La clique dorée. Emile Gaboriau

La clique dorée - Emile Gaboriau


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miss Sarah conduisit Daniel.

      Rien de si frais, de si coquet que ce réduit moitié salon et moitié serre, tendu d'une grosse étoffe de soie bariolée de ramages fantastiques, et garni de treillages où s'enroulaient des lierres et des capucines du Japon. Tout autour étaient disposées des jardinières remplies de plantes rares en pleine floraison, et les siéges de bambou étaient recouverts d'une étoffe pareille à la tenture.

      Le salon de réception reflétait le caractère de mistress Brian, ici se trahissaient les goûts de miss Sarah.

      Elle s'assit sur un petit canapé, et après s'être recueillie un moment:

      – Ma tante avait raison, monsieur, commença-t-elle, il eût été plus convenable de vous faire dire par sir Thomas Elgin ce que je vous dirai… Mais j'ai la témérité des jeunes filles de mon pays, et quand il s'agit de moi, je ne m'en fie qu'à moi…

      Elle était ravissante de naïveté, disant cela de ce petit air capable et résolu que prennent les enfants quand ils vont hasarder quelque entreprise qu'ils jugent considérable ou périlleuse.

      – Mon cher comte, reprit-elle, est allé chez vous cette après-midi, monsieur, il me l'a dit; vous savez donc par lui qu'avant un mois je serai la comtesse de la Ville-Handry.

      Daniel eut un soubresaut. Avant un mois… que faire en si peu de temps!..

      – Or, monsieur, continua miss Brandon, je tiens à savoir de votre bouche si vous trouvez des… inconvénients à ce mariage, et quels ils sont.

      Elle s'exprimait simplement, sans paraître se douter qu'un article du code de la fausse pudeur française exige qu'au seul mot de mariage une demoiselle rougisse jusqu'au blanc des yeux.

      L'embarras de Daniel était extrême.

      – J'avoue, miss, répondit-il péniblement, que je ne comprends pas, que je ne m'explique pas l'honneur que vous me faites…

      – En vous consultant?.. Pardon, vous comprenez très-bien, monsieur… Ne vous a-t-on pas promis la main de Mlle Henriette de la Ville-Handry?..

      – Le comte m'a donné quelques espérances…

      – Il vous a donné sa parole, monsieur, sous certaines conditions… Mon cher comte m'a tout dit… C'est donc au gendre de M. de la Ville-Handry que je m'adresse et que je répète: Voyez-vous à notre mariage quelque empêchement?

      La question était trop nette pour qu'il y eût à équivoquer… Et pourtant Daniel tenait à rester fidèle à son projet de gagner du temps et d'esquiver toute réponse précise… Pour la première fois de sa vie, il mentit, ou plutôt il essaya de mentir, le brave garçon, et non sans devenir cramoisi.

      – Je n'en aperçois pas, miss, balbutia-t-il.

      – Bien vrai?..

      – Oui.

      Elle hocha la tête, et plus lentement:

      – S'il en est ainsi, vous ne refuserez pas de me rendre un grand service… Egarée par la douleur qu'elle éprouve de voir son père se remarier, Mlle de la Ville-Handry me hait… Voulez-vous me promettre d'employer votre influence sur elle à la mieux disposer en ma faveur…

      Jamais le loyal Daniel n'avait été à pareille épreuve.

      – Je crains, miss, répondit-il diplomatiquement, que vous ne vous exagériez mon influence…

      Elle arrêta sur lui un regard si clair et si pénétrant qu'il demeura tout interdit, et alors elle reprit:

      – Je ne vous demande pas de réussir, monsieur… Jurez-moi que franchement et loyalement vous ferez votre possible, et je me tiens pour votre obligée… Voulez-vous me donner votre parole d'honneur?

      Eh bien!.. oui, la situation était si extrême, Daniel avait à endormir l'ennemi un si puissant intérêt, que, l'esprit égaré, il eut l'idée, il eut l'intention de donner cette parole qu'on exigeait de lui.

      Il y a plus, il l'essaya… Mais les mots d'un faux serment refusèrent de sortir de sa gorge.

      – Vous le reconnaissez, dit froidement miss Sarah, vous me trompiez…

      Et se détournant, elle cacha son visage entre ses mains, écrasée de douleur en apparence, et répétant avec un accent d'horreur:

      – Quelle honte!.. mon Dieu! Quelle humiliation!..

