David Copperfield – Tome I. Чарльз Диккенс

David Copperfield – Tome I - Чарльз Диккенс


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de secouer M. Chillip jusqu'à ce qu'il fût venu à bout d'articuler ce qu'il avait à dire. Elle se borna à hocher la tête, mais avec un regard qui le fit frissonner.

      «Eh bien, madame, reprit M. Chillip dès qu'il eut retrouvé un peu de courage, je suis heureux de pouvoir vous féliciter. Tout est fini, madame, et bien fini.»

      Pendant les cinq ou six minutes qu'employa M. Chillip à prononcer cette harangue, ma tante l'observa curieusement.

      «Comment va-t-elle? dit ma tante en croisant les bras, son chapeau toujours pendu à son poignet gauche.

      – Eh bien, madame, elle sera bientôt tout à fait bien, j'espère, répondit M. Chillip. Elle est aussi bien que possible, pour une jeune mère qui se trouve dans une si triste situation. Je n'ai aucune objection à ce que vous la voyiez, madame. Cela lui fera peut-être du bien.

      – Et elle, comment va-t-elle?» demanda vivement ma tante.

      M. Chillip pencha encore un peu plus la tête et regarda ma tante d'un air câlin.

      «L'enfant, dit ma tante, comment va-t-elle?

      – Madame, répondit M. Chillip, je me figurais que vous le saviez.

      C'est un garçon.»

      Ma tante ne dit pas un mot; elle saisit son chapeau par les brides, le lança comme une fronde à la tête de M. Chillip, le remit tout bosselé sur sa propre tête, sortit de la chambre et n'y rentra pas. Elle disparut comme une fée de mauvaise humeur ou comme un de ces êtres surnaturels, que j'étais, disait-on, appelé à voir par le privilège de ma naissance; elle disparut et ne revint plus.

      Mon Dieu, non. J'étais couché dans mon berceau, ma mère était dans son lit et Betsy Trotwood Copperfield était pour toujours dans la région des rêves et des ombres, dans cette région mystérieuse d'où je venais d'arriver; la lune, qui éclairait les fenêtres de ma chambre, se reflétait au loin sur la demeure terrestre de tant de nouveaux venus comme moi, aussi bien que sur le monticule sous lequel reposaient les restes mortels de celui sans lequel je n'aurais jamais existé.

       CHAPITRE II

      J'observe

      Les premiers objets que je retrouve sous une forme distincte quand je cherche à me rappeler les jours de ma petite enfance, c'est d'abord ma mère, avec ses beaux cheveux et son air jeune. Ensuite c'est Peggotty; elle n'a pas d'âge, ses yeux sont si noirs qu'ils jettent une nuance sombre sur tout son visage; ses joues et ses bras sont si durs et si rouges que jadis, il m'en souvient, je ne comprenais pas comment les oiseaux ne venaient pas la becqueter plutôt que les pommes.

      Il me semble que je vois ma mère et Peggotty placées l'une en face de l'autre; pour se faire petites, elles se penchent ou s'agenouillent par terre, et je vais en chancelant de l'une à l'autre. Il me reste un souvenir qui me semble encore tout récent du doigt que Peggotty me tendait pour m'aider à marcher, un doigt usé par son aiguille et plus rude qu'une râpe à muscade.

      C'est peut-être une illusion, mais pourtant je crois que la mémoire de beaucoup d'entre nous garde plus d'empreinte des jours d'enfance qu'on ne le croit généralement, de même que je crois la faculté de l'observation souvent très-développée et très-exacte chez les enfants. La plupart des hommes faits qui sont remarquables à ce point de vue ont, selon moi, conservé cette faculté plutôt qu'ils ne l'ont acquise; et, ce qui semblerait le prouver, c'est qu'ils ont en général une vivacité d'impression et une sérénité de caractère qui sont bien certainement chez eux un héritage de l'enfance.

      Peut-être m'accusera-t-on de divagation si je m'arrête sur cette réflexion, mais cela m'amène à dire que je tire mes conclusions de mon expérience personnelle, et si, dans la suite de ce récit, on trouve la preuve que dans mon enfance j'avais une grande disposition à observer, ou que dans mon âge mûr j'ai conservé un vif souvenir de mon enfance, on sera moins étonné que je me croie en effet des droits incontestables à ces traits caractéristiques.

      En cherchant, comme je l'ai déjà dit, à débrouiller le chaos de mon enfance, les premiers objets qui se présentent à moi, ce sont ma mère et Peggotty. Qu'est-ce que je me rappelle encore? Voyons.

