Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2. Féval Paul

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 2 - Féval Paul


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de Kerbichel, qui avait une vengeance à exercer.

      – En outre, reprit la Romance, comment expliquer ce mouvement si brusque, sinon par un petit grain de jalousie?..

      – C'est vrai!.. opina derechef l'assemblée convaincue; c'est pourtant vrai!..

      Le pauvre maître d'école n'essaya pas même de protester, tant il se sentait faible contre le sentiment général.

      – Ainsi va le monde! reprit encore la Romance; M. de Penhoël achète des cachemires à la Lola… il fait peindre son manoir du haut en bas pour la Lola… il plante des salons de verdure, il tend de soie les vieilles chambres que ses pères habitaient bien toutes nues!.. Pendant ce temps-là madame s'ennuie… Elle est bien conservée au moins!..

      – Elle est encore très-jolie femme!

      – Que faire quand on est délaissée?.. Elle remarque un beau cavalier… Mon Dieu, je n'affirme rien!.. Ce n'est pas moi, Dieu merci, qui voudrais faire des cancans sur une famille riche et respectable… mais je dis que si cela était… Enfin, soyons de bon compte, tout est possible! Il ne faudrait pas être trop sévère à l'égard de la pauvre dame…

      – Ma foi non, répliquèrent les vicomtes, Penhoël ne l'aurait pas volé!..

      Le bal se poursuivait, mais languissant et triste désormais. Diane et Cyprienne, qui tout à l'heure égayaient si franchement la fête, ne pouvaient plus cacher leur tristesse. Elles essayaient encore pourtant, et semblaient s'exciter mutuellement à sourire.

      A chaque instant leurs yeux inquiets se tournaient vers l'entrée du salon de verdure.

      On eût dit qu'elles restaient là maintenant à contre-cœur, et qu'une mystérieuse tâche les appelait loin du bal.

      L'annonce de l'accident arrivé à Blanche de Penhoël avait franchi l'enceinte du jardin et produit plus d'effet encore, peut-être, sur l'aire que dans le salon de verdure. La danse rustique avait fini; tandis que le feu de joie éteignait ses dernières lueurs, jeunes gars et jeunes filles s'étaient rassemblés en cercle autour des vieillards, assis à la porte de la ferme.

      Il n'y avait plus, sur le milieu de l'aire, que M. Blaise, qui se promenait les mains dans ses poches et affectait de ne point vouloir mêler son importante personne à toute cette populace.

      On parlait bas dans le groupe des paysans, justement à cause de M. Blaise, qui passait pour avoir l'oreille fine.

      Le père Géraud tenait le centre du groupe et interrogeait un petit garçon qui venait de sortir du jardin, où il avait servi des rafraîchissements aux hôtes de Penhoël.

      – Conte-nous ce que tu as vu, petit Francin, disait le bon aubergiste du Mouton couronné.

      – Tout le monde regardait la Lola, répondit l'enfant. Quelle belle fille tout de même! Je ne sais pas ce qu'elle a autour de son cou qui brille comme des charbons allumés… mais les dames et les messieurs disaient qu'il y avait là de quoi racheter la Forêt-Neuve!.. Tout d'un coup la petite demoiselle a crié… j'ai regardé comme les autres, et je l'ai vue couchée par terre… Il n'y avait auprès d'elle que M. de Blois… Quand il a voulu la relever, oh! si vous aviez vu Madame arriver sur lui!.. j'ai cru qu'elle allait l'étrangler…

      – Elle n'a rien dit? demanda le père Géraud.

      – Non fait!.. mais on voyait bien qu'elle avait son idée… C'est M. de Blois, bien sûr, qui a fait du chagrin à l'Ange!..

      Un menaçant murmure courut parmi les paysans.

      Le père Géraud passa le revers de sa main sur son front.

      – Oui… oui… pensa-t-il tout haut, cet homme-là est le malheur de Penhoël!.. Et c'est moi qui lui ai enseigné le chemin du manoir!.. Qu'auriez-vous fait, vous autres? ajouta-t-il avec brusquerie en s'adressant aux vieux métayers qui l'entouraient. Il arriva chez moi… il me parla de l'aîné… voyez-vous, on ne devine pas ces choses-là, bien sûr qu'il a connu notre M. Louis quelque part!.. Quand il me dit qu'il était l'ami de Penhoël, moi je lui aurais donné le dernier écu de ma bourse!..

