De l'origine des espèces. Darwin Charles

De l'origine des espèces - Darwin Charles


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d'espèces.

      Bien des circonstances naturelles nous démontrent la vérité du principe, qu'une grande diversité de structure peut maintenir la plus grande somme de vie. Nous remarquons toujours une grande diversité chez les habitants d'une région très petite, surtout si cette région est librement ouverte à l'immigration, où, par conséquent, la lutte entre individus doit être très vive. J'ai observé, par exemple, qu'un gazon, ayant une superficie de 3 pieds sur 4, placé, depuis bien des années, absolument dans les mêmes conditions, contenait 20 espèces de plantes appartenant à 18 genres et à 8 ordres, ce qui prouve combien ces plantes différaient les unes des autres. Il en est de même pour les plantes et pour les insectes qui habitent des petits îlots uniformes, ou bien des petits étangs d'eau douce. Les fermiers ont trouvé qu'ils obtiennent de meilleures récoltes en établissant une rotation de plantes appartenant aux ordres les plus différents; or, la nature suit ce qu'on pourrait appeler une «rotation simultanée». La plupart des animaux et des plantes qui vivent tout auprès d'un petit terrain, quel qu'il soit, pourraient vivre sur ce terrain, en supposant toutefois que sa nature n'offrît aucune particularité extraordinaire; on pourrait même dire qu'ils font tous leurs efforts pour s'y porter, mais on voit que, quand la lutte devient très vive, les avantages résultant de la diversité de structure ainsi que des différences d'habitude et de constitution qui en sont la conséquence, font que les habitants qui se coudoient ainsi de plus près appartiennent en règle générale à ce que nous appelons des genres et des ordres différents.

      L'acclimatation des plantes dans les pays étrangers, amenée par l'intermédiaire de l'homme, fournit une nouvelle preuve du même principe. On devrait s'attendre à ce que toutes les plantes qui réussissent à s'acclimater dans un pays quelconque fussent ordinairement très voisines des plantes indigènes; ne pense-t-on pas ordinairement, en effet, que ces dernières ont été spécialement créées pour le pays qu'elles habitent et adaptées à ses conditions? On pourrait s'attendre aussi, peut-être, à ce que les plantes acclimatées appartinssent à quelques groupes plus spécialement adaptés à certaines stations de leur nouvelle patrie. Or, le cas est tout diffèrent, et Alphonse de Candolle a fait remarquer avec raison, dans son grand et admirable ouvrage, que les flores, par suite de l'acclimatation, s'augmentent beaucoup plus en nouveaux genres qu'en nouvelles espèces, proportionnellement au nombre des genres et des espèces indigènes. Pour en donner un seul exemple, dans la dernière édition du Manuel de la flore de la partie septentrionale des États-Unis par le docteur Asa Gray, l'auteur indique 260 plantes acclimatées, qui appartiennent à 162 genres. Ceci suffit à prouver que ces plantes acclimatées ont une nature très diverse. Elles diffèrent, en outre, dans une grande mesure, des plantes indigènes; car sur ces 162 genres acclimatés, il n'y en a pas moins de 100 qui ne sont pas indigènes aux États-Unis; une addition proportionnelle considérable a donc ainsi été faite aux genres qui habitent aujourd'hui ce pays.

      Si nous considérons la nature des plantes ou des animaux qui, dans un pays quelconque, ont lutté avec avantage avec les habitants indigènes et se sont ainsi acclimatés, nous pouvons nous faire quelque idée de la façon dont les habitants indigènes devraient se modifier pour l'emporter sur leurs compatriotes. Nous pouvons, tout au moins, en conclure que la diversité de structure, arrivée au point de constituer de nouvelles différences génériques, leur serait d'un grand profit.

      Les avantages de la diversité de structure chez les habitants d'une même région sont analogues, en un mot, à ceux que présente la division physiologique du travail dans les organes d'un même individu, sujet si admirablement élucidé par Milne-Edwards. Aucun physiologiste ne met en doute qu'un estomac fait pour digérer des matières végétales seules, ou des matières animales seules, tire de ces substances la plus grande somme de nourriture. De même, dans l'économie générale d'un pays quelconque, plus les animaux et les plantes offrent de diversités tranchées les appropriant à différents modes d'existence, plus le nombre des individus capables d'habiter ce pays est considérable. Un groupe d'animaux dont l'organisme présente peu de différences peut difficilement lutter avec un groupe dont les différences sont plus accusées. On pourrait douter, par exemple, que les marsupiaux australiens, divisés en groupes différant très peu les uns des autres, et qui représentent faiblement, comme M. Waterhouse et quelques autres l'ont fait remarquer, nos carnivores, nos ruminants et nos rongeurs, puissent lutter avec succès contre ces ordres si bien développés. Chez les mammifères australiens nous pouvons donc observer la diversification des espèces à un état incomplet de développement.

