David Copperfield – Tome I. Чарльз Диккенс
ce qui en faisait le mérite, c'est que c'était un vrai bateau qui avait certainement vogué sur la mer des centaines de fois; un bateau qui n'avait jamais été destiné à servir de maison sur la terre ferme. C'est là ce qui en faisait le charme à mes yeux. S'il avait jamais été destiné à servir de maison, je l'aurais peut-être trouvé petit pour une maison, ou incommode, ou trop isolé; mais du moment que cela n'avait pas été construit dans ce but, c'était une ravissante demeure.
À l'intérieur elle était parfaitement propre, et aussi bien arrangée que possible. Il y avait une table, une horloge de Hollande, une commode, et sur la commode il y avait un plateau où l'on voyait une dame armée d'un parasol, se promenant avec un enfant à l'air martial qui jouait au cerceau. Une Bible retenait le plateau et l'empêchait de glisser: s'il était tombé, le plateau aurait écrasé dans sa chute une quantité de tasses, de soucoupes et une théière qui étaient rangées autour du livre. Sur les murs, il y avait quelques gravures coloriées, encadrées et sous verre, qui représentaient des sujets de l'Écriture. Toutes les fois qu'il m'est arrivé depuis d'en voir de semblables entre les mains de marchands ambulants, j'ai revu immédiatement apparaître devant moi tout l'intérieur de la maison du frère de Peggotty. Les plus remarquables de ces tableaux, c'étaient Abraham en rouge qui allait sacrifier Isaac en bleu, et Daniel en jaune, au milieu d'une fosse remplie de lions verts. Sur le manteau de la cheminée on voyait une peinture du lougre la Sarah-Jane, construit à Sunderland, avec une vraie petite poupe en bois qui y était adaptée; c'était une oeuvre d'art, un chef-d'oeuvre de menuiserie que je considérais comme l'un des biens les plus précieux que ce monde pût offrir. Aux poutres du plafond, il y avait de grands crochets dont je ne comprenais pas bien encore l'usage, des coffres et autres ustensiles aussi commodes pour servir de chaises.
Dès que j'eus franchi le sol, je vis tout cela d'un clin-d'oeil (on n'a pas oublié que j'étais un enfant observateur). Puis Peggotty ouvrit une petite porte et me montra une chambre à coucher. C'était la chambre la plus complète et la plus charmante qu'on pût inventer, dans la poupe du vaisseau, avec une petite fenêtre par laquelle passait autrefois le gouvernail; un petit miroir placé juste à ma hauteur, avec un cadre en coquilles d'huîtres; un petit lit, juste assez grand pour s'y fourrer, et sur la table un bouquet d'herbes marines dans une cruche bleue. Les murs étaient d'une blancheur éclatante, et le couvre-pieds avait des nuances si vives que cela me faisait mal aux yeux. Ce que je remarquai surtout dans cette délicieuse maison, c'est l'odeur du poisson; elle était si pénétrante, que quand je tirai mon mouchoir de poche, on aurait dit, à l'odeur, qu'il avait servi à envelopper un homard. Lorsque je confiai cette découverte à Peggotty, elle m'apprit que son frère faisait le commerce des homards, des crabes et des écrevisses; je trouvai ensuite un tas de ces animaux, étrangement entortillés les uns dans les autres et toujours occupés à pincer tout ce qu'ils trouvaient au fond d'un petit réservoir en bois, où on mettait aussi les pots et les bouilloires.
Nous fûmes reçus par une femme très-polie qui portait un tablier blanc, et que j'avais vue nous faire la révérence à une demi-lieue de distance, quand j'arrivais sur le dos de Ham. Elle avait près d'elle une ravissante petite fille (du moins c'était mon avis), avec un collier de perles bleues; elle ne voulut jamais me laisser l'embrasser, et alla se cacher quand je lui en fis la proposition. Nous finissions de dîner de la façon la plus somptueuse, avec des poules d'eau bouillies, du beurre fondu, des pommes de terre, et une côtelette à mon usage, lorsque nous vîmes arriver un homme aux longs cheveux qui avait l'air très-bon enfant. Comme il appelait Peggotty «ma mignonne,» et qu'il lui donna un gros baiser sur la joue, je n'eus aucun doute (vu la retenue habituelle de Peggotty) que ce ne fût son frère; en effet, c'était lui, et on me le présenta bientôt comme M. Peggotty, le maître de céans.
