David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс
mon cher Copperfield, causons de votre proposition. Elle me fait grand plaisir et me convient parfaitement; mais croyez-vous que vous ne pourriez rien faire de mieux? Vous avez eu de grands succès chez nous, vous savez; vous avez des facultés qui peuvent vous mener loin. Les fondements sont bons: on y peut élever n'importe quel édifice; ne serait-ce pas grand dommage de consacrer le printemps de votre vie à une occupation comme celle que je puis vous offrir?»
Je repris une nouvelle ardeur, et je pressai le docteur avec de nombreuses fleurs de rhétorique, je le crains, de céder à ma demande, en lui rappelant que j'avais déjà, d'ailleurs, une profession.
«Oui, oui, dit le docteur, c'est vrai; certainement cela fait une différence, puisque vous avez une profession et que vous étudiez pour y réussir. Mais, mon cher ami, qu'est-ce que c'est que soixante-dix livres sterling par an?
– Cela double notre revenu, docteur Strong!
– Vraiment! dit le docteur. Qui aurait cru cela! Ce n'est pas que je veuille dire que le traitement sera strictement réduit à soixante-dix livres sterling, parce que j'ai toujours eu l'intention de faire, en outre, un présent à celui de mes jeunes amis que j'occuperais de cette manière. Certainement, dit le docteur en se promenant toujours de long en large, la main sur mon épaule, j'ai toujours fait entrer en ligne de compte un présent annuel.
«Mon cher maître, lui dis-je simplement, et sans phrases cette fois, j'ai contracté envers vous des obligations que je ne pourrai jamais reconnaître.
– Non, non, dit le docteur, pardonnez-moi! vous vous trompez.
– Si vous voulez accepter mes services pendant le temps que j'ai de libre, c'est-à-dire le matin et le soir, et que vous croyiez que cela vaille soixante-dix livres sterling par an, vous me ferez un plaisir que je ne saurais exprimer.
– Vraiment! dit le docteur d'un air naïf. Que si peu de chose puisse faire tant de plaisir! vraiment! vraiment! Mais promettez- moi que le jour où vous trouverez quelque chose de mieux vous le prendrez, n'est-ce pas? Vous m'en donnez votre parole? dit le docteur du ton avec lequel il en appelait autrefois à notre honneur, en classe, quand nous étions petits garçons.
– Je vous en donne ma parole, monsieur, répliquai-je aussi comme nous répondions en classe autrefois.
– En ce cas, c'est une affaire faite, dit le docteur en me frappant sur l'épaule et en continuant de s'y appuyer pendant notre promenade.
– Et je serais encore vingt fois plus heureux de penser, lui dis- je avec une petite flatterie innocente, j'espère… si vous m'occupez au Dictionnaire.»
Le docteur s'arrêta, ma frappa de nouveau sur l'épaule en souriant, et s'écria d'un air de triomphe ravissant à voir, comme si j'étais un puits de sagacité humaine:
«Vous l'avez deviné, mon cher ami. C'est le Dictionnaire.»
Comment aurait-il pu être question d'autre chose? Ses poches en étaient pleines comme sa tête. Le Dictionnaire lui sortait par tous les pores. Il me dit que depuis qu'il avait renoncé à sa pension, son travail avançait de la manière la plus rapide, et que rien ne lui convenait mieux que les heures de travail que je lui proposais, attendu qu'il avait l'habitude de se promener dans le milieu du jour en méditant à son aise. Ses papiers étaient un peu en désordre pour le moment, grâce à M. Jack Maldon qui lui avait offert dernièrement ses services comme secrétaire, et qui n'avait pas l'habitude de cette occupation; mais nous aurions bientôt remis tout cela en état, et nous marcherions rondement. Je trouvai plus tard, quand nous fûmes tout de bon à l'oeuvre, que les efforts de M. Jack Maldon me donnaient plus de peine que je ne m'y étais attendu, vu qu'il ne s'était pas borné à faire de nombreuses méprises, mais qu'il avait dessiné tant de soldats et de têtes de femmes sur les manuscrits du docteur, que je me trouvais parfois plongé dans un dédale inextricable.
Le docteur était enchanté de la perspective de m'avoir pour collaborateur de son fameux ouvrage, et il fut convenu que nous commencerions dès le lendemain à sept heures. Nous devions travailler deux heures tous les matins et deux ou trois heures tous les soirs, excepté le samedi qui serait un jour de congé pour moi. Je devais naturellement me reposer aussi le dimanche; la besogne n'était donc pas bien pénible.