      Ce qui sort d'abord du nuage, c'est notre maison, souvenir familier et distinct. Au rez-de-chaussée, voilà la cuisine de Peggotty qui donne sur une cour; dans cette cour il y a, au bout d'une perche, un pigeonnier sans le moindre pigeon; une grande niche à chien, dans un coin, sans un seul petit chien; plus, une quantité de poulets qui me paraissent gigantesques, et qui arpentent la cour de l'air le plus menaçant et le plus féroce. Il y a un coq qui saute sur son perchoir pour m'examiner tandis que je passe ma tête à la fenêtre de la cuisine: cela me fait trembler, il a l'air si cruel! La nuit, dans mes rêves, je vois les oies au long cou qui s'avancent vers moi, près de la grille; je les revois sans cesse en songe, comme un homme entouré de bêtes féroces s'endort en rêvant lions.

      Voilà un long corridor, je n'en vois pas la fin: il mène de la cuisine de Peggotty à la porte d'entrée. La chambre aux provisions donne dans ce corridor, il y fait tout noir, et il faut la traverser bien vite le soir, car qui sait ce qu'on peut rencontrer au milieu de ces cruches, de ces pots, de ces vieilles boites à thé? Un vieux quinquet l'éclaire faiblement, et par la porte entrebâillée, il arrive une odeur bizarre de savon, de câpres, de poivre, de chandelles et de café, le tout combiné. Ensuite il y a les deux salons: le salon où nous nous tenons le soir, ma mère, moi et Peggotty, car Peggotty est toujours avec nous quand nous sommes seuls et qu'elle a fini son ouvrage; et le grand salon où nous nous tenons le dimanche: il est plus beau, mais on n'y est pas aussi à son aise. Cette chambre a un aspect lamentable à mes yeux, car Peggotty m'a narré (je ne sais pas quand, il y a probablement un siècle) l'enterrement de mon père tout du long: elle m'a raconté que c'est dans ce salon que les amis de la famille s'étaient réunis en manteaux de deuil. C'est encore là qu'un dimanche soir ma mère nous a lu, à Peggotty et à moi, l'histoire de Lazare ressuscité des morts: et j'ai eu si peur qu'on a été obligé de me faire sortir de mon lit, et de me montrer par la fenêtre le cimetière parfaitement tranquille, le lieu où les morts dormaient en repos, à la pâle clarté de la lune.

      Je ne connais nulle part de gazon aussi vert que le gazon de ce cimetière; il n'y a rien de si touffu que ces arbres, rien de si calme que ces tombeaux. Chaque matin, quand je m'agenouille sur mon petit lit près de la chambre de ma mère, je vois les moutons qui paissent sur cette herbe verte; je vois le soleil brillant qui se reflète sur le cadran solaire, et je m'étonne qu'avec cet entourage funèbre il puisse encore marquer l'heure.

      Voilà notre banc dans l'église, notre banc avec son grand dossier. Tout près il y a une fenêtre par laquelle on peut voir notre maison; pendant l'office du matin, Peggotty la regarde à chaque instant pour s'assurer qu'elle n'est ni brûlée ni dévalisée en son absence. Mais Peggotty ne veut pas que je fasse comme elle, et quand cela m'arrive, elle me fait signe que je dois regarder le pasteur. Cependant je ne peux pas toujours le regarder; je le connais bien quand il n'a pas cette grande chose blanche sur lui, et j'ai peur qu'il ne s'étonne de ce que je le regarde fixement: il va peut-être s'interrompre pour me demander ce que cela signifie. Mais qu'est-ce que je vais donc faire? C'est bien vilain de bâiller, et pourtant il faut bien faire quelque chose. Je regarde ma mère, mais elle fait semblant de ne pas me voir. Je regarde un petit garçon qui est là près de moi, et il me fait des grimaces. Je regarde le rayon de soleil qui pénètre sous le portique, et je vois une brebis égarée, ce n'est pas un pécheur que je veux dire, c'est un mouton qui est sur le point d'entrer dans l'église. Je sens que si je le regardais plus longtemps, je finirais par lui crier de s'en aller, et alors ce serait une belle affaire! Je regarde les inscriptions gravées sur les tombeaux le long du mur, et je tâche de penser à feu M. Bodgers, natif de cette paroisse, et à ce qu'a dû être la douleur de Mme Bodgers, quand M. Bodgers a succombé après une longue maladie où la science des médecins est restée absolument inefficace. Je me demande si on a consulté pour ce monsieur le docteur Chillip; et si c'est lui qui a été inefficace, je voudrais savoir s'il trouve agréable de relire chaque dimanche l'épitaphe de M. Bodgers. Je regarde M. Chillip dans sa cravate du dimanche, puis je passe à la chaire. Comme on y jouerait bien! Cela ferait une fameuse forteresse, l'ennemi se précipiterait


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