«Je suis bien aise de vous voir, monsieur? dit M. Peggotty. Nous sommes de braves gens, monsieur, un peu rudes, mais tout à votre service.»
Je le remerciai, et je lui répondis que j'étais bien sûr d'être heureux dans un aussi charmant endroit.
«Comment va votre maman, monsieur? dit M. Peggotty. L'avez-vous laissée en bonne santé?»
Je répondis à M. Peggotty qu'elle était en aussi bonne santé que je pouvais le souhaiter, et qu'elle lui envoyait ses compliments, ce qui était de ma part une fiction polie.
«Je lui suis bien obligé,» dit M. Peggotty. «Eh bien, monsieur, si vous pouvez vous accommoder de nous, pendant quinze jours, dit-il, en se tournant vers sa soeur, et Ham, et la petite Émilie, nous serons fiers de votre compagnie.»
Après m'avoir fait les honneurs de sa maison de la façon la plus hospitalière, M. Peggotty alla se débarbouiller avec de l'eau chaude, tout en observant que «l'eau froide ne suffisait pas pour lui nettoyer la figure.» Il revint bientôt, ayant beaucoup gagné à cette toilette, mais si rouge que je ne pus m'empêcher de penser que sa figure avait cela de commun avec les homards, les crabes et les écrevisses, qu'elle entrait dans l'eau chaude toute noire, et qu'elle en ressortait toute rouge.
Quand nous eûmes pris le thé, on ferma la porte et on s'établit bien confortablement (les nuits étaient déjà froides et brumeuses), cela me parut la plus délicieuse retraite que pût concevoir l'imagination des hommes. Entendre le vent souffler sur la mer, savoir que le brouillard envahissait toute cette plaine désolée qui nous entourait, et se sentir près du feu, dans une maison absolument isolée, qui était un bateau, cela avait quelque chose de féerique. La petite Émilie avait surmonté sa timidité, elle était assise à côté de moi sur le coffre le moins élevé; il y avait là tout juste de la place pour nous deux au coin de la cheminée; mistress Peggotty avec son tablier blanc, tricotait au coin opposé; Peggotty tirait l'aiguille, avec sa boîte au couvercle de saint Paul et le petit bout de cire qui semblaient n'avoir jamais connu d'autre domicile. Ham qui m'avait donné ma première leçon du jeu de bataille, cherchait à se rappeler comment on disait la bonne aventure, et laissait sur chaque carte qu'il retournait la marque de son pouce. M. Peggotty fumait sa pipe. Je sentis que c'était un moment propre à la conversation et à l'intimité.
«M. Peggotty! lui dis-je.
– Monsieur, dit-il.
– Est-ce que vous avez donné à votre fils le nom de Ham, parce que vous vivez dans une espèce d'arche?»
M. Peggotty sembla trouver que c'était une idée très-profonde, mais il répondit:
«Non, monsieur, je ne lui ai jamais donné de nom.
– Qui lui a donc donné ce nom? dis-je en posant à M. Peggotty la seconde question du catéchisme.
– Mais, monsieur, c'est son père qui le lui a donné, dit M. Peggotty.
– Je croyais que vous étiez son père.
– C'était mon frère Joe qui était son père, dit M. Peggotty.
– Il est mort, M. Peggotty? demandai-je après un moment de silence respectueux.
– Noyé, dit M. Peggotty.»
J'étais très-étonné que M. Peggotty ne fût pas le père de Ham, et je me demandais si je ne me trompais pas aussi sur sa parenté avec les autres personnes présentes. J'avais si grande envie de le savoir, que je me déterminai à le demander à M. Peggotty.
«Et la petite Émilie, dis-je, en la regardant. C'est votre fille, n'est-ce pas, monsieur Peggotty?
– Non, monsieur. C'était mon beau-frère, Tom, qui était son père.»
Je ne pus m'empêcher de lui dire après un autre silence plein de respect: «Il est mort, M. Peggotty?
– Noyé,» dit M. Peggotty.
Je sentais combien il était difficile de continuer sur ce sujet, mais je ne savais pas encore tout, et je voulais tout savoir. J'ajoutai donc:
«Vous avez des enfants, monsieur Peggotty.
– Non, monsieur, répondit-il en riant. Je suis célibataire.
– Célibataire! dis-je avec étonnement. Mais alors, qu'est-ce que c'est que ça, monsieur Peggotty?» Et je lui montrai la personne au tablier blanc qui tricotait.
«C'est