      Il mit sa tête grise entre ses deux mains, et poussa un gros soupir.

      – Allons, allons, père Géraud, dit le fermier du Port-Corbeau, les temps sont mauvais pour nos maîtres, mais ça pourra revenir… Et quant à ce qui est de vous, tout le monde sait bien que vous êtes un bon cœur!.. Penhoël est riche, après tout!..

      – Riche?.. interrompit l'aubergiste de Redon; si vous saviez!..

      Les métayers se rapprochèrent curieusement.

      Mais le vieux Géraud n'en voulait point dire davantage.

      – C'est moi qui lui ai montré le chemin du manoir! répéta-t-il, comme si cette idée l'eût poursuivi sans cesse; c'est moi!.. Écoutez!.. avant de monter jusqu'à la ferme, je suis entré tantôt chez Benoît Haligan, qui est bien près de mourir… car tous ceux qui aiment Penhoël s'en vont les uns après les autres!.. le pauvre Benoît a le grolet1 sur sa paillasse. Ce n'est pas d'hier qu'il a dit pour la première fois que l'Ange et les deux filles de Jean de Penhoël feraient trois pauvres belles-de-nuit, avant le déris de l'hiver qui vient… Il m'a dit encore, poursuivit le père Géraud en baissant la voix davantage, que notre M. Louis reviendrait quelque jour… mais qu'il reviendrait trop tard!

      Le père Géraud se tut, et il se fit un silence autour de lui.

      Chacun avait le cœur serré. Cette fête, commencée dans la joie, s'achevait morne et lugubre.

      La plupart des paysans rassemblés dans l'aire n'avaient pas donné grande attention jusqu'alors aux vagues menaces qui pesaient sur la maison de Penhoël; mais, ce jour-là, personne ne doutait: on sentait en quelque sorte le malheur planer au-dessus du manoir.

      Les jeunes gars oubliaient de parler d'amour à leurs promises, et le tonneau de cidre, encore plein aux trois quarts, ne couronnait plus de mousse petillante la grande écuelle qui, dans ces sortes d'occasions, faisait si joyeusement d'ordinaire le tour de l'assemblée.

      Un seul fidèle restait auprès du tonneau, un pauvre diable maigre comme un clou, qui buvait avec acharnement, couché tout de son long dans la poussière.

      Personne ne daignait lui parler, pas même l'Endormeur, bien que le pauvre diable fût sa vieille connaissance, l'ex-uhlan Bibandier.

      Bibandier fumait sa pipe en philosophe et semblait se soucier assez peu du mépris général. Il fumait et buvait comme s'il se fût engagé à vider tout seul le grand tonneau de cidre.

      Dans le groupe rassemblé à la porte de la ferme, ce fut le petit Francin qui rompit le silence.

      – M. Blaise!.. dit-il tout à coup.

      Le domestique de Robert de Blois s'avançait en effet à pas comptés vers le groupe des paysans.

      – Eh bien, mes enfants!.. cria-t-il de loin, ne boit-on plus à la santé du roi et de M. le maire?

      Personne ne répondit. Le père Géraud s'était redressé.

      – Petit Francin, murmura-t-il rapidement, retourne au jardin… Tu viendras nous dire s'il y a du nouveau…

      Puis il ajouta en se tournant vers les vieux métayers assis à ses côtés:

      – Vous autres, j'aurai à vous parler après la veillée… Il ne sera pas dit que personne n'a fait un pas ou donné un écu pour sauver Penhoël!..

      Blaise entrait dans le cercle tenant à la main la grande écuelle pleine.

      Le petit Francin remontait en courant vers le jardin du manoir.

      La partie grave de l'assemblée était en ce moment maîtresse du terrain. Les trois demoiselles Baboin-des-Roseaux-de-l'Étang et les autres membres de la société avaient quitté leurs postes pour envahir le gazon, occupé naguère par les danseurs. L'orchestre chômait. Quelques gens avisés voyaient venir avec effroi le moment où Églantine, Héloïse et Amarante allaient demander leur redoutable guitare, sous


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<p>1</p>

Le râle de la mort.