La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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avez deviné juste, mademoiselle, prononça Daniel; c'est bien un marché que M. votre père vous propose.

      – Ah! c'est affreux!..

      – Il a voulu bien vous faire entendre que de votre consentement à son mariage dépend son consentement…

      Stupéfait de ce qu'il allait dire, il s'arrêta court, et ce fut la jeune fille qui ajouta:

      – Au nôtre, n'est-ce pas? dit-elle hardiment, M. Daniel, au nôtre. Oui, voilà ce que j'avais compris, voilà pourquoi je vous demande un conseil.

      Malheureux!.. c'était lui demander de dicter sa destinée.

      – Je crois que vous devez consentir, balbutia-t-il.

      Vibrante d'indignation, elle se dressa:

      – Jamais! s'écria-t-elle, jamais!

      Sous ce coup terrible, Daniel chancela… Jamais!.. Il vit toutes les espérances de sa vie anéanties, son bonheur détruit, Henriette perdue pour lui…

      Mais l'imminence même du péril lui eut bientôt rendu son énergie: il se roidit contre la douleur, et d'une voix presque calme:

      – Je vous en conjure, reprit-il, laissez-moi vous expliquer le conseil que je vous donne… Croyez-moi: ce n'est pas un consentement que désire votre père; vous ne sauriez vous passer du sien, pour vous marier, lui n'a pas besoin du vôtre. Il n'y a pas d'article de loi qui autorise les enfants à s'opposer aux… folies de leurs parents. Ce que veut M. de la Ville-Handry, c'est votre approbation tacite, la certitude d'un accueil honorable pour sa seconde femme… Si vous refusez, il passera outre, sans souci de vos répugnances…

      – Oh!..

      – Ce n'est que trop sûr, hélas! S'il vous a parlé de ses projets, c'est qu'ils sont irrévocables. Le seul résultat de vos résistances sera notre séparation. Lui vous pardonnerait peut-être encore, mais elle!.. Espérez-vous qu'elle n'abusera pas contre vous de son ascendant sur votre père?.. Qui peut prévoir à quelles extrémités se porteront ses rancunes!.. Et ce doit être une femme dangereuse, Henriette, capable de tout…

      – Pourquoi?

      Il eut une seconde d'indécision, n'osant dire toute sa pensée, puis enfin, lentement, et comme s'il eût été obligé de chercher ses mots:

      – Parce que, répondit-il, ce mariage ne peut être qu'une spéculation effrontée… Votre père est immensément riche, c'est à sa fortune qu'on en veut…

      Si plausibles étaient toutes les raisons de Daniel, il plaidait sa cause avec tant d'ardeur, que les résolutions de Mlle Henriette chancelaient évidemment.

      – Ainsi, murmura-t-elle, vous voulez que je cède?

      – Je vous en conjure.

      Elle hocha tristement la tête, et d'une voix défaillante:

      – Qu'il soit donc fait selon votre volonté, M. Daniel, dit-elle… Je ne m'opposerai pas à cette profanation… Mais rappelez-vous que ma faiblesse ne nous portera pas bonheur…

      Dix heures sonnaient; elle se leva, et tendant la main au jeune homme:

      – A demain soir, dit-elle; je saurai et je vous dirai le nom de la femme que mon père épouse, car je le lui demanderai.

      Elle n'en eut pas besoin.

      Le premier mot du comte, quand il aperçut sa fille le lendemain, fut:

      – Eh bien!.. as-tu réfléchi?

      Elle arrêta sur lui un regard qui le força de détourner la tête, et d'un air résigné:

      – Vous êtes le maître, mon père, répondit-elle… Vous dire que je ne souffrirai pas cruellement de voir entrer dans cette maison une étrangère serait mentir… Mais je serai pour elle respectueuse comme il convient…

      Ah! le comte ne s'attendait pas à un si heureux dénouement.

