David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс
que la pensée de supposer M. Jorkins capable d'aucun artifice, mais M. Jorkins a une manière de poser ses objections qui trompe souvent les gens. Non, Copperfield! ajouta-t-il en secouant la tête, il n'y a, croyez- moi, aucun moyen d'ébranler M. Jorkins.»
Je commençai à ne pas trop savoir lequel des deux, de M. Spenlow ou de M. Jorkins, était réellement l'associé d'où venaient les difficultés, mais je voyais très-clairement qu'il y avait quelque part chez l'un ou l'autre un endurcissement invincible et qu'il ne fallait plus compter le moins du monde sur le remboursement des mille livres sterling de ma tante. Je quittai donc l'étude dans un état de découragement que je ne me rappelle pas sans remords, car je sais que c'était l'égoïsme (l'égoïsme à nous deux Dora) qui en faisait le fond, et je m'en retournai chez nous!
Je travaillais à familiariser mon esprit avec ce qui pourrait arriver de pis, et je tâchais de me représenter les arrangements qu'il faudrait prendre, si l'avenir se présentait à nous sous les couleurs les plus sombres, quand un fiacre qui me suivait s'arrêta juste à côté de moi et me fit lever les yeux. On me tendait une main blanche par la portière, et j'aperçus le sourire de ce visage que je n'avais jamais vu sans éprouver un sentiment de repos et de bonheur, depuis le jour où je l'avais contemplé sur le vieil escalier de chêne à large rampe, et que j'avais associé dans mon esprit sa beauté sereine avec le doux coloris des vitraux d'église.
«Agnès! m'écriai-je avec joie. Oh! ma chère Agnès, quel plaisir de vous voir; vous plutôt que toute autre créature humaine!
– Vraiment? dit-elle du ton le plus cordial.
– J'ai si grand besoin de causer avec vous! lui dis-je. J'ai le coeur soulagé, rien qu'en vous regardant! Si j'avais eu la baguette d'un magicien, vous êtes la première personne que j'aurais souhaité de voir!
– Allons donc! repartit Agnès.
– Ah! Dora d'abord, peut-être, avouai-je en rougissant.
– Dora d'abord, bien certainement, j'espère, dit Agnès en riant.
– Mais vous, la seconde, lui dis-je; où donc allez-vous?»
Elle allait chez moi pour voir ma tante. Il faisait très-beau, et elle fut bien aise de sortir du fiacre, qui avait l'odeur d'une écurie conservée sous cloche; je ne le sentais que trop, ayant passé la tête par la portière pour causer tout ce temps-là avec Agnès. Je renvoyai le cocher, elle prit mon bras et nous partîmes ensemble. Elle me faisait l'effet de l'espérance en personne; en un moment je ne me sentis plus le même, ayant Agnès à mes côtés.
Ma tante lui avait écrit un de ces étranges et comiques petits billets qui n'étaient pas beaucoup plus longs qu'un billet de banque: elle poussait rarement plus loin sa verve épistolaire. C'était pour lui annoncer qu'elle avait eu des malheurs, à la suite desquels elle quittait définitivement Douvres, mais qu'elle en avait très-bien pris son parti et qu'elle se portait trop bien pour que personne s'inquiétât d'elle. Là-dessus Agnès était venue à Londres pour voir ma tante, qu'elle aimait et qui l'aimait beaucoup depuis de longues années, c'est-à-dire depuis le moment où je m'étais établi chez M. Wickfield. Elle n'était pas seule, me dit-elle. Son papa était avec elle et… Uriah Heep.
«Ils sont associés maintenant? lui dis-je: que le ciel le confonde!
– Oui, dit Agnès. Ils avaient quelques affaires ici, et j'ai saisi cette occasion pour venir aussi à Londres. Il ne faut pas que vous croyiez que c'est de ma part une visite tout à fait amicale et désintéressée, Trotwood, car… j'ai peur d'avoir des préjugés bien injustes… mais je n'aime pas à laisser papa aller seul avec lui.
– Exerce-t-il toujours la même influence sur M. Wickfield, Agnès?»
Agnès secoua tristement la tête.
«Tout est tellement changé chez nous, dit-elle, que vous ne reconnaîtriez plus notre chère vieille maison. Ils demeurent avec nous, maintenant.
– Qui donc? demandai-je.
– M. Heep et sa mère. Il occupe votre ancienne chambre, dit Agnès en me regardant.
