La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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je vous viens en aide, n'est-ce pas tout naturel et tout simple!

      Elle se tut, et lui pendant un moment demeura pensif, comme s'il eût cherché la cause de cette résistance. Tout à coup, se frappant le front:

      – J'y suis! fit-il, la Chevassat vous aura parlé de moi… Ah! langue de vipère, je l'écraserai quelque jour! Voyons, soyez franche, que vous a-t-elle dit?

      Il espérait un mot, au moins; il attendit… Rien.

      Alors, avec une violence contenue, et en un langage inattendu, certes, de sa part:

      – Eh bien! reprit-il, ce qu'elle vous a dit, cette vieille coquine, je vais vous le répéter. Elle vous a dit que le père Ravinet est un personnage équivoque et dangereux, exerçant dans l'ombre toutes sortes d'industries inconnues et inavouables… Elle vous a dit que ce vieux est une manière d'usurier sans foi ni loi, sans autre morale que le gain, trafiquant de tout avec tous, vendant selon le goût des gens de la vieille ferraille ou des cachemires, hypothéquant son argent sur des gages qui n'en sont pas, le talent des hommes et la beauté des femmes. Elle a dû vous dire, en un mot, que pour une femme, être protégée par moi est un bonheur, et vous avez compris que ce serait un opprobre.

      Il s'arrêta, comme pour laisser à la jeune fille le temps de porter un jugement, et d'un ton plus calme:

      – Admettons, poursuivit-il, que ce père Ravinet que vous a dit la Chevassat existe… Il en est un autre, que bien peu connaissent, que certains malheurs troublent profondément, c'est celui-là qui s'offre à vous.

      Se faire mauvais à plaisir, se charger même de vices qu'on n'a pas, c'est une tactique excellente pour ensuite être cru sur parole quand on se vante de certaine qualité qu'on a ou qu'on voudrait paraître avoir.

      Si tel fut le calcul du vieux brocanteur, il échoua complètement. Mlle Henriette demeura de glace.

      – Croyez, monsieur, fit-elle, que je vous suis reconnaissante, comme il convient, des efforts que vous faites pour me convaincre…

      Le bonhomme eut un geste de dépit.

      – En un mot, vous repoussez mes offres parce que je ne trouve pas une raison vulgaire pour les justifier… Que vous dire, cependant!.. Voyons, supposez que j'aie une fille, qu'elle s'est enfuie, que je ne sais ce qu'elle est devenue, et que c'est en souvenir d'elle que je voudrais étendre sur vous ma protection… Ne puis-je pas m'être dit que peut-être, de même que vous, elle se débat dans les angoisses de la faim, abandonnée par son amant…

      La jeune fille, à ce mot, pâlit, et se haussant sur ses oreillers:

      – Vous vous méprenez, monsieur, interrompit-elle. Ma situation, je ne le sais que trop, justifie tous les soupçons, cependant, je n'ai pas d'amant.

      Alors, lui:

      – Je vous crois, mademoiselle, je vous jure que je vous crois… Mais, cela étant, comment vous trouvez-vous ici, réduite aux dernières extrémités de la misère, vous?

      Enfin, le père Ravinet venait de frapper juste. L'émotion gagnait la jeune fille, deux larmes brûlantes jaillirent de ses yeux.

      – Il est de ces secrets, murmura-t-elle, qu'il n'est pas permis de révéler.

      – Même pour défendre son honneur et sa vie?

      – Oui.

      – Cependant…

      – Oh! n'insistez pas, monsieur.

      Si Mlle Henriette eût connu le vieux brocanteur, elle eût lu dans le regard qu'il lui jeta, la satisfaction qu'il éprouvait.

      C'est que désespérant, l'instant d'avant, de rien obtenir, il se croyait désormais assuré du succès.

      Le moment lui paraissait venu de frapper le coup décisif.