      – Ne dis pas respectueuse, s'écria-t-il, dis tendre, prévenante et dévouée… Ah! si tu la connaissais, un ange, mon Henriette, un ange!

      – Et quel âge a-t-elle?

      – Vingt-cinq ans.

      Au mouvement de sa fille, le comte vit bien qu'elle trouvait la future épouse trop jeune, aussi s'empressa-t-il d'ajouter:

      – Ta mère avait deux ans de moins quand je l'épousai.

      C'était vrai, seulement il oubliait qu'il y avait vingt ans de cela.

      – Du reste, poursuivit-il, tu la verras, je lui demanderai la permission de te la présenter… Elle est étrangère, d'une excellente famille, riche, adorablement spirituelle et jolie, et s'appelle Sarah Brandon…

      Le soir, quand Mlle Henriette répéta ce nom à Daniel, il se frappa le front d'un geste désespéré, en s'écriant:

      – Grand Dieu! si M. de Brévan n'a pas été trompé, c'est pis que tout ce que nous pouvions craindre ou imaginer!..

      IV

      A voir le foudroyant effet de ce nom seul: Sarah Brandon, Mlle de la Ville-Handry avait senti tout son sang se glacer dans ses veines.

      Pour qu'un homme tel que Daniel fût ainsi bouleversé, il fallait, elle le comprenait bien, quelque événement énorme, inouï, impossible…

      – Vous connaissez cette femme, Daniel? s'écria-t-elle.

      Mais lui, déjà, se reprochait son peu de sang-froid, songeant aux moyens d'atténuer son imprudence.

      – Je vous jure, commença-t-il…

      – Oh! ne jurez pas. Vous la connaissez…

      – En aucune façon.

      – Cependant…

      – Il est vrai que j'en ai ouï parler, autrefois, il y a fort longtemps…

      – Par qui?..

      – Par un de mes amis, Maxime de Brévan, un brave et digne garçon.

      – Quelle sorte de femme est-ce?

      – Mon Dieu! je ne saurais trop vous le dire… Maxime m'en avait parlé fort en l'air, et je ne me doutais pas qu'un jour… Si je me suis exclamé si sottement tout à l'heure, c'est que je me suis souvenu de certaine histoire assez… fâcheuse, dont Maxime la disait l'héroïne, de sorte que…

      Il avait ce ridicule de ne savoir mentir, cet honnête homme, de sorte qu'il s'empêtrait dans ses phrases, détournant la tête pour éviter le regard de Mlle Henriette.

      Elle l'interrompit, et d'un ton de reproche:

      – Me jugez-vous donc si faible, prononça-t-elle, qu'il faille me dissimuler la vérité…

      Il ne répondit pas tout d'abord. Etourdi de l'étrangeté de la situation, il cherchait une issue et n'en découvrait pas.

      Enfin, prenant son parti:

      – Souffrez que je me taise encore, mademoiselle, prononça-t-il. Je ne sais rien de précis, et c'est peut-être à tort que je vous ai si terriblement alarmée. Je parlerai dès que je serai fixé…

      – Quand le serez-vous?

      – Ce soir-même, si, comme je l'espère, je trouve Maxime de Brévan chez lui, demain matin si je le manque ce soir…

      – Et si vos soupçons n'étaient que trop réels? si ce que vous redoutez tant et que j'ignore se trouvait vrai, que faudrait-il faire?..

      Sans une seconde d'indécision, il se leva, et d'une voix profonde:

      – Je ne vous dirai pas que je vous aime, Henriette, prononça-t-il… Je ne vous dirai pas que vous perdre, ce serait mourir, et qu'on ne tient pas à la vie dans ma famille… vous le savez, n'est-ce pas?.. Eh bien! malgré cela, si mes craintes sont fondées, et je tremble qu'elles ne le soient, je n'hésiterais pas à vous dire: Quoi qu'il doive en résulter, Henriette, au risque


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