Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 2. Baron Gaspard Gourgaud
de la Trébia. Elle fut composée de plusieurs divisions; et l'on persuada facilement qu'elle était de 40,000 hommes, lorsqu'elle n'était réellement que de 15,000. On y envoya des corps de volontaires de Paris, dont la levée avait fixé l'attention des oisifs, et qui étaient composés de jeunes gens de famille. Sous le rapport des opérations purement militaires, cette armée était inutile, et eût rendu plus de services, si on n'en eût formé qu'une seule division, que l'on aurait mise sous les ordres de Moreau ou de Brune. Mais le souvenir de la première était tel chez les Autrichiens, qu'ils pensèrent que cette seconde armée était destinée à manœuvrer comme l'autre, et à tomber sur leurs derrières, soit en Italie, soit en Allemagne. Dans la crainte qu'elle leur inspirait, ils placèrent un corps considérable dans les débouchés du Tyrol et de la Valteline, afin de la tenir en respect, soit qu'elle voulût se diriger sur l'Allemagne, ou sur l'Italie. Elle produisit donc le bon effet, pendant une partie de novembre et de décembre, de paralyser près de 40,000 ennemis, tant de l'armée d'Allemagne, que de celle de l'Italie. Ainsi l'on peut dire que cette deuxième armée de réserve contribua au succès des armées françaises, en Allemagne, bien plus par son nom, que par sa force réelle.
La bataille de Hohenlinden ayant entièrement décidé des affaires d'Allemagne, l'armée des Grisons reçut ordre d'opérer en Italie, de descendre dans la Valteline, et de se porter au cœur du Tyrol, en débouchant sur la grande chaussée à Botzen. Le général Macdonald exécuta lentement cette opération et n'y mit que peu de résolution; soit qu'il vît avec peine le général Brune, avec qui il était mal, à la tête d'une aussi belle armée que celle d'Italie; soit qu'une expédition de cette nature ne fût pas dans le caractère de ce général. Conduite par Masséna, Lecourbe ou Ney, une semblable opération aurait eu les plus grands résultats. Le passage du Splugen offrait sans doute quelques difficultés; mais l'hiver n'est pas la saison la plus défavorable pour le passage des montagnes élevées. Alors la neige y est ferme, le temps bien établi, et l'on n'a rien à craindre des avalanches, véritable et unique danger à redouter sur les Alpes. En décembre, il y a, sur ces hautes montagnes, de très-belles journées, d'un froid sec, pendant lequel règne un grand calme dans l'air.
Ce ne fut que le 6 décembre, que l'armée des Grisons passa enfin le Splugen et arriva à Chiavenna. Mais au lieu de se diriger, par le haut Engadin, sur Botzen, cette armée vint se mettre en deuxième ligne, derrière la gauche de l'armée d'Italie. Elle ne fit aucun effet, et ne participa en rien au succès de la campagne; car le corps de Baraguey d'Hilliers, détaché dans le haut Engadin, était trop faible. Il fut arrêté dans sa marche par l'ennemi, et ne pénétra à Botzen, que le 9 janvier, c'est-à-dire 14 jours après les combats qui avaient été livrés par l'armée d'Italie sur le Mincio, et six jours après le passage de l'Adige par cette armée. Le général Macdonald arriva à Trente, le 7 janvier, lorsque déja l'ennemi en était chassé par la gauche de l'armée d'Italie, qui se portait sur Roveredo, sous les ordres de Moncey et de Rochambeau. L'armistice de Trévise, conclu le 16 janvier 1801, par l'armée d'Italie, comprit également l'armée des Grisons; elle prit position dans le Tyrol italien; et son quartier-général resta à Trente.
§ XI
Dans le courant de novembre 1800, le général Brune, qui commandait l'armée française en Italie, dénonça l'armistice au général Bellegarde, et les hostilités commencèrent le 22 novembre. La rivière de la Chiesa, jusqu'à son embouchure dans l'Oglio, et cette dernière, depuis ce point, jusqu'à son embouchure dans le Pô, formaient la ligne de l'armée française. Cette armée était très-belle et très-nombreuse; elle était composée de l'armée de réserve et de l'ancienne armée d'Italie, réunies. Pendant cinq mois qu'elle s'était rétablie dans les belles plaines de la Lombardie, elle avait été renforcée considérablement, tant par des recrues venant de France, que par de nombreuses troupes italiennes. Le général Moncey commandait la gauche, Suchet le centre, Dupont la droite, Delmas l'avant-garde, et Michaud la réserve; Davoust commandait la cavalerie, et Marmont l'artillerie, qui avait deux cent bouches à feu, bien attelées et approvisionnées. Chacun de ces corps était composé de deux divisions; ce qui faisait un total de dix divisions d'infanterie et deux de cavalerie. Une brigade de l'avant-garde était détachée au quartier-général, et portait le titre de réserve du quartier-général. Ainsi l'avant-garde était de trois brigades.
