Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2. Féval Paul
tu me disais tout ce que tu avais fait dans la journée… En ce temps-là, tu n'avais pas de secret pour moi…
– En ai-je donc à présent?.. demanda Blanche étonnée.
L'hésitation de Madame devint plus forte. Évidemment, elle voulait interroger, et quelque scrupule arrêtait ses questions au passage.
– Je ne sais… dit-elle pourtant; les jeunes filles aiment à faire du mystère…
– Moi j'aime à être auprès de toi, interrompit l'Ange qui souriait, candide comme la Vérité même; j'aime à te montrer mon âme… Je ne pourrais pas plus te cacher ma conscience qu'à Dieu.
Cette fois, ce fut une vraie joie qui brilla sur le visage de Marthe de Penhoël. Elle poursuivit en tenant sa bouche contre la joue de Blanche et en coupant chaque parole par un baiser:
– Je te crois… Est-ce qu'il pourrait en être autrement?.. Ne sais-tu pas combien je t'aime?.. Et cependant…
Elle s'interrompit… un nuage avait passé déjà sur sa joie.
– Et cependant?.. répéta Blanche en se jouant.
«Mon Dieu! mon Dieu! pensait Madame dont la sérénité d'emprunt cachait mal son angoisse revenue; faites que je me sois trompée, et doublez le fardeau de mes autres douleurs!..»
– Je voulais dire, reprit-elle tout haut, qu'il n'y a pas de ta faute, ma pauvre Blanche… Les enfants ne savent pas voir clair au fond de leur propre cœur… Je me souviens du temps où j'étais à ton âge…
– Que tu devais être belle et aimée!.. murmura Blanche, qui regardait Madame avec l'admiration de son amour filial.
– J'étais comme toi, Blanche, moins jolie que toi, et j'avais perdu ma mère… Oh! il me semble que si j'avais eu ma mère auprès de moi comme tu as la tienne, ma pauvre enfant chérie… il me semble que ma vie eût été autrement… Mais que vais-je dire là? se reprit-elle en retrouvant dans son courage la force de sourire encore; je te ferais croire que je suis malheureuse!
Blanche, qui s'était redressée un instant avec inquiétude, posa de nouveau sa tête paresseuse sur le sein de sa mère. En ce moment où sa souffrance faisait trêve, elle subissait l'effet des fatigues de la journée. Ses paupières battaient appesanties, et le sommeil effleurait déjà son beau front.
Madame voyait cela, et pourtant elle ne pouvait réussir à formuler enfin la question qui était toujours sur sa lèvre.
Pour quiconque aurait pu observer à nu cette âme brisée par une suprême angoisse, la scène, si calme en apparence, aurait pris un caractère terrible et à la fois souverainement touchant.
Sur cette douce enfant qui s'endormait, souriante, il y avait une fatalité mystérieuse. Madame avait deviné un secret funeste, une chose cruelle, inattendue, accablante, une chose extraordinaire jusqu'à paraître impossible.
Mais dans le passé de Marthe de Penhoël, il y avait un mystère du même genre, qui la faisait crédule, et pouvait lui donner foi à l'impossibilité…
Elle avait douté d'abord, cependant. Comment ne pas douter en face de cette pure et radieuse innocence? La candeur de l'Ange parlait en quelque sorte plus haut que l'évidence elle-même.
Dès que venait le doute bienfaisant, Madame l'accueillait avec ardeur. Elle espérait; ses craintes lui paraissaient alors insensées. Puis ses propres souvenirs revenant en aide à l'évidence, elle croyait de nouveau et retombait au plus profond de son découragement…
Et, depuis quelques jours, sa vie se passait en ces alternatives. Toutes ses autres souffrances faisaient trêve; toutes ses autres craintes se taisaient…
En ce moment, l'évidence reprenait ses droits. Marthe de Penhoël venait de voir et de toucher, pour ainsi dire. Mais, au-devant de la vérité dure et implacable, se plaçait le tranquille visage de l'enfant; ce front calme était comme le miroir sans tache où se reflétait une âme ignorante de tout mal.
La question qui se pressait depuis si longtemps sur la lèvre de Madame aurait mis fin sans doute à son incertitude, mais Madame ne trouvait point de paroles pour la formuler à son gré. La pudeur des mères est, entre toutes les pudeurs, la plus délicate et la plus timide. Et parfois, en interrogeant, on enseigne…
Marthe cherchait.
Les beaux yeux bleus de l'Ange disparaissaient presque sous ses paupières alourdies.
– Ne vas-tu pas retourner à la danse?.. demanda tout à coup Madame, qui affecta un redoublement de gaieté.
En même temps, elle ouvrit ses bras comme pour inviter Blanche à se lever.
La jeune fille s'appuya, plus paresseuse, contre le sein de sa mère.
– Je suis si lasse!.. murmura-t-elle.
– Autrefois, quand il s'agissait d'un bal, tu avais beau être lasse, tu ne le disais pas!..
– J'étais une enfant!.. répliqua Blanche.
– Cela ne t'amuse donc plus?
Blanche rouvrit à demi les yeux.
– Oh! si… toujours! répondit-elle.
– Parmi les jeunes gens qui sont à Penhoël, reprit Madame dont la voix trembla légèrement, quoi qu'elle pût faire, lequel aimes-tu le mieux?
Blanche ne répondit pas tout de suite; puis elle répéta lentement:
– Parmi ceux qui sont à Penhoël?..
– Oui.
– Je ne sais pas…
Madame prenait courage, à mesure qu'elle avançait dans cet interrogatoire, entamé avec tant de crainte.
– Voyons! poursuivit-elle, est-ce Roger de Launoy?
– J'aime bien Roger.
– Est-ce Étienne Moreau?
– Il est bon… mais…
– Est-ce M. Alain de Pontalès?
– Non… Il a l'air orgueilleux et méchant.
– Est-ce M. Robert de Blois? demanda encore Madame en baissant la voix involontairement.
Blanche rouvrit les yeux tout à fait, et la regarda d'un air étonné.
– Oh!.. fit-elle avec reproche; quelle idée!.. M. Robert de Blois!
Madame respira et la baisa. Un instant encore, elle oublia le récent témoignage de ses yeux.
– Eh bien! reprit-elle entre deux caresses, tu ne veux pas me dire qui tu aimes le mieux?
– Celui que j'aime le mieux n'est pas à Penhoël, répondit l'Ange dont la joue devint toute rose; depuis que mon cousin Vincent est sur la mer, je pense à lui souvent et je le regrette… J'ai bien tort de le regretter, ajouta-t-elle d'un air fâché, car il ne m'a pas même dit adieu avant de partir!..
Madame était devenue tout à coup rêveuse; ses soupçons ne s'étaient jamais portés de ce côté. Ses souvenirs, éveillés brusquement, lui montrèrent la pâle figure de Vincent avec ses grands yeux toujours fixés sur Blanche.
Un instant, elle demeura muette et le cœur serré.
– Vincent!.. murmura-t-elle sans savoir qu'elle parlait. T'es-tu trouvée quelquefois seule avec lui, ma fille?
Blanche se prit à rire.
– Je me trouvais seule avec lui tous les jours, répondit-elle.
– Tous les jours!.. répéta machinalement Marthe de Penhoël. Et te disait-il parfois qu'il t'aimait, Blanche?
– Il n'osait pas…
– Il ne te l'a jamais dit?
– Jamais.
Un instant, Madame avait entrevu l'explication du mystère, mais le mystère devenait plus impénétrable que jamais, car Blanche ne pouvait pas mentir.
Et