      – J'ai essayé de forcer votre confiance, mademoiselle, prononça-t-il, je l'avoue, mais votre intérêt seul me guidait. S'il en était autrement, me serais-je adressé à vous, quand pour surprendre les confidences que je vous demande, je n'avais qu'à déchirer une mince feuille de papier?

      La malheureuse ne put retenir un cri.

      – Mes lettres!

      – Je les ai.

      – Ah! c'est donc cela, que les dames qui me soignaient les ont en vain cherchées partout.

      – J'ai voulu les soustraire à la curiosité des personnes qui étaient là.

      – Et… vous ne les avez pas ouvertes!

      Pour toute réponse, il les tira de sa poche, et avec un beau geste, le geste de l'innocence injustement soupçonnée, il les posa sur le lit.

      Les enveloppes, en apparence du moins, étaient parfaitement intactes. Mlle Henriette le constata d'un coup d'œil, et tendant la main au vieux brocanteur:

      – Je vous remercie, monsieur, dit-elle.

      Lui ne sourcilla pas. Il sentait que cette preuve menteuse, de probité avançait plus ses affaires que tous ses discours; aussi se hâta-t-il de poursuivre:

      – Par exemple, mademoiselle, je n'ai pu m'empêcher de lire les adresses et d'en tirer des conjectures. Qui est le comte de la Ville-Handry?.. Votre père, n'est-ce pas? Et M. Maxime de Brévan?.. C'est le jeune homme qui venait vous visiter. Ah! si vous vouliez vous fier à moi… Si vous saviez combien il est aisé, parfois, avec un peu d'expérience, de dénouer les situations qui semblent le plus inextricables…

      Visiblement, elle était ébranlée.

      – Du reste, ajouta-t-il, attendez d'être remise pour prendre une détermination… Réfléchissez, nous sommes gens de revue… Et vous ne me direz que ce que vous jugerez indispensable pour que je puisse vous conseiller…

      – Oui, en effet, comme cela, peut-être…

      – Alors, j'attendrai, oh! tant que vous voudrez, deux jours, dix jours…

      – Soit.

      – Seulement, mademoiselle, je vous en prie, jurez moi de renoncer à vos horribles projets de suicide…

      – Je vous le jure, monsieur, sur mon honneur de jeune fille!..

      Le père Ravinet eut une exclamation joyeuse.

      – Adjugé!.. s'écria-t-il, et à demain, mademoiselle, car tel que vous me voyez, je tombe de sommeil et je vais me coucher.

      Mais il mentait, car il ne regagna pas son appartement.

      Si exécrable que fût le temps, il sortit, et, une fois dans la rue, il alla se blottir dans une encoignure, d'où il pouvait surveiller exactement l'entrée de sa maison.

      Il y resta longtemps, au froid et à la pluie, jurant de temps à autre et battant la semelle pour se réchauffer.

      Enfin, comme onze heures sonnaient, une voiture de place s'arrêta devant le nº 23. Un jeune homme en descendit, qui sonna à la porte. On lui ouvrit. Il entra.

      – Maxime de Brévan! murmura le vieux brocanteur… Et d'une voix sourde:

      – Je savais bien qu'il viendrait, le brigand, voir si le charbon a fait son œuvre…

      Mais déjà le jeune homme ressortait et remontait dans la voiture qui partit grand train.

      – Eh! eh! ricana le vieux brocanteur, pas de chance, mon garçon… le coup est manqué, et il va falloir chercher autre chose… Et je suis là, cette fois, et je te tiens, et au lieu d'un compte à régler, nous en aurons deux…

      II

      Ce n'est guère que dans les romans qu'on voit des inconnus se prendre soudainement d'une confiance illimitée et se raconter leur vie entière sans restrictions, sans réserver même leurs secrets les plus intimes et les plus chers.

      Dans la vie réelle, on y met plus de façons.

      Longtemps après que le vieux brocanteur l'eut quittée, Mlle Henriette délibérait encore, indécise de ce qu'elle ferait le lendemain


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