Nos arrangements faits ainsi, à notre mutuelle satisfaction, le docteur m'emmena dans la maison pour me présenter à mistress Strong que je trouvai dans le nouveau cabinet de son mari, occupée à épousseter ses livres, liberté qu'il ne permettait qu'à elle de prendre avec ces précieux favoris.
Ils avaient retardé leur déjeuner pour moi, et nous nous mîmes à table ensemble. Nous venions à peine d'y prendre place quand je devinai, d'après la figure de mistress Strong, qu'il allait venir quelqu'un, avant même d'entendre aucun bruit qui annonçât l'approche d'un visiteur. Un monsieur à cheval arriva à la grille, fit entrer son cheval par la bride, dans la petite cour, comme s'il était chez lui, l'attacha à un anneau sous la remise vide, et entra dans la salle à manger, son fouet à la main. C'était M. Jack Maldon, et je trouvai que M. Jack Maldon n'avait rien gagné à son voyage aux Indes. Il est vrai de dire que j'étais d'une humeur vertueuse et farouche contre tous les jeunes gens qui n'abattaient pas des arbres dans la forêt des difficultés, de sorte qu'il faut faire la part de ces impressions peu bienveillantes.
«Monsieur Jack, dit le docteur, je vous présente Copperfield!»
M. Jack Maldon me donna une poignée de main, un peu froidement à ce qu'il me sembla, et d'un air de protection languissante qui me choqua fort en secret. Du reste, son air de langueur était curieux à voir, excepté pourtant quand il parlait à sa cousine Annie.
«Avez-vous déjeuné, monsieur Jack? dit le docteur.
– Je ne déjeune presque jamais, monsieur, répliqua-t-il en laissant aller sa tête sur le dossier de son fauteuil. Cela m'ennuie.
– Y a-t-il des nouvelles aujourd'hui? demanda le docteur.
– Rien du tout, monsieur, repartit M. Maldon. Quelques histoires de gens qui meurent de faim en Écosse, et qui sont assez mécontents. Mais il y a toujours de ces gens qui meurent de faim et qui ne sont jamais contents.»
Le docteur lui dit d'un air grave et pour changer de conversation:
«Alors il n'y a pas de nouvelles du tout? Eh bien! pas de nouvelles, bonnes nouvelles, comme on dit.
– Il y a une grande histoire dans les journaux à propos d'un meurtre, monsieur, reprit M. Maldon, mais il y a tous les jours des gens assassinés, et je ne l'ai pas lu.»
On ne regardait pas dans ce temps-là une indifférence affectée pour toutes les notions et les passions de l'humanité comme une aussi grande preuve d'élégance qu'on l'a fait plus tard. J'ai vu, depuis, ces maximes-là très à la mode. Je les ai vu pratiquer avec un tel succès que j'ai rencontré de beaux messieurs et de belles dames, qui, pour l'intérêt qu'ils prenaient au genre humain, auraient aussi bien fait de naître chenilles. Peut-être l'impression que me fit alors M. Maldon ne fut-elle si vive que parce qu'elle m'était nouvelle, mais je sais que cela ne contribua pas à le rehausser dans mon estime, ni dans ma confiance.
«Je venais savoir si Annie voulait aller ce soir à l'Opéra, dit M. Maldon en se tournant vers elle. C'est la dernière représentation de la saison qui en vaille la peine, et il y a une cantatrice qu'elle ne peut pas se dispenser d'entendre. C'est une femme qui chante d'une manière ravissante, sans compter qu'elle est d'une laideur délicieuse.»
Là-dessus il retomba dans sa langueur.
Le docteur, toujours enchanté de ce qui pouvait être agréable à sa jeune femme, se tourna vers elle et lui dit:
«Il faut y aller, Annie, il faut y aller.
– Non, je vous en prie, dit-elle au docteur. J'aime mieux rester à la maison. J'aime beaucoup mieux rester à la maison.»
Et sans regarder son cousin, elle m'adressa la parole, me demanda des nouvelles d'Agnès, s'informa si elle ne viendrait pas la voir; s'il n'était pas probable qu'elle vint dans la journée; le tout d'un air si troublé que je me demandais comment il se faisait que