      Mais soudain, elle se redressa, le front illuminé d'espoir.

      – Eh bien! s'écria-t-elle, j'aime mieux cela… Un lâche n'eût pas reculé devant un serment, si décidé qu'il fût à ne pas le tenir. Tandis que vous, on peut vous croire: vous êtes un homme d'honneur, et tout n'est pas perdu… D'où vient votre… aversion? Est-ce une question d'intérêt, la succession de M. de la Ville-Handry…

      – Miss!..

      – Non, n'est-ce pas, ce n'est pas cela, j'en étais bien sûre… Qu'est-ce alors?.. Répondez-moi, monsieur, de grâce, dites-moi quelque chose, parlez!..

      Parler?.. Pour quoi dire?.. Daniel garda le silence.

      – C'est bien, fit miss Sarah les dents convulsivement serrées, je comprends!..

      Elle faisait, pour ne pas éclater en sanglots, des efforts inouïs, et de grosses larmes, pareilles à des diamants d'un éclat sans pareil, tremblaient entre ses longs cils.

      – Oui, reprit-elle, je comprends que les flétrissantes calomnies inventées par mes ennemis sont arrivées jusqu'à vous… et que vous les avez crues. On vous a dit, n'est-ce pas, monsieur, que je suis une aventurière, venue on ne sait d'où, que mon père, le vaillant soldat de l'Union, n'a jamais existé que sur la toile de mon salon, qu'on ignore d'où viennent mes revenus, et que Tom, le noble cœur, et mistress Brian, une sainte, sont les complices de mes intrigues… Avouez qu'on vous a dit tout cela, et que vous n'en avez pas douté une minute!

      Superbe d'indignation, la joue en feu, les lèvres frémissantes, elle se leva, et d'un ton d'amère raillerie:

      – Ah! quand il est question d'une belle action, poursuivit-elle, on ne croit pas les gens sur parole, on veut être sûr avant d'admirer, et on s'informe… S'agit-il d'une infamie, on n'y met pas tant de façons… si monstrueuse qu'elle paraisse et si invraisemblable, on la tient pour vraie… On ne lèverait pas la main sur un enfant, mais on se fait l'écho d'une calomnie qui déshonore une femme et la tue aussi sûrement que d'un coup de poignard… Moi, homme, avant de croire que Sarah Brandon est une aventurière, j'aurais voulu en acquérir la certitude. L'Amérique n'est pas si loin… J'y aurais trouvé les dix mille soldats qui ont servi sous les ordres de Brandon, et ils m'auraient dit quel homme était leur général… J'y aurais interrogé les puisatiers de Pensylvanie, et ils m'auraient appris que les puits de pétrole de miss Sarah, de sir Tom et de mistress Brian donnent les revenus d'une principauté!..

      Qu'elle eût osé, cette jeune fille, aborder ainsi franchement et carrément ce sujet terrible, cela confondait Daniel… Il n'y avait pour lui donner tant de puissante énergie et de pareils accents qu'une impudence extraordinaire ou – il fallait bien l'avouer – l'innocence.

      Brisée par l'effort qu'elle venait de faire, elle s'était laissée retomber sur le canapé, et plus bas, comme se parlant à elle-même, elle continuait:

      – Mais ai-je bien le droit de me plaindre!.. Je récolte selon que j'ai semé!.. Hélas! Tom me l'avait prédit et moi, folle, j'ai refusé de le croire… Je n'avais pas vingt ans, lorsque j'arrivai en France, à Paris, après la mort de mon pauvre père… J'avais été élevée librement dans notre libre Amérique, sans autres entraves que celle de ma conscience… Aux jeunes filles de notre pays, on ne cesse de répéter que la franchise est la première des vertus… Aux jeunes filles de France ou laisse supposer que la seule vertu c'est l'hypocrisie… A nous, on apprend à ne rougir que de ce qui est honteux… A elles, on enseigne toutes les grimaces d'une ridicule pudeur de convention… En France, c'est l'apparence qu'on s'applique à sauver… chez nous, c'est la réalité!.. A Philadelphie, tout ce qui me passait par l'esprit et que je ne jugeais pas repréhensible,


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