Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799). Gaffarel Paul

Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799) - Gaffarel Paul


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target="_blank" rel="nofollow" href="#n24" type="note">24, faisait fusiller tous ceux qu'on avait pris les armes à la main, et marchait sur Pavie. Il s'était fait précéder de la proclamation suivante25: «Une multitude égarée, sans moyens réels de résistance, se porte aux derniers excès dans plusieurs communes, méconnaît la République et brave l'armée triomphante de plusieurs rois. Ce délire inconcevable est digne de pitié. On égare ce pauvre peuple pour le conduire à sa perte. Le général en chef, fidèle aux principes qu'a adoptés la nation française, qui ne fait pas la guerre aux peuples, veut bien laisser une porte ouverte au repentir, mais ceux qui, sous vingt-quatre heures, n'auront pas posé les armes et n'auront pas de nouveau prêté serment d'obéissance à la République, seront traités comme rebelles; leurs villages seront brûlés. Que l'exemple terrible de Binasco leur fasse ouvrir les yeux. Son sort sera celui de toutes les villes et villages qui s'obstineront à la révolte.»

      L'archevêque de Milan s'était chargé de porter cette proclamation à Pavie. Il y fut très mal accueilli, et Bonaparte se vit obligé de sévir. Plusieurs milliers de paysans s'étaient enfermés dans la vieille cité gibeline, et faisaient mine de prolonger la résistance. Bonaparte ordonna d'en enfoncer les portes à coups de canon, et le général Dommartin pénétra avec ses grenadiers par la brèche improvisée. Le massacre fut terrible. Tous ceux que l'on surprit dans les caves ou sur les toits des maisons furent passés par les armes. Les fuyards furent poursuivis à outrance et sabrés sans miséricorde. Pendant plusieurs heures la ville fut livrée au pillage26. C'était une atrocité depuis longtemps proscrite par les nations civilisées, et encore Bonaparte eut-il l'art de la présenter comme un acte de clémence. «Trois fois l'ordre de mettre le feu à la ville expira sur mes lèvres, écrivit-il au Directoire27, lorsque je vis arriver la garnison du château qui avait brisé ses fers, et venait, avec des cris d'allégresse, embrasser ses libérateurs. Je fis faire l'appel, il se trouva qu'il n'en manquait aucun. Si le sang d'un seul Français eût été versé, je voulais faire élever, des ruines de Pavie, une colonne sur laquelle j'aurais fait écrire: Ici était la ville de Pavie. J'ai fait fusiller la municipalité, arrêter deux cents otages, que j'ai fait passer en France. Tout est aujourd'hui parfaitement tranquille, et je ne doute pas que cette leçon ne serve de règle aux peuples de l'Italie.»

      Afin de prévenir le retour de semblables émeutes, une proclamation draconienne annonça qu'à l'avenir tous les villages insurgés seraient brûlés, et les prisonniers fusillés. Les prêtres et les nobles seront considérés comme otages et envoyés en France. Tous les villages où sonnera le tocsin seront brûlés. Quand un Français aura été assassiné, les villages sur le territoire duquel aura été commis le crime, devront livrer l'assassin, ou sinon ils paieront une amende égale au tiers de la contribution qu'ils payaient dans une année. Tout détenteur d'armes et de munitions de guerre sera fusillé, et sa maison brûlée. Tous les nobles ou riches «qui seront convaincus d'avoir excité le peuple à la révolte, soit en congédiant leurs domestiques, soit par des propos contre les Français seront arrêtés comme otages, transférés en France et la moitié de leurs revenus confisqués.» Les patriotes lombards, en accueillant les Français, avaient espéré conquérir l'indépendance. Tel était le régime d'arbitraire et de bon plaisir qu'on prétendait leur imposer. Certes l'insurrection de Pavie devait être réprimée, mais était-il nécessaire de la noyer dans le sang? Avait-on publié que nos provocations, que nos spoliations iniques étaient la cause principale de cette effervescence populaire? Ainsi que l'a écrit un des historiens les plus récents de Napoléon28, «huit jours avaient suffi pour changer un peuple ami, connu par la douceur de ses mœurs, et dont les sympathies pour la France allaient jusqu'à l'enthousiasme, en une population défiante, hostile, irritée, que la terreur seule empêchait de manifester ses véritables sentiments».

      III

      On s'en aperçut bien quand la fortune des armes sembla nous être contraire, lorsque Wurmser, à la tête de 70.000 hommes, descendit la vallée de l'Adige pour aller débloquer Mantoue et dispersa nos avant-postes. À la nouvelle de ses premiers succès, les nobles, les prêtres et tous les mécontents reprirent courage. De nombreux émissaires furent envoyés dans les campagnes, porteurs d'écrits injurieux et de billets diffamatoires contre la France. Ces menées réussirent. À Casal Maggiore la petite garnison française fut égorgée, et le commandant, qui s'était enfui en bateau avec sa femme et son enfant, fut arrêté et impitoyablement fusillé. À Crémone, le soulèvement fut général. L'arbre de la liberté fut conservé, mais parce qu'on le destina à pendre les patriotes, et de véritables listes de proscription furent dressées. Tous ceux qui refusèrent de quitter la cocarde tricolore furent accablés de mauvais traitements. Quelques-uns de nos partisans furent même poursuivis et massacrés. La masse de la population néanmoins resta tranquille. On eût dit qu'elle attendait pour se déclarer l'issue de la lutte engagée.

