Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2 - Féval Paul


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      Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2

      III

      MYSTÈRES

      La partie grave et discrète de l'assemblée, qui se respectait trop pour prendre part à la danse, commençait à trouver le bal monotone et long. Les commérages languissaient, parce qu'on avait déjà médit de tout le monde. L'évanouissement de Blanche fit à l'ennui naissant une diversion tout agréable et vint raviver l'entretien.

      Ce cercle respectable se composait de trois vicomtes, qui avaient été des hommes à succès dans leur jeunesse au temps des états de Bretagne, d'une demi-douzaine de bourgeois qu'on avait laissés se décrasser et mettre un de au-devant de leurs noms, parce qu'ils avaient mille écus de rente, et d'un nombre à peu près égal de dames antiques, portant, avec une solennité impossible à décrire, le ridicule orgueilleux de leur toilette et la laideur choisie de leurs visages.

      On remarquait surtout trois petites personnes, toutes trois également jaunes, sèches, roides et vêtues de robes de soie violette d'une ancienneté incontestable. Bien qu'elles fussent encore célibataires, aux environs de la cinquantaine, ce qui déprécie, elles donnaient le ton à la société, parce que leur talent de médire était hors ligne, et que chacun de leurs coups de langue emportait net le morceau. Leurs rivales elles-mêmes, madame la chevalière de Kerbichel, épouse de l'adjoint au maire de Glénac, et madame Claire Lebinihic, jeune veuve à peine âgée de quarante-cinq ans, autour de laquelle soupiraient les trois vicomtes, étaient forcées de reconnaître la supériorité des demoiselles Baboin-des-Roseaux-de-l'Étang.

      Il faut dire qu'elles avaient tout pour elles. L'aînée, mademoiselle Amarante, chantait, en s'accompagnant de la guitare, l'ariette légère; la seconde, mademoiselle Églantine, la tremblante romance; la troisième, mademoiselle Héloïse, attaquait, toujours avec la guitare, le grand morceau de caractère.

      A cause de cela, le jeune M. de Pontalès, à qui tout était permis parce qu'il était l'héritier de son père, les avait surnommées en masse les trois Grâces, et en détail l'Ariette, la Romance, et la Cavatine.

      Elles avaient un petit frère, M. Numa Baboin-des-Roseaux-de-l'Étang, qui se tenait un peu à l'ombre de leur gloire, mais qui, néanmoins, passait pour un fort agréable joueur de reversi.

      Quand Madame, aidée de l'oncle Jean, eut emmené Blanche, l'imposante réunion se rassit. Ses membres se regardèrent durant quelques secondes en silence.

      – Voilà déjà deux fois que la pauvre petite demoiselle se trouve mal aujourd'hui!.. dit le père Chauvette, qui seul, parmi tout ce monde aigre et roide, représentait l'élément charitable.

      – Je ne voudrais rien dire d'inconvenant, murmura madame Claire Lebinihic, mais c'est tout à fait comme cela que j'étais la première année de mon mariage.

      Les trois Grâces baissèrent les yeux. Les trois vicomtes eurent un sourire très-égrillard.

      – Avez-vous remarqué, reprit l'adjoint, chevalier de Kerbichel, hobereau taillé en Hercule et qui portait de jolies petites boucles d'oreilles, avez-vous remarqué comme le fils Pontalès a fait des yeux au Robert de Blois quand mademoiselle est tombée?

      – C'est un joli garçon!.. répliqua la Romance.

      – Un franc mauvais sujet! appuyèrent l'Ariette et la Cavatine en donnant à ce mot une acception toute flatteuse.

      – Ce que je voudrais bien savoir, reprit la Romance, c'est le sentiment de M. de Penhoël sur les assiduités du fils Pontalès auprès de madame Lola…

      Le cercle entier sourit.

      – Madame Lola!.. madame Lola!.. répéta la chevalière de Kerbichel, ces créatures ont des noms à elles.

      – Quant à cela, madame, repartit la Romance qui se crut attaquée dans son doux nom d'Églantine, tout le monde n'est pas forcé de s'appeler Suzon ou Fanchette, comme les filles du commun!..

