Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2 - Féval Paul


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milieu de la soirée.

      Il n'y avait plus, en effet, dans le salon de verdure, aucun représentant de la famille. Le maître du manoir était toujours dans son appartement; Madame n'avait point reparu, non plus que l'oncle Jean. Enfin Cyprienne et Diane, qui avaient présidé si longtemps à la danse, s'étaient éclipsées tout à coup et avec une sorte de mystère, puisque leurs cavaliers eux-mêmes les avaient cherchées en vain parmi la foule.

      Étienne et Roger avaient déserté à leur tour le salon de verdure, pour explorer sans doute les allées du jardin.

      C'étaient maintenant Robert de Blois et Lola qui, en qualité d'habitants ordinaires du manoir, faisaient les honneurs.

      Le jardin était illuminé, comme nous l'avons dit, d'un bout à l'autre, et l'on n'y eût pas trouvé un endroit pouvant servir de cachette.

      Étienne et Roger avaient quitté le bal sans se prévenir mutuellement. Ils se rencontrèrent face à face au détour d'une allée.

      Étienne était tout pensif. Les cheveux de Roger étaient baignés de sueur.

      Il s'arrêta, essoufflé, devant le peintre.

      – Tu ne les as pas rencontrées? lui demanda-t-il vivement.

      – Non, répliqua Étienne.

      – Je vais chercher encore, dit Roger qui voulut reprendre sa course.

      Le jeune peintre l'arrêta.

      – Tu ne les trouveras pas… dit-il; tandis que tu cherchais à gauche, moi je cherchais à droite… A nous deux nous avons parcouru tout le jardin… Elles n'y sont pas.

      – Alors où sont elles?

      – Je ne sais.

      L'agitation de Roger de Launoy semblait croître à chaque instant. Étienne, au contraire, restait calme, bien que sa voix si gaie d'ordinaire eût un vague accent de tristesse.

      – Où sont elles?.. répéta Roger; mon Dieu, tout cela est bien étrange!

      – Étrange!.. interrompit Étienne en souriant; pourquoi?.. Nous doivent-elles compte de leurs actions?

      – Tu n'aimes pas, toi!.. murmura Roger.

      Le peintre garda le silence; mais sa main serra plus fortement le bras de son ami.

      – Moi, j'aime, reprit Roger, comme un pauvre fou!.. Quand je suis auprès d'elle, je ne sais plus qu'admirer et croire… Son sourire est si pur, et on voit si bien son cœur sur son visage… J'ai honte de mes soupçons.

      – Tu as donc des soupçons?.. demanda tout bas Étienne.

      Roger baissa les yeux et ne répondit pas tout de suite.

      – Que sais-je?.. s'écria-t-il enfin en appuyant sa main contre son front mouillé de sueur. Je ne suis pas fou, et je ne rêvais pas… j'ai vu…

      Il hésita.

      – Qu'as tu vu?.. demanda Étienne.

      Et comme Roger se taisait encore, il ajouta d'un accent triste et lent:

      – Tu peux parler… j'ai vu, moi aussi, bien des choses!

      Roger le regarda avec une sorte d'effroi. On eût dit qu'il avait gardé un vague espoir de s'être trompé, et qu'il redoutait par-dessus tout la certitude.

      – Je ne parle pas de Cyprienne, répondit le peintre; mais Diane a un secret… Il y a longtemps que je le sais.

      – Et ce secret?..

      – J'ai confiance, parce que j'aime… Jamais je n'ai cherché à le surprendre.

      – Oh!.. s'écria Roger, parce que j'aime, moi, je me défie!.. C'est tout mon bonheur et tout mon espoir!.. Si je pensais que Cyprienne en aimât un autre!