      Les Lombards avaient eu raison d'attendre, car les victoires de Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano, etc., dispersèrent les renforts autrichiens, et nous consolidèrent dans notre conquête. Bonaparte en sut gré aux Lombards, et leur témoigna sa satisfaction. «Lorsque l'armée battait en retraite, écrit-il à la municipalité de Milan29, lorsque les partisans de l'Autriche et les ennemis de la liberté la croyaient perdue sans ressource, lorsqu'il était impossible à vous-mêmes de soupçonner que cette retraite n'était qu'une ruse, vous avez montré de l'attachement pour la France et de l'amour pour la liberté; vous avez déployé un zèle et un caractère qui vous ont mérité l'estime de l'armée et vous mériteront la protection de la République Française. Chaque jour votre peuple se rend davantage digne de la liberté; il acquiert chaque jour de l'énergie, il paraîtra sans doute un jour avec gloire sur la scène du monde. Recevez le témoignage de ma satisfaction et du désir sincère que forme le peuple français de vous voir libres et heureux.

      En dépit de ces compliments et de ces promesses, et malgré le désir peut-être alors sincère qu'éprouvait Bonaparte de donner la liberté à un peuple italien, les faits démentaient cruellement les paroles. Alors que le général en chef paraissait si bien disposé pour les Lombards, ses lieutenants et surtout ses agents subalternes les traitaient au contraire avec un sans-gêne révoltant. Plus que jamais ce beau pays était ravagé et foulé aux pieds. Le général Despinoy, que Bonaparte avait investi du commandement de Milan, avec la double charge de s'emparer du château de cette ville que défendait encore une garnison autrichienne, et de présider les séances du conseil municipal, s'était acquitté de sa mission. Le château avait capitulé, ce qui rendait difficile un retour offensif de l'Autriche, et les conseillers municipaux avaient été présidés avec une implacable dureté. Ils ne pouvaient prendre la moindre mesure, même la plus inoffensive, sans l'assentiment de Despinoy30. On raconte même qu'un jour il s'emporta jusqu'à frapper de son épée la table des délibérations, et rappela aux municipaux tremblants qu'ils n'étaient bons qu'à enregistrer les volontés du vainqueur, Parini saisissant alors son écharpe tricolore, la lui tendit en s'écriant: «Vous feriez bien mieux de la passer à notre cou et de nous étrangler avec.» Ainsi qu'il arrive toujours, les inférieurs exagéraient l'attitude hautaine et les procédés méprisants de leurs chefs. À Côme le Corse Valeri, s'étant procuré une satire rédigée contre lui, rassembla dans la cathédrale tous les hommes au-dessus de douze ans, et leur fit écrire à chacun son nom afin que, par la confrontation des caractères, on connût l'auteur du libelle. Ceci n'était que ridicule; mais que dire des actes féroces et des facéties cruelles? Que dire des vexations de chaque jour? Défense de se promener ou de sortir de la ville sans passeport; défense d'exercer publiquement le culte catholique; interception des journaux étrangers; violation du secret des lettres; défense de porter des habits à l'ancienne mode31, et le tout au nom de la liberté. Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom! disait Mme Roland. Que d'absurdités et d'inconséquences, que de maladresses et de turpitudes, pourrions-nous ajouter!

      Lorsque, pour la seconde fois, une nouvelle armée


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<p>25</p>

Proclamation aux habitants de la Lombardie, Milan, 25 mai 1796. Correspondance, t. I, p. 323.

<p>26</p>

Botta (VII, p. 473) reconnaît pour tant que les soldats se contentèrent de voler, de violer et de brûler: ils ne tuèrent pas. «N'oublions pas de dire que, parmi ces violations de la propriété, ces insultes à la chasteté, le sang du moins ne rougit pas les mains du vainqueur, sujet bien digne, je ne dirai pas de surprise, mais des plus grands éloges, puisque le soldat trouvait à la fois impunité et profit.»

<p>27</p>

Lettre au Directoire, 1er juin 1796, Correspondance, t. II, p. 34. – L'ordre avait été donné de respecter les bâtiments de l'Université et les maisons des professeurs. Il fut scrupuleusement exécuté.

<p>28</p>

Lanfrey, Histoire de Napoléon 1er, t. I.

<p>29</p>

Vérone, 9 août 1796. Correspondance, t. I, p. 533.

<p>30</p>

Cusani. Storia di Milano, V, 10.

<p>31</p>

Ordre. Milan, 13 juillet 1797. Correspondance, t. III, p. 179: «Le général en chef, instruit que la tranquillité publique a été un moment troublée à Milan, que l'on n'y a pas vu sans quelque inquiétude des individus vêtus d'habits dits carrés, forme d'habillement signalée dans l'opinion comme tenant à un parti, défend à tout individu tenant à l'armée de porter des habits dits carrés, sous peine d'être arrêté et puni comme perturbateur»