David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome II - Чарльз Диккенс


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béquilles, d'une jambe de bois ou d'un chien tenant une sébile dans la gueule; aussi me regarda-t-elle tout effarée avec un air d'étonnement le plus drôle du monde.

      «Comment pouvez-vous me faire cette folle question? dit-elle en faisant la moue; aimer un mendiant!

      – Dora, ma bien-aimée, lui dis-je, je suis un mendiant!

      – Comment pouvez-vous être assez fou, me répliqua-t-elle en me donnant une tape sur la main, pour venir nous faire de pareils contes! Je vais vous faire mordre par Jip.»

      Ses manières enfantines me plaisaient plus que tout au monde, mais il fallait absolument m'expliquer, et je répétai d'un ton solennel:

      «Dora, ma vie, mon amour, votre David est ruiné!

      – Je vous assure que je vais vous faire mordre par Jip si vous continuez vos folies,» reprit Dora en secouant ses boucles de cheveux.

      Mais j'avais l'air si grave que Dora cessa de secouer ses boucles, posa sa petite main tremblante sur mon épaule, me regarda d'abord d'un air de trouble et d'épouvante, puis se mit à pleurer. C'était terrible. Je tombai à genoux à côté du canapé, la caressant et la conjurant de ne pas me déchirer le coeur; mais pendant un moment ma pauvre petite Dora ne savait que répéter:

      «Ô mon Dieu! mon Dieu! J'ai peur, j'ai peur! Où est Julia Mills?

      Menez-moi à Julia Mills et allez-vous-en, je vous en prie!»

      Je ne savais pas plus moi-même où j'en étais.

      Enfin, à force de prières et de protestations, je décidai Dora à me regarder. Elle avait l'air terrifié, mais je la ramenai peu à peu par mes caresses à me regarder tendrement, et elle appuya sa bonne petite joue contre la mienne. Alors je lui dis, en la tenant dans mes bras, que je l'aimais de tout mon coeur, mais que je me croyais obligé en conscience de lui offrir de rompre notre engagement puisque j'étais devenu pauvre; que je ne pourrais jamais m'en consoler, ni supporter l'idée de la perdre; que je ne craignais pas la pauvreté si elle ne la craignait pas non plus; que mon coeur et mes bras puiseraient de la force dans mon amour pour elle; que je travaillais déjà avec un courage que les amants seuls peuvent connaître; que j'avais commencé à entrer dans la vie pratique et à songer à l'avenir; qu'une croûte de pain gagnée à la sueur de notre front était plus doux au coeur qu'un festin dû à un héritage; et beaucoup d'autres belles choses comme celles-là, débitées avec une éloquence passionnée qui m'étonna moi-même, quoique je me fusse préparé à ce moment-là nuit et jour depuis l'instant où ma tante m'avait surpris par son arrivée imprévue.

      «Votre coeur est-il toujours à moi, Dora, ma chère? lui dis-je avec transport, car je savais qu'il m'appartenait toujours en la sentant se presser contre moi.

      – Oh oui, s'écria Dora, tout à vous, mais ne soyez pas si effrayant!»

       Moi effrayant! Pauvre Dora!

      «Ne me parlez pas de devenir pauvre et de travailler comme un nègre, me dit-elle en se serrant contre moi, je vous en prie, je vous en prie!

      – Mon amour, dis-je, une croûte de pain… gagnée à la sueur…

      – Oui, oui, mais je ne veux plus entendre parler de croûtes de pain, et il faut à Jip tous les jours sa côtelette de mouton à midi, sans quoi il mourra!»

      J'étais sous le charme séduisant de ses manières enfantines. Je lui expliquai tendrement que Jip aurait sa côtelette de mouton avec toute la régularité accoutumée. Je lui dépeignis notre vie modeste, indépendante, grâce à mon travail; je lui parlai de la petite maison que j'avais vue à Highgate, avec la chambre au premier pour ma tante.

      «Suis-je encore bien effrayant, Dora? lui dis-je avec tendresse.

      – Oh non, non! s'écria Dora. Mais j'espère que votre tante restera souvent dans sa chambre, et puis aussi que ce n'est pas une vieille grognon.»

