Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2. Baron Gaspard Gourgaud

Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2 - Baron Gaspard Gourgaud


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est impossible d'expliquer comment Brune, qui savait que sa droite avait passé et était aux mains avec l'ennemi, ne se porta pas à son secours, n'y dirigea pas ses pontons pour y construire un autre pont. Pourquoi du moins, puisqu'il avait adopté le plan de passer sur deux points, ne choisit-il pas Mozembano, en profitant du mouvement où était l'armée autrichienne, pour s'emparer de Salionzo, Valleggio, et tomber sur les derrières des ennemis? Suchet et Davoust ne vinrent au secours de Dupont, que de leur propre mouvement, ne prenant conseil que de la force des évènements.

      Le 25, le général Marmont plaça ses batteries de réserve sur les hauteurs de Mozembano, pour protéger la construction des ponts; c'était bien inutile. L'ennemi n'avait garde de venir se placer dans un rentrant de trois mille toises de corde, pour disputer le passage d'une rivière de vingt toises, commandée par une hauteur, vis-à-vis de laquelle son artillerie, quelque nombreuse qu'elle fût, n'aurait pas pu se maintenir plus d'un quart d'heure en batterie. Le passage effectué, Delmas, avec l'avant-garde, marcha sur Valleggio; Moncey, avec la division Boudet, Michaud, avec la réserve, le soutinrent. Suchet resta en réserve devant Borghetto, et Dupont, avec l'aile droite, resta à Pozzolo. Les troupes eurent à souffrir des feux croisés de Valleggio et de Salionzo; mais le général autrichien avait déja calculé sa retraite, considérant la rivière comme passée, et après l'affront qu'il avait reçu la veille, malgré l'immense supériorité de ses forces, il cherchait à gagner l'Adige. Il avait seulement conservé des garnisons dans les ouvrages de Salionzo et de Valleggio, afin de pouvoir opérer sûrement sa retraite et évacuer tous ses blessés. Brune lui en laissa le temps. Dans la journée du 25, il ne dépassa pas Salionzo et Valleggio, c'est-à-dire qu'il fit trois mille toises. Le lendemain, les redoutes de Salionzo furent cernées, et on y prit quelques pièces de canon et 1200 hommes. Il faut croire que c'est par une faute de l'état-major autrichien, que ces garnisons n'ont pas reçu l'ordre de se retirer sur Peschiera. Il est difficile, toutefois, de justifier la conduite de ce général.

      Les Français firent une attaque inutile en voulant enlever Borghetto; la brave soixante-douzième demi-brigade, qui en fut chargée, y perdit l'élite de ses soldats. Il suffisait de canonner vivement ce poste et d'y jeter des obus; car on ne peut pas entrer dans Borghetto, si l'on n'est pas maître de Valleggio; et une fois maître de ce dernier point, tout ce qui est dans Borghetto est pris. Effectivement, peu après l'attaque de la soixante-douzième, la garnison de Borghetto se rendit prisonnière; mais on avait sacrifié en pure perte 4 à 500 hommes de cette brave demi-brigade.

      § XII

      Les jours suivants, l'armée se porta en avant, la gauche à Castelnuovo, la droite entre Légnano et Vérone. Elle avait envoyé un détachement pour masquer Mantoue; et deux régiments avaient été placés sur les bords du lac Garda, pour couper toute communication par le Mincio, entre Mantoue et Peschiera, que devait investir la division Dombrowski.

      L'armée française passa l'Adige le premier janvier, c'est-à-dire, six jours après le passage du Mincio; un général habile l'eût passé le lendemain. Cette opération se fit sans éprouver aucun obstacle à Bussolingo. Dans cette saison, le bas Adige est presque impraticable. Le lendemain, l'ennemi évacua Vérone, laissant une garnison dans le château. La division Rochambeau s'était portée de Lodron sur l'Adige, par Riva, Torboli et Mori. Ce mouvement avait obligé les Autrichiens d'évacuer la Corona. Le 6 janvier, ils furent chassés des hauteurs de Caldiero; les Français entrèrent à Vicence. Le corps de Moncey était à Roveredo. Le 11, l'armée française passa la Brenta devant Fontanina. Pendant ces mouvements, le corps d'armée d'observation du midi entrait en Italie; le 13 il arriva à Milan. D'un autre côté, Macdonald avec l'armée des Grisons, était entré à Trente, le 7 janvier, avait poursuivi les Autrichiens dans la vallée de la Brenta; et, dès le 9, il se trouvait en communication avec l'armée d'Italie, par Roveredo. L'armée autrichienne, au contraire, s'affaiblissait de plus en plus. Inférieure d'un tiers, dès l'ouverture de la campagne, à l'armée française, elle avait, depuis, éprouvé de grandes pertes. Le combat de Pozzolo lui avait coûté beaucoup de morts et de blessés, et ses pertes en prisonniers, s'élevaient de 5 à 6,000 hommes. Les garnisons qu'elle avait laissées dans Mantoue, Peschiera, Vérone, Ferrare, Porto-Legnano, l'avaient beaucoup réduite. Toutes ces pertes la mettaient hors d'état de tenir aucune ligne devant l'armée française. L'Adige une fois passé, l'armée autrichienne fut obligée d'envoyer une partie de ses forces pour garder les débouchés du Tyrol; et ces troupes se trouvèrent occupées par l'armée des Grisons, qui arrivait en ligne. Le général Baraguey d'Hilliers était à Botzen. A tous ces motifs de découragement, se joignit la nouvelle de l'arrivée de l'armée du Rhin aux portes de Vienne. En un mot, il fallait que l'armée autrichienne fût bien faible et bien découragée, puisqu'elle ne garda pas les hauteurs de Caldiero, et laissa franchir à l'armée française tous les points qu'elle lui pouvait disputer. Aussitôt que cette dernière eut passé la Brenta, M. de Bellegarde renouvela la demande d'un armistice.