Le général Miollis commandait en Toscane; il avait sous ses ordres 5 à 6,000 hommes, dont la plus grande partie étaient des troupes italiennes. Soult commandait en Piémont; il avait 6 ou 7,000 hommes, la plupart Italiens. Dulauloy commandait en Ligurie, et Lapoype dans la Cisalpine. Le général en chef Brune avait près de 100,000 hommes sous ses ordres; il lui en restait, réunis sur le champ de bataille, plus de 80,000.
L'armée des Grisons, que commandait Macdonald, occupait des corps autrichiens dans l'Engadine et dans la Valteline. Cette armée peut donc être comptée comme faisant partie de celle d'Italie. Elle augmentait la force de celle-ci de 15,000 hommes; c'était donc à peu près 100,000 hommes présents sous les armes, qui agissaient sur le Mincio et l'Adige.
Lors de la reprise des hostilités, le 22 novembre, le général Brune restait sur la défensive; il attendait sa droite qui, sous les ordres de Dupont, était en Toscane. Elle passa le Pô à Sacca, le 24, vint se placer derrière l'Oglio, ayant son avant-garde à Marcaria. L'ennemi restait également sur la défensive. Quelque ordre que reçût Brune d'agir avec vigueur, il hésitait à prendre l'offensive.
Le général Bellegarde, qui commandait l'armée autrichienne, n'était pas un général redoutable. Il avait pour instructions de défendre la ligne du Mincio; la maison d'Autriche attachait de l'importance à conserver cette rivière, tant pour communiquer avec Mantoue, qu'afin de l'avoir pour limite à la paix. L'armée autrichienne, forte de 60 à 70,000 hommes, avait sa gauche appuyée au Pô; elle était soutenue par Mantoue, et couverte par le lac, sur lequel il y avait des chaloupes armées. La droite s'appuyait à Peschiera et au lac Garda, dont une nombreuse flottille lui assurait la possession. Un corps détaché était dans le Tyrol, occupant les positions du Mont-Tonal et celles opposées aux débouchés de l'Engadine et de la Valteline. Le Mincio, qui, de Peschiera à Mantoue, a vingt milles, ou 7 petites lieues de cours, est guéable en plusieurs endroits dans les temps de sécheresse; mais, dans la saison où l'on se trouvait, il ne l'est nulle part. Le général autrichien avait d'ailleurs fermé toutes les prises d'eau qui appauvrissent cette rivière. Toutefois, c'était une faible barrière; elle n'a pas plus d'une vingtaine de toises de largeur, et ses deux rives se dominent alternativement. Le point de Mozembano domine la rive gauche, ainsi que celui de Molino della Volta; les positions de Salionzo et de Valleggio, sur la rive gauche, ont un grand commandement sur celle opposée. Le général Bellegarde avait fait occuper fortement les hauteurs de Valleggio; il y avait fait rétablir un reste de château-fort, antique, qui pouvait servir de réduit; il commande toute la campagne sur les deux rives. Borghetto avait été fortifié, et était comme tête de pont, sous la protection de Valleggio. L'enceinte de la petite ville de Goîto avait été rétablie, et sa défense augmentée par les eaux. Bellegarde avait aussi fait élever quatre redoutes fraisées et palissadées, sur les hauteurs de Salionzo; elles étaient aussi rapprochées que possible de Valleggio. Lorsqu'il eut pourvu à ses principales défenses sur la rive gauche, il les étendit sur la rive droite. Il fit occuper les hauteurs de la Volta, position, qui domine tout le pays, par de forts ouvrages; mais ils étaient à près d'une lieue du Mincio, et à une et demie de Goîto et de Valleggio. Ainsi, sur un espace de quinze milles, le général autrichien avait cinq points fortement retranchés: Peschiera, Salionzo, Valleggio, Volta, et Goîto.
Le 18 décembre, l'armée française passa la Chiesa; le quartier-général se porta à Castaguedolo. Les 19 et 21, toute l'armée marcha sur le Mincio en quatre colonnes; la droite, sous les ordres de Dupont, se dirigea sur l'extrémité du lac de Mantoue; le centre, conduit par Suchet, marcha sur la Volta; l'avant-garde, ayant pour but de masquer Peschiera, se porta sur Ponti; la réserve et l'aile gauche se dirigèrent sur Mosembano. Dupont, à l'aile droite, rejeta avec sa division de droite, la garnison de Mantoue au-delà du lac. La deuxième division (Vatrin) chassa l'ennemi dans Goîto. Suchet, au centre, marcha sur Volta avec circonspection. Il s'attendait à un mouvement de l'armée autrichienne pour soutenir la tête de sa ligne. Mais l'ennemi ne fit contenance