      EFFETS PROBABLES DE L'ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE, PAR SUITE DE LA DIVERGENCE DES CARACTÈRES ET DE L'EXTINCTION, SUR LES DESCENDANTS D'UN ANCÊTRE COMMUN

      Après la discussion qui précède, quelque résumée qu'elle soit, nous pouvons conclure que les descendants modifiés d'une espèce quelconque réussissent d'autant mieux que leur structure est plus diversifiée et qu'ils peuvent ainsi s'emparer de places occupées par d'autres êtres. Examinons maintenant comment ces avantages résultant de la divergence des caractères tendent à agir, quand ils se combinent avec la sélection naturelle et l'extinction.

      Le diagramme ci-contre peut nous aider à comprendre ce sujet assez compliqué. Supposons que les lettres A à L représentent les espèces d'un genre riche dans le pays qu'il habite; supposons, en outre, que ces espèces se ressemblent, à des degrés inégaux, comme cela arrive ordinairement dans la nature; c'est ce qu'indiquent, dans le diagramme, les distances inégales qui séparent les lettres. J'ai dit un genre riche, parce que, comme nous l'avons vu dans le second chapitre, plus d'espèces varient en moyenne dans un genre riche que dans un genre pauvre, et que les espèces variables des genres riches présentent un plus grand nombre de variétés. Nous avons vu aussi que les espèces les plus communes et les plus répandues varient plus que les espèces rares dont l'habitat est restreint. Supposons que A représente une espèce variable commune très répandue, appartenant à un genre riche dans son propre pays. Les lignes ponctuées divergentes, de longueur inégale, partant de A, peuvent représenter ses descendants variables. On suppose que les variations sont très légères et de la nature la plus diverse; qu'elles ne paraissent pas toutes simultanément, mais souvent après de longs intervalles de temps, et qu'elles ne persistent pas non plus pendant des périodes égales. Les variations avantageuses seules persistent, ou, en d'autres termes, font l'objet de la sélection naturelle. C'est là que se manifeste l'importance du principe des avantages résultant de la divergence des caractères; car ce principe détermine ordinairement les variations les plus divergentes et les plus différentes (représentées par les lignes ponctuées extérieures), que la sélection naturelle fixe et accumule. Quand une ligne ponctuée atteint une des lignes horizontales et que le point de contact est indiqué par une lettre minuscule, accompagnée d'un chiffre, on suppose qu'il s'est accumulé une quantité suffisante de variations pour former une variété bien tranchée, c'est-à-dire telle qu'on croirait devoir l'indiquer dans un ouvrage sur la zoologie systématique.

      Les intervalles entre les lignes horizontales du diagramme peuvent représenter chacun mille générations ou plus. Supposons qu'après mille générations l'espèce A ait produit deux variétés bien tranchées, c'est-à-dire a1 et m1. Ces deux variétés se trouvent généralement encore placées dans des conditions analogues à celles qui ont déterminé des variations chez leurs ancêtres, d'autant que la variabilité est en elle-même héréditaire; en conséquence, elles tendent aussi à varier, et ordinairement de la même manière que leurs ancêtres. En outre, ces deux variétés, n'étant que des formes légèrement modifiées, tendent à hériter des avantages qui ont rendu leur prototype A plus nombreux que la plupart des autres habitants du même pays; elles participent aussi aux avantages plus généraux qui ont rendu le genre auquel appartiennent leurs ancêtres un genre riche dans son propre pays. Or, toutes ces circonstances sont favorables à la production de nouvelles variétés.

      Si donc ces deux variétés sont variables, leurs variations les plus divergentes persisteront ordinairement pendant les mille générations suivantes. Après cet intervalle, on peut supposer que la variété a1 a produit la variété a2, laquelle, grâce au principe de la divergence, diffère plus de A que ne le faisait la variété a1. On peut supposer aussi que la variété m1 a produit, au bout du même laps de temps,


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