La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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jeune fille.

      Ah! il était digne d'être aimé, celui-là que son cœur, librement, avait choisi entre tous, cet homme qui lui donnait cette étonnante preuve d'amour.

      Elle lui tendit la main, et les yeux brillants d'enthousiasme et d'attendrissement:

      – Et moi, s'écria-t-elle, par la mémoire de ma sainte mère, je jure que quoi qu'il advienne, et dût-on employer les dernières violences morales, jamais je ne serai à un autre qu'à vous.

      Daniel avait saisi cette main qui lui était tendue, et longtemps il la tint pressée contre ses lèvres… jusqu'à ce qu'enfin la voix de la raison l'arrachant à son extase:

      – Il faut que je vous quitte, Henriette, dit-il, si je veux rencontrer Maxime.

      Et il s'éloigna d'un pas fiévreux, la tête perdue, désespéré, fou… Son bonheur et sa vie étaient en jeu et, sans qu'il y pût rien, un mot allait faire sa destinée.

      Un fiacre passait, vide; il l'arrêta et s'y jeta, en criant au cocher:

      – Surtout, marchons… Je paye la course cent sous… 62, rue Laffitte.

      Là demeurait M. Maxime de Brévan.

      C'était un garçon de trente à trente-cinq ans, remarquablement bien de sa personne, blond, portant toute sa barbe, à l'œil intelligent et à la physionomie sympathique.

      Lancé autant qu'on peut l'être dans le monde de la «haute vie,» parmi les gens dont le plaisir est l'unique affaire, M. de Brévan était aimé.

      On le disait de relations très-sûres, prompt à rendre un service dès qu'il le pouvait, bon convive et toujours prêt, si un de ses amis se battait en duel, à lui servir de témoin.

      Enfin, jamais médisance ni calomnie n'avaient effleuré sa réputation.

      Et cependant, bien loin de suivre le précepte du sage, qui conseille de cacher sa vie, M. de Brévan semblait prendre à tâche d'afficher la sienne.

      On eût dit parfois qu'il s'occupait de bien établir un alibi, tant il entretenait les gens de ses affaires jusqu'en leurs menus détails.

      Chacun savait, d'après lui, que les Brévan étaient originaires du Maine, et qu'il était le dernier, l'unique représentant de cette grande famille.

      Ce n'est point qu'il tirât vanité de son origine, il avouait très-franchement que des splendeurs de ses aïeux, il ne lui restait pas grand chose… à peine l'aisance.

      Mais quel était le chiffre de cette aisance, voilà ce qu'il ne disait pas. Avait-il quinze, vingt ou trente mille livres de rentes? ses plus intimes l'ignoraient.

      Ce qui est sûr, c'est qu'il avait résolu à son honneur et gloire ce difficile problème de garder son indépendance et sa dignité tout en vivant, lui relativement pauvre, avec les jeunes gens les plus riches de Paris.

      Il occupait, rue Laffitte, un modeste appartement de cent louis et n'avait pour le servir qu'un seul domestique. Sa voiture, il la louait au mois.

      Comment Daniel était-il devenu l'ami de M. de Brévan?.. De la façon la plus simple du monde.

      Ils avaient été présentés l'un à l'autre, à un bal du ministère de la marine, par un lieutenant de vaisseau, leur ami commun.

      Ils s'étaient retirés ensemble, vers une heure du matin, par un beau clair de lune, et comme le temps était fort doux et le pavé sec, ils avaient fumé un cigare en arpentant le bitume de la place de la Concorde.

      Maxime avait-il réellement ressenti pour Daniel la sympathie qu'il disait? Peut-être. En tout cas, Daniel avait été séduit par les côtés excentriques de Maxime, s'émerveillant de l'entendre parler avec un stoïcisme tout à fait plaisant de sa misère dorée.