      Il s'arrêta, et reprit avec amertume:

      – Mon Dieu! cette idée-là me vient souvent… Et comment ne me viendrait-elle pas?.. Tu dis que tu as vu bien des choses!.. Mais il y a voir et voir… Ce que j'ai vu, moi, est tellement étrange, que j'hésite à le confier même à mon meilleur ami. Et pourtant, poursuivit Roger après avoir attendu une question qui n'était point venue, cela me pèse trop sur le cœur!.. Te souviens-tu, Étienne, de cette soirée que nous passâmes à parler d'elles au bord du marais, de l'autre côté de Glénac?.. L'heure nous surprit… Quand nous rentrâmes au manoir, le souper était fini depuis longtemps, et tout le monde dormait… Nous le croyions du moins… Nous prîmes chacun sans bruit le chemin de notre chambre.

      «La lampe du grand corridor était éteinte… Il me semblait entendre devant moi un bruit de pas légers et timides… Je m'avançai les bras tendus, touchant des deux côtés les murs du corridor…

      «Le bruit avait cessé à mon approche… Je croyais m'être trompé, lorsque je sentis sous mes doigts deux coiffes de toile qui glissèrent au premier contact, et que je ne pus retrouver dans l'ombre. Les pas se faisaient entendre de nouveau, légers et rapides, dans la partie du corridor que je venais de parcourir. On fuyait… mais au moment où ma main s'était refermée, une des coiffes de toile avait laissé son attache entre mes doigts… Et je riais, tout en ouvrant la porte de ma chambre, parce que je me disais: «J'ai là de quoi savoir laquelle des servantes de Penhoël va courir la nuit le guilledou!»

      «J'allumai ma chandelle, et je reconnus le petit ruban de soie bleu que j'avais vu dans la journée à la coiffe de Cyprienne…»

      Roger de Launoy se tut, attendant évidemment une parole d'étonnement; mais le peintre ne parla point.

      Il demeurait pensif et la tête inclinée.

      – Eh bien?.. dit Roger.

      – Est-ce tout ce que tu as vu? demanda froidement Étienne.

      Roger était presque désappointé du peu d'effet produit par son histoire.

      – N'est-ce pas assez?.. s'écria-t-il.

      – Ce n'est rien.

      – Tu as vu quelque chose de plus extraordinaire?

      – Tu en jugeras, répondit le peintre.

      – Alors il faut parler.

      – Tout à l'heure… continue.

      – Écoute donc encore, reprit Roger. Quelques jours après, je revenais de Redon à pied… C'était à la hauteur du bourg de Bains, au milieu de la lande… il faisait clair de lune… J'entendais au loin sur la bruyère le galop de deux chevaux… Je ne prenais point garde, et je poursuivais ma route… Au moment où les deux chevaux passaient près de moi lancés à pleine course, je levai la tête… Les deux chevaux étaient montés par des femmes… Je criai: «Diane! Cyprienne!» Nulle voix ne me répondit. Je voulus courir; mais les deux femmes se perdaient déjà dans l'ombre, et le pas de leurs chevaux s'étouffait au loin sur la lande.

      – Il était tard? demanda Étienne.

      – Onze heures du soir.

      – Et ce jour-là, les Pontalès n'étaient-ils pas à Redon?..

      Roger se frappa le front.

      – Tu m'y fais songer! s'écria-t-il, les Pontalès étaient à Redon!

      – Mais était-ce bien elles?.. dit le peintre.

      – Tu vas voir!.. Il n'y avait pas possibilité de les rejoindre… Après avoir fait quelques pas en courant comme un fou, je repris le chemin de Penhoël. En arrivant au bac, je demandai au vieux Benoît si quelqu'un avait passé l'eau dans la soirée.

      «Il me répondit:

      « – Personne.

      «Cela me fit grand bien… Je crus avoir rêvé… Pourtant, une fois arrivé au manoir, il me restait des doutes… Au lieu de gagner mon lit tout de suite, je me dirigeai, sans trop avoir la conscience de ce que je faisais, vers la chambre de Diane et de Cyprienne…

      «Je collai mon oreille à la serrure. On n'entendait aucun bruit.

      «Elles


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