      S'il m'eût été possible d'aimer Dora davantage, à coup sûr je l'eusse fait alors. Mais pourtant je sentais qu'elle n'était pas bonne à grand'chose dans le cas présent. Ma nouvelle ardeur se refroidissait en voyant qu'il était si difficile de la lui communiquer. Je fis un nouvel effort. Quand elle fut tout à fait remise et qu'elle eut pris Jip sur ses genoux pour rouler ses oreilles autour de ses doigts, je repris ma gravité:

      «Ma bien-aimée, puis-je vous dire un mot?

      – Oh! je vous en prie, ne parlons pas de la vie pratique, me dit- elle d'un ton caressant; si vous saviez comme cela me fait peur!

      – Mais, ma chérie, il n'y a pas de quoi vous effrayer dans tout ceci. Je voudrais vous faire envisager la chose autrement. Je voudrais, au contraire, que cela vous inspirât du nerf et du courage.

      – Oh! mais c'est précisément ce qui me fait peur, cria Dora.

      – Non, ma chérie. Avec de la persévérance et de la force de caractère, on supporte des choses bien plus pénibles.

      – Mais je n'ai pas de force du tout, dit Dora en secouant ses boucles. N'est-ce pas Jip? Oh! voyons! embrassez Jip et soyez aimable!»

      Il était impossible de refuser d'embrasser Jip quand elle me le tendait exprès, en arrondissant elle-même, pour l'embrasser aussi, sa jolie petite bouche rose, tout en dirigeant l'opération qui devait s'accomplir avec une précision mathématique sur le milieu du nez de son bichon. Je fis exactement ce qu'elle voulait, puis je réclamai la récompense de mon obéissance; et Dora réussit pendant assez longtemps à tenir ma gravité en échec.

      «Mais, Dora, ma chérie, lui dis-je en reprenant mon air solennel, j'ai encore quelque chose à vous dire!»

      Le juge de la Cour des prérogatives lui-même en serait tombé amoureux rien que de la voir joindre ses petites mains qu'elle tendait vers moi en me suppliant de ne plus lui faire peur.

      «Mais je ne veux pas vous faire peur, mon amour, répétais-je; seulement, Dora, ma bien-aimée, si vous vouliez quelquefois penser, sans découragement, bien loin de là; mais si vous vouliez quelquefois penser, pour vous encourager au contraire, que vous êtes fiancée à un homme pauvre…

      – Non, non, je vous en prie! criait Dora. C'est trop effrayant!

      – Mais pas du tout, ma chère petite, lui dis-je gaiement; si vous vouliez seulement y penser quelquefois, et vous occuper de temps en temps des affaires du ménage de votre papa, pour tâcher de prendre quelque habitude… des comptes, par exemple…»

      Ma pauvre Dora accueillit cette idée par un petit cri qui ressemblait à un sanglot.

      «… Cela vous serait bien utile un jour, continuai-je. Et si vous vouliez me promettre de lire… un petit livre de cuisine que je vous enverrai, comme ce serait excellent pour vous et pour moi! Car notre chemin dans la vie est rude et raboteux pour le moment, ma Dora, lui dis-je en m'échauffant, et c'est à nous à l'aplanir. Nous avons à lutter pour arriver. Il nous faut du courage. Nous avons bien des obstacles à affronter: et il faut les affronter sans crainte, les écraser sous nos pieds.»

      J'allais toujours, le poing fermé et l'air résolu, mais il était bien inutile d'aller plus loin, j'en avais dit bien assez. J'avais réussi… à lui faire peur une fois de plus! Oh! où était Julia Mills! «Oh! menez-moi à Julia Mills, et allez-vous-en, s'il vous plaît!» En un mot, j'étais à moitié fou et je parcourais le salon dans tous les sens.

      Je croyais l'avoir tuée cette fois. Je lui jetai de l'eau à la figure. Je tombai à genoux. Je m'arrachai les cheveux. Je m'accusai d'être une bête brute sans remords et sans pitié. Je lui demandai pardon. Je la suppliai d'ouvrir les yeux. Je ravageai la boite à ouvrage de miss Mills pour y trouver un flacon, et dans mon désespoir je pris un étui d'ivoire à la place et je versai toutes les aiguilles sur Dora. Je montrai le poing à Jip qui était aussi éperdu que moi. Je me livrai à toutes les extravagances imaginables, et il y avait longtemps que j'avais perdu la tête quand miss Mills entra dans la chambre.

      «Qu'y a-t-il! que vous a-t-on fait? s'écria miss Mills en venant au secours de son amie.»

      Je répondis: «C'est moi, miss Mills, c'est


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