– Je voudrais être chargé de lui fournir ses rêves, répliquai-je, il n'y coucherait pas longtemps.
– J'ai gardé mon ancienne petite chambre, dit Agnès, celle où j'apprenais mes leçons. Comme le temps passe! vous souvenez-vous? La petite pièce lambrissée qui donne dans le salon.
– Si je me souviens, Agnès? C'est là que je vous ai vue pour la première fois; vous étiez debout à cette porte, votre petit panier de clefs au côté.
– Précisément, dit Agnès en souriant; je suis bien aise que vous en ayez gardé un si bon souvenir; comme nous étions heureux alors!
– Oh! oui! Je garde cette petite pièce pour moi, mais je ne puis pas toujours laisser là mistress Heep, vous savez? Ce qui fait, dit Agnès avec calme, que je me sens quelquefois obligée de lui tenir compagnie quand j'aimerais mieux être seule. Mais je n'ai pas d'autre sujet de plainte contre elle. Si elle me fatigue quelquefois par ses éloges de son fils, quoi de plus naturel chez une mère? C'est un très-bon fils!»
Je regardai Agnès pendant qu'elle me parlait ainsi, sans découvrir dans ses traits aucun soupçon des intentions d'Uriah. Ses beaux yeux, si doux et si assurés en même temps, soutenaient mon regard avec leur franchise accoutumée, et sans aucune altération visible sur son visage.
«Le plus grand inconvénient de leur présence chez nous, dit Agnès, c'est que je ne puis pas être aussi souvent avec papa que je le voudrais, car Uriah Heep est constamment entre nous. Je ne puis donc pas veiller sur lui, si ce n'est pas une expression un peu hardie, d'aussi près que je le désirerais. Mais, si on emploie envers lui la fraude ou la trahison, j'espère que mon affection fidèle finira toujours par en triompher. J'espère que la véritable affection d'une fille vigilante et dévouée est plus forte, au bout du compte, que tous les dangers du monde.»
Ce sourire lumineux que je n'ai jamais vu sur aucun autre visage disparut alors du sien, au moment où j'en admirais la douceur et où je me rappelais le bonheur que j'avais autrefois à le voir, et elle me demanda avec un changement marqué de physionomie, quand nous approchâmes de la rue que j'habitais, si je savais comment les revers de fortune de ma tante lui étaient arrivés. Sur ma réponse négative, Agnès devint pensive, et il me sembla que je sentais trembler le bras qui reposait sur le mien.
Nous trouvâmes ma tante toute seule et un peu agitée. Il s'était élevé entre elle et mistress Crupp une discussion sur une question abstraite (la convenance de la résidence du beau sexe dans un appartement de garçon), et ma tante, sans s'inquiéter des spasmes de mistress Crupp, avait coupé court à la dispute en déclarant à cette dame qu'elle sentait l'eau-de-vie, qu'elle me volait et qu'elle eût à sortir à l'instant. Mistress Crupp, regardant ces deux expressions comme injurieuses, avait annoncé son intention d'en appeler au «Jurique anglais,» voulant parler, à ce qu'on pouvait croire, du boulevard de nos libertés nationales.
Cependant ma tante ayant eu le temps de se remettre, pendant que Peggotty était sortie pour montrer à M. Dick les gardes à cheval, et, de plus, enchantée de voir Agnès, ne pensait plus à sa querelle que pour tirer une certaine vanité de la manière dont elle en était sortie à son honneur; aussi nous reçut-elle de la meilleure humeur possible. Quand Agnès eut posé son chapeau sur la table et se fut assise près d'elle, je ne pus m'empêcher de me dire, en regardant son front radieux et ses yeux sereins, qu'elle me semblait là à sa place; qu'elle y devrait toujours être; que ma tante avait en elle, malgré sa jeunesse et son peu d'expérience, une confiance entière. Ah! elle avait bien raison de compter pour sa force sur sa simple affection, dévouée et fidèle.
Nous nous mîmes à causer des affaires de ma tante, à laquelle je dis la démarche inutile que j'avais faite le matin même.
«Ce n'était pas judicieux, Trot, mais l'intention était bonne. Vous êtes un brave enfant, je crois que je devrais dire plutôt à présent un brave jeune homme, et je suis fière de vous, mon ami. Il n'y a rien à dire, jusqu'à présent. Maintenant, Trot et Agnès, regardons en face la situation de Betsy Trotwood, et voyons