La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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y eut parmi les assistants un frisson d'horreur, et une voix de femme dit:

      – Elle se sera fait périr!

      Chose singulière, mais trop fréquente en pareil cas, l'hésitation de tous les gens rassemblés là était visible.

      – Je vais aller quérir le commissaire, déclara enfin le sieur Chevassat.

      – C'est cela, fit le brocanteur, en ce moment il est peut-être temps encore de secourir cette jeune fille; quand vous reviendrez, il sera trop tard.

      – Que faut-il donc faire?

      – Briser la porte.

      – C'est que je n'ose…

      – Eh bien! j'oserai, moi!

      Et, appuyant son épaule contre le bois vermoulu, le digne homme n'eut qu'une secousse à donner pour chasser le pêne de sa gâche.

      Aussitôt il y eut parmi les curieux un mouvement instinctif de recul, une véritable panique.

      De la porte grande ouverte des flots de gaz mortels s'échappaient.

      Cependant, la curiosité ne tarda pas à triompher de la peur. Nul ne doutait que la malheureuse jeune fille ne fût là, morte, et chacun insensiblement se rapprochait tendant le cou pour tâcher de voir…

      Vains efforts! La lumière de la lampe s'était éteinte dans l'atmosphère viciée par l'acide carbonique, et l'obscurité y était profonde, intense, effrayante.

      On n'y distinguait rien, rien que la lueur rougeâtre du charbon achevant de se consumer sous la cendre, dans deux réchauds posés à terre.

      On parlait d'entrer, personne ne se proposait.

      Mais le père Ravinet ne s'était pas tant avancé pour rester là, dans le couloir.

      – Où est la fenêtre? demanda-t-il au sieur Chevassat.

      – A droite, tenez, là!..

      – Bien, laissez-moi faire.

      Et bravement le digne brocanteur s'élança, et presque aussitôt, retentit le bruit des carreaux qu'il brisait.

      L'instant d'après, l'air de la chambre était devenu respirable et tout le monde s'y précipitait.

      Hélas! c'était bien un râle d'agonie qu'avait entendu M. Ravinet.

      Sur le lit, garni d'une maigre paillasse, sans couvertures ni draps, une jeune fille d'une vingtaine d'années, vêtue d'une méchante robe de mérinos noir, était étendue, immobile, roide, inanimée…

      Toutes les femmes sanglotaient.

      – Mourir si jeune, répétaient-elles, et mourir ainsi!..

      Cependant, le brocanteur, s'étant approché de l'infortunée, l'examinait.

      – Elle n'est pas morte! s'écria-t-il; non, elle ne peut être morte… Allons, mesdames, avancez-vous et faites-lui l'aumône des premiers secours en attendant le médecin…

      Et tout aussitôt, avec une assurance singulière, il indiqua ce qu'il y avait à tenter pour la rappeler à la vie.

      – De l'air, expliquait-il, de l'air, tâchez de faire entrer un peu d'air dans ses poumons, débarrassez-la de ce qui la serre, répandez sur elle de l'eau vinaigrée, frictionnez-la avec de la laine…

      Il s'était emparé de la situation, il commandait, on lui obéissait passivement, encore qu'on ne conservât aucun espoir.

      – Malheureuse enfant! disait une femme, c'est quelque amour contrarié qui l'aura menée là!..

      – Ou la misère… murmurait une autre.

      C'est que la misère, en effet, inexorable, avait passé par cette triste chambre; on ne reconnaissait que trop ses traces, visibles autant que celles de l'incendie. Une commode et deux chaises constituaient avec le lit tout la mobilier. Plus de rideaux à la fenêtre, nul vêtement de rechange au porte-manteau, pas un chiffon dans les tiroirs…

      Evidemment, tout ce qu'il y avait eu de vendable avait été vendu, petit à petit, pièce à pièce… Les matelas avaient suivi les effets, la laine d'abord, poignée par poignée, puis les enveloppes…

      Trop fière pour se plaindre, isolée par les pudeurs de la pauvreté, la malheureuse qui gisait là avait dû subir en cette chambre toutes les angoisses du naufragé accroché à une épave au milieu de l'Océan…

      Ainsi pensait le père Ravinet, quand une feuille de papier, sur la commode, attira ses regards…

      Il la prit. C'était comme le testament de la pauvre fille.

      «Qu'on n'accuse personne, avait-elle écrit. Je meurs volontairement. Je prie Mme Chevassat de porter à leur adresse les lettres ci-jointes. Ou lui remettra ce que je dois au propriétaire.

HENRIETTE.»

      Les deux lettres étaient là, en effet. Sur la première, le brocanteur lut:

A M. le comte de la Ville-Handry,Rue de Varennes, 115.

      Et sur la seconde:

A M. Maxime-de Brévan,62, rue Laffitte.

      Une flamme soudaine s'était allumée dans les petits yeux jaunes du vieux brocanteur, un sourire mauvais plissa ses lèvres minces et même une exclamation lui échappa:

      – Oh!..

      Mais ce ne fut qu'un éclair.

      Son front s'assombrit, et d'un regard inquiet et rapide il embrassa la chambre, tremblant qu'on n'eût surpris quelque chose des impressions dont il n'avait pas été le maître.

      Non, personne ne l'avait épié ni même ne songeait à lui, l'attention de tous se concentrant sur Mlle Henriette.

      Alors, d'un mouvement leste et précis, que lui eût envié un voleur à la tire, il fit disparaître dans la vaste poche de son immense lévite et la feuille de papier et les deux lettres.

      Il était temps.

      La plus vive agitation se manifestait parmi les femmes penchées sur le lit de la jeune fille.

      L'une d'elles, pâle d'émotion, affirmait avoir senti le corps tressaillir sous sa main, et les autres soutenaient qu'elle s'était trompée… On allait bien voir, au surplus.

      Il y eut vingt secondes d'une indicible angoisse, vingt secondes solennelles, pendant lesquelles chacun retint sa respiration… Et enfin un même cri d'espérance et de joie s'échappa de toutes les poitrines:

      – Elle a tressailli!.. Elle a bougé!..

      Il n'y avait pas à douter ni à nier, cette fois! L'infortunée avait eu un mouvement, bien faible il est vrai, à peine sensible, mais enfin un mouvement…

      Un peu de sang remontait à ses joues blémies, sa poitrine se soulevait par saccades, ses dents, convulsivement serrées, se desserraient, et sa bouche s'entr'ouvrant, on la voyait tendre le col en avant, cherchant instinctivement de l'air.

      – Elle vit!.. exclamaient les femmes, non sans une sorte d'effroi, et comme si elles eussent vu s'accomplir un miracle, elle vit!..

      D'un bond, M. Ravinet fut près du lit.

      Une des femmes – c'était une des rentières du premier – soutenait dans le pli de son bras la tête de la jeune fille, et la malheureuse promenait autour d'elle ce regard terne, sans chaleur et sans expression, qui est celui des fous.

      On lui adressa la parole, elle ne répondit pas; visiblement elle n'entendait rien.

      – N'importe, prononça le brocanteur, elle est sauvée maintenant, et quand le médecin arrivera, il trouvera le plus fort de la besogne fait… Mais elle a besoin de soins encore, cette enfant, et nous ne pouvons la laisser ainsi.

      Ce que cela signifiait, tous les assistants le comprirent très-bien, et cependant, c'est à peine si un timide «c'est juste!» accueillit la proposition.

      Cette froideur ne déconcerta pas le


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