisirs.

      Le soir, en revenant du jeu, Montalt entrait dans une chambre ornée de tout ce que le luxe peut offrir de plus merveilleux. Une fois sortie de cette chambre, la femme qui y était entrée n'y devait plus rentrer jamais. Ce n'était pas néanmoins un exil, car elle avait droit dorénavant de franchir la porte close de l'hôtel et d'assister aux magnifiques fêtes du nabab.

      Ce qui n'était pas un mince privilége.

      M. Smith n'avait pas encore été au dépourvu, et pas une fois, la chambre consacrée ne s'était trouvée vide à l'heure où le nabab rentrait d'ordinaire.

      Mais celui-ci, en cela comme en toute autre chose, avait ses caprices soudains et impérieux. Il lui arrivait bien souvent de passer franc devant la chambre, au devant de laquelle veillaient les deux noirs, sans même jeter un regard à l'intérieur.

      Ces soirs-là, il entrait seul dans son appartement, dont il fermait la porte à double tour. On l'entendait se promener longtemps et à grands pas sur le parquet de sa chambre à coucher. Parfois, ses serviteurs curieux prétendaient avoir ouï, à travers la porte, comme un sourd gémissement…

      Le lendemain, on le trouvait sur son lit, pâle et brisé de lassitude. On n'osait point lui adresser la parole; à peine prenait-on le courage de regarder à la dérobée son visage défait et bouleversé.

      Ces jours-là, il ne mangeait point. Il restait jusqu'au soir assis sur son divan, tandis que ses deux nègres, immobiles et muets, attendaient ses ordres.

      Ceux qui eussent pu pénétrer le secret de sa vie auraient remarqué que ces tristesses mornes et profondes le prenaient chaque fois que les hasards du jeu le forçaient à enlever un diamant au couvercle de sa boîte de sandal.

      Et assurément, ce n'était pas la perte elle-même qui le navrait ainsi, car on n'avait jamais vu au Cercle des Étrangers un joueur plus calme et plus impassible.

      Les jours dont nous parlons, personne ne pénétrait près de lui, pas même Étienne et Roger qu'il aimait tant à voir d'habitude.

      Car, en ceci du moins, le nabab avait fait exception à son inconstance. Cette amitié de hasard, nouée dans le coupé d'une diligence, eût gardé pour bien des gens, dans son origine même, un germe de rupture. Mais, pour Montalt, c'était tout le contraire; il se disait avec un souverain plaisir que cette liaison n'avait aucune cause logique: on n'était ni parent ni voisin; on n'avait point été élevé ensemble; on ne s'était point dévoué mutuellement l'un pour l'autre: donc, il y avait chance que l'on pût s'aimer…

      Pour sa part, il aimait les deux jeunes gens beaucoup plus que le premier jour. Il était fou du talent d'Étienne; il applaudissait de tout son cœur aux moindres saillies de Roger. Vous eussiez dit parfois, lorsqu'ils étaient ensemble, un père entre ses deux fils chéris tendrement.

      Mais c'était plus souvent encore un joyeux camarade, et alors il n'était plus possible de ramener la moindre idée paternelle. Montalt, jeune comme eux par la beauté, par l'esprit, par l'élégance exquise, pouvait passer facilement pour le frère aîné, à qui deux ou trois années de plus donnent du poids et de l'aplomb.

      Il poursuivait avec une héroïque patience l'œuvre entamée sur la route de Rennes à Paris. Chaque fois que les deux jeunes gens et lui se trouvaient ensemble, il prêchait; c'était sa manie. Il voulait faire d'Étienne et de Roger des philosophes à son image; il voulait leur donner surtout ce profond mépris de l'espèce féminine qu'il affectait en toute occasion.

      Pour en arriver là, il faisait mieux que raisonner, il tentait. A plusieurs reprises, Étienne et Roger s'étaient trouvés en face d'occasions charmantes et imprévues; mais le nabab avait beau les entourer de séductions, Étienne et Roger résistaient vaillamment; Étienne surtout dont le cœur était plus fort.

      Du reste, ils se laissaient aller tous deux sans trop réfléchir, et avec l'insouciance de leur âge, à la pente de cette bonne et molle vie que le hasard leur faisait. Étienne travaillait et recevait de son labeur une récompense royale; Roger ne travaillait point, mais il portait le titre de secrétaire de milord et touchait, sous ce prétexte, des appointements magnifiques.

      Tout, dans la maison du nabab, voitures, chevaux, valets, était à leurs ordres.

      Charmants cavaliers comme ils l'étaient, distingués, spirituels, élégants, et riches par la grâce du hasard, ils faisaient, en vérité, figure dans le monde.

      Au commencement, et d'un commun accord, ils s'étaient promis de mettre à exécution ce cher dessein qu'ils avaient fait un soir dans le jardin de Penhoël, thésauriser, thésauriser comme des avares, pour revenir bien vite en Bretagne où les attendait le bonheur.

      Étienne restait fidèle à son projet. Chaque somme que lui donnait le nabab était religieusement placée, et le jeune artiste tressaillait d'aise en voyant s'augmenter rapidement son trésor, car c'était la dot de Diane, de Diane qui était son rêve de toutes les heures, son amour unique et passionné.

      Car, à travers l'éloignement, Étienne la voyait encore plus noble et plus belle.

      Roger pensait bien, lui aussi, à Cyprienne, mais sait-on comment l'argent se dépense à Paris? La dot de Cyprienne était lente à venir.

      Il aimait pourtant, le bon garçon; mais plus d'une enchanteresse, placée sur son passage par ce perfide Montalt, lui avait semblé bien adorable.

      Tandis qu'Étienne peignait des panneaux ou esquissait des cartons, Roger allait se promener. Quand il revenait et qu'Étienne le questionnait en frère, Roger ne faisait pas toujours confession générale.

      Une chose cependant rapprochait les deux jeunes gens et les réunissait en une commune inquiétude, c'était l'absence de nouvelles de Bretagne, le silence complet et inexplicable des amis qu'ils avaient laissés derrière eux.

      Étienne avait écrit à Diane plusieurs fois; Roger avait écrit à Cyprienne et à Madame. Point de réponse.

      Des lettres avaient été adressées au vieux Géraud qui, de tout temps, avait témoigné à Étienne et à Roger une affection sincère. Point de réponse encore.

      Les semaines s'étaient écoulées; on attendait toujours. Étienne et Roger faisaient mille suppositions et s'ingéniaient à chercher le mot de l'énigme. Jamais, dans leurs hypothèses, ils n'arrivaient à


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