      Le général Marmont et le colonel Sébastiani furent chargés par le général en chef de le négocier. Les ordres les plus positifs du premier consul portaient de n'en faire aucun, que lorsque l'armée française serait sur l'Isonzo, afin de bien couper l'armée autrichienne de Venise; ce qui l'eût obligée de laisser une forte garnison dans cette ville, dont les habitants n'étaient pas bien disposés pour les Autrichiens. Cette circonstance pouvait procurer de nouveaux avantages à l'armée française. Mais le premier consul avait insisté surtout pour ne rien conclure, avant qu'on n'eût la place de Mantoue. Le général français montra, dans cette négociation, peu de caractère, et il signa, le 16 janvier, l'armistice à Trévise.

      Brune renonça de lui-même à demander Mantoue; c'était la seule question politique. Il se contenta d'obtenir Peschiera, Porto-Legnano, Ferrare, etc. Les garnisons n'en étaient pas prisonnières de guerre; elles emmenaient avec elles leur artillerie, et la moitié des vivres des approvisionnements de ces places. La flottille de Peschiera, qui appartenait de droit à l'armée française, ne fut pas même livrée.

      La convention de Trévise porta le cachet de la faiblesse des négociateurs qui la conclurent. Il est évident que toutes les conditions étaient à l'avantage de l'Autriche. Par suite des succès que l'armée française avait obtenus, et en raison de sa supériorité numérique et morale, Peschiera, Ferrare, etc., étaient des places prises: c'étaient donc des garnisons formant un total de 5 à 6,000 hommes, de l'artillerie, des vivres, et une flottille, que l'on rendait à des ennemis vaincus. La seule place qui pût tenir assez long-temps, pour aider l'Autriche à soutenir une nouvelle campagne, était Mantoue; et, non-seulement cette place restait au pouvoir des ennemis, mais on lui accordait un arrondissement de huit cents toises, et la faculté de recevoir des approvisionnements au-delà de ceux nécessaires à la garnison et aux habitants.

      Au mécontentement que le premier consul avait éprouvé de toutes les fautes militaires commises dans cette campagne, se joignit celui de voir ses ordres transgressés, les négociations compromises, et sa position en Italie incertaine. Il fit sur-le-champ connaître à Brune qu'il désavouait la convention de Trévise, lui enjoignant d'annoncer que les hostilités allaient recommencer, à moins qu'on ne remît Mantoue. Le premier consul fit faire la même déclaration au comte de Cobentzel, à Lunéville. Ce ministre, qui commençait enfin à être persuadé de la nécessité de traiter de bonne foi, et dont l'orgueil avait plié devant la catastrophe, qui menaçait son maître, signa, le 26 janvier, l'ordre de livrer Mantoue à l'armée française. Ce qui eut lieu le 17 février. A cette condition, l'armistice fut maintenu. Pendant les négociations, le château de Vérone avait capitulé, et sa garnison de 1700 hommes avait été prise.

      Cette campagne d'Italie donna la mesure de Brune, et le premier consul ne l'employa plus dans des commandements importants. Ce général, qui avait montré la plus brillante bravoure et beaucoup de décision à la tête d'une brigade, ne paraissait pas fait pour commander en chef.

      Néanmoins les Français avaient toujours été victorieux dans cette campagne, et toutes les places fortes d'Italie étaient entre leurs mains. Ils étaient maîtres du Tyrol et des trois quarts de la terre-ferme du territoire de Venise, puisque la ligne de démarcation de l'armée française suivait la gauche de la Livenza, depuis Sally jusqu'à la mer, la crête des montagnes


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