      Madame de Kerbichel s'appelait Fanchon. Le cercle rit encore, excepté le chevalier-adjoint, qui secoua le tabac de son jabot d'un air mortifié.

      – Tout cela n'empêche pas, reprit l'Ariette, qu'il se passe de drôles de choses dans cette maison!.. Les maîtres font les honneurs, Dieu sait comme!.. Voici madame partie; où est monsieur?

      – En conférence avec le marquis de Pontalès, répondit le frère Numa.

      – En bonne conscience, voulut dire le père Chauvette, on peut bien avoir des affaires…

      Mais personne n'avait la simplicité d'accorder la moindre attention au pauvre maître d'école.

      – Toujours avec le marquis! poursuivit l'Ariette.

      – Et avec l'homme de loi! ajouta la Cavatine.

      – Ah! dit la Romance d'un ton capable, des gens bien informés prétendent que Penhoël file un mauvais coton, pour parler comme les gens du peuple… Il emprunte sans cesse de l'argent au marquis, et l'homme de loi le Hivain sait des choses qui étonneraient bien du monde!

      – C'est que la Lola aime trop les dentelles! dit l'un des vicomtes.

      – Et les cachemires, ajouta un second vicomte.

      – Et les diamants, ajouta le troisième vicomte.

      – Et tout cela coûte de l'argent! fit observer madame Claire Lebinihic: rien que mon châle de noces, qui n'était pas de l'Inde pourtant, valait cent cinquante écus…

      – Et puis tant de charges! reprit la chevalière de Kerbichel; c'est la maison du bon Dieu que ce manoir!.. On y mange et on y boit toute la journée… Je vous demande un peu si ce n'est pas de la folie que de nourrir à rien faire ce grand garçon de Roger de Launoy?

      – Et ce barbouilleur qui est venu de Paris pour mettre du rouge et du bleu sur les murailles? dit la Romance.

      – Permettez, chère sœur, interrompit le frère Numa qui était méchant, lui aussi, quand il pouvait; ces deux messieurs ne sont pas si complétement inutiles que vous voulez bien le dire.

      – A quoi servent-ils, s'il vous plaît?

      – A quoi?.. Je n'en sais rien… mais si vous me demandiez à qui…

      – Ah! ah! s'écrièrent à la fois Églantine, Héloïse et Amarante, enchantées de l'esprit de leur frère; voilà qui est adorable!

      Et comme une partie du cercle ne comprenait point, la Romance ajouta en baissant pudiquement ses paupières jaunes et dépouillées:

      – Mon frère veut dire qu'ils servent aux deux petites filles de l'oncle Jean…

      Tonnerre d'applaudissements des vicomtes; gros rires de l'assemblée en chœur. Le mot valait bien cela.

      – Ah! mademoiselle!.. mademoiselle!.. commença le bon maître d'école avec reproche.

      Mais sa voix fut couverte par celle du chevalier-adjoint de Kerbichel, qui avait l'intelligence lente et qui riait toujours après coup.

      Numa Baboin-des-Roseaux-de-l'Étang, alléché par le succès qu'il venait d'obtenir, désira un nouveau triomphe.

      – Pourriez-vous me dire, mesdames, demanda-t-il d'un air innocent, si c'est à madame de Penhoël ou à sa fille que M. Robert de Blois fait attention?

      – A la fille, répondit la chevalière de Kerbichel.

      – A la mère, ripostèrent les vicomtes.

      – En vérité, ceci est une question, dit gravement la Romance. Je ne sais pas si vous avez vu comme moi que M. Robert de Blois échangeait certains signes avec Madame pendant la contredanse?..

      – J'ai vu cela, dit Kerbichel.

      – Moi aussi!

      – Moi aussi!

      – Et avez-vous remarqué la manière dont Madame a repoussé M. de Blois quand celui-ci a voulu relever Blanche évanouie?

      Tout le monde répondit affirmativement.

      La Romance poursuivit en baissant la voix et en prenant cet air timide qui annonçait toujours quelque méchanceté noire:

      – Quand on repousse ainsi un


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