      Ils s'étaient revus, puis peu à peu ils avaient pris l'habitude l'un de l'autre…

      M. de Brévan était en train de s'habiller pour rejoindre des amis à l'Opéra, lorsque Daniel se présenta chez lui.

      Comme toujours, il eut, en l'apercevant, une exclamation de plaisir.

      – Quoi! vous, s'écria-t-il, l'austère travailleur de la rive gauche, dans ce quartier mondain, à cette heure… Quel bon vent vous amène?

      Puis, soudain, remarquant la physionomie bouleversée de Daniel:

      – Mais, qu'est-ce que je dis donc là, reprit-il, vous avez une mine de déterré!.. Que vous arrive-t-il?..

      – Un grand malheur, peut-être, répondit Daniel.

      – A vous!.. Est-ce possible!..

      – Et je viens vous demander un service.

      – Ah! vous savez bien que je suis tout à vous.

      Cela, en effet, Daniel le croyait.

      – Je vous remercie d'avance, mon cher Maxime, mais je ne voudrais pas vous trop déranger… Ce que j'ai à vous dire sera long et vous alliez sortir…

      Mais, d'un geste cordial, M. de Brévan l'interrompit.

      – Je ne sortais que par désœuvrement, fit-il, parole d'honneur!.. Ainsi, asseyez-vous, et causons…

      Frappé d'une sorte de vertige, incapable de rien discerner, sinon que Henriette pouvait être perdue pour lui, Daniel était accouru chez son ami, sans songer à ce qu'il lui dirait.

      Au moment de s'expliquer, il demeura interdit.

      Il venait de réfléchir que le secret de M. de la Ville-Handry n'était pas le sien et que la loyauté lui commandait de le taire, s'il était possible, encore qu'il se crût sûr de l'absolue discrétion de Maxime de Brévan.

      Au lieu donc de répondre, il se mit à arpenter la chambre, cherchant en vain quelque fable plausible, en proie à la plus extraordinaire agitation.

      A ce point que, par le temps qui court de désordres cérébraux, Maxime, inquiet, se demandait si son ami ne devenait pas fou…

      Non, car Daniel, tout à coup se planta devant lui, et d'une voix brève:

      – Avant tout, Maxime, commença-t-il, jurez-moi que jamais, en aucun cas, un seul mot de ce que je vais vous confier ne sortira de votre bouche.

      Prodigieusement intrigué, M. de Brévan leva la main en disant:

      – Je vous le jure sur l'honneur.

      Ce serment parut rassurer Daniel… Et se croyant suffisamment maître de soi:

      – Il y a quelques mois de cela, mon cher ami, reprit-il, un soir, je vous ai entendu raconter une histoire horriblement scandaleuse, dont l'héroïne était une certaine Mme Sarah Brandon.

      – Miss, s'il vous plaît, et non pas madame…

      – Soit… cela importe peu. Vous la connaissez?

      – Ma foi! oui, comme tout le monde…

      Ce qu'il y eut de fatuité discrète dans cette réponse, Daniel ne le remarqua pas.

      – Cela doit suffire, continua-t-il. Et maintenant, Maxime, au nom de votre amitié, je vous adjure de me dire franchement ce que vous savez: Quelle femme est-ce que cette miss Brandon?..

      Sa contenance, son accent trahissaient si manifestement une anxiété poignante, que M. de Brévan en fut stupéfait.

      – Eh! cher ami, fit-il, de quel air vous me dites cela!

      – C'est que j'ai à connaître la vérité, un intérêt puissant, immense…

      Illuminé d'une idée soudaine, M. de Brévan se frappa le front.

      – J'y suis, s'écria-t-il, vous êtes amoureux de Sarah!

      Ce détour, pour éviter de prononcer le nom de M. de la Ville-Handry, Daniel ne l'eût pas trouvé; mais du moment où on le lui offrait, il résolut d'en profiter.

      – Admettez que cela soit, fit-il avec un soupir.

      Maxime levait les bras au ciel.

      – En


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