Georges. Dumas Alexandre

Georges - Dumas Alexandre


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son âme aux prises avec le danger. Cette occasion se présenta d'une façon assez étrange.

      Un jour, Georges était chez Lepage avec un de ses amis et, en attendant que la place fût libre, il regardait faire un des habitués de l'établissement, connu comme il l'était lui-même pour un des meilleurs tireurs de Paris. Celui qui s'exerçait à cette heure exécutait à peu près tous ces tours d'incroyable adresse que la tradition attribue à Saint-Georges et qui font le désespoir des néophytes, c'est-à-dire qu'il faisait mouche à chaque fois, doublait ses coups de manière que la seconde empreinte couvrît exactement la première, coupait une balle sur un couteau, et tentait, enfin, avec une constante réussite, mille autres expériences pareilles. L'amour-propre du tireur, il faut le dire, était encore excité par la présence de Georges, que le garçon, en lui présentant son pistolet, lui avait dit tout bas être au moins d'une force égale à la sienne, de sorte qu'à chaque coup il se surpassait; mais, à chaque coup au lieu de recevoir de son voisin le tribut d'éloges qu'il méritait, il entendait, au contraire, Georges répondre aux exclamations de la galerie:

      – Oui, sans doute, c'est bien tiré, mais ce serait autre chose, si monsieur tirait sur un homme.

      Cette éternelle négation de son adresse, comme duelliste, commença par étonner le tireur, et finit par le blesser. Il se retourna donc vers Georges au moment où celui-ci venait, pour la troisième fois, d'émettre l'opinion dubitative que nous avons rapportée, et, le regardant d'un air moitié railleur, moitié menaçant:

      – Pardon, Monsieur, lui dit-il, mais il me semble que voilà deux ou trois fois que vous émettez un doute insultant pour mon courage; voudriez-vous avoir la bonté de me donner une explication claire et précise des paroles que vous avez dites?

      – Mes paroles n'ont pas besoin de commentaire, Monsieur, répondit Georges, et s'expliquent, ce me semble, suffisamment par elles-mêmes.

      – Alors, Monsieur, reprit le tireur, ayez la bonté de les répéter encore une fois, afin que j'apprécie à la fois et la portée qu'elles ont et l'intention qui les a dictées.

      – J'ai dit, répondit Georges avec la plus parfaite tranquillité, j'ai dit, en vous voyant faire mouche à tous coups, que vous ne seriez pas si sûr de votre main ni de votre œil, si l'un et l'autre, au lieu d'avoir à diriger une balle contre la plaque, devaient la diriger contre la poitrine d'un homme.

      – Et pourquoi cela, je vous prie? demanda le tireur.

      – Parce qu'il me semble qu'il doit toujours y avoir, au moment où l'on fait feu sur son semblable, une certaine émotion qui peut déranger le coup.

      – Vous êtes-vous souvent battu en duel, Monsieur? demanda le tireur.

      – Jamais, répondit Georges.

      – Alors, il ne m'étonne pas que vous supposiez qu'en pareille circonstance on puisse avoir peur, reprit l'étranger avec un sourire où perçait une légère teinte d'ironie.

      – Excusez-moi, Monsieur répondit Georges, mais vous m'avez mal compris, je crois: il me semble qu'au moment de tuer un homme, on peut trembler d'autre chose que de peur.

      – Je ne tremble jamais, Monsieur, dit le tireur.

      – C'est possible, répondit Georges avec le même flegme, mais je n'en suis pas moins convaincu qu'à vingt-cinq pas, c'est-à-dire, qu'à la même distance où vous faites mouche à tous coups…

      – Eh bien, qu'à vingt-cinq pas?.. dit l'étranger.

      – À vingt-cinq pas, vous manqueriez un homme, reprit Georges.

      – Et moi, je suis sûr du contraire, Monsieur.

      – Permettez-moi de ne pas vous croire sur parole.

      – Alors, c'est un démenti que vous me donnez?

      – Non, c'est un fait que j'établis.

      – Mais dont, je suppose, vous hésiteriez à faire l'expérience, reprit en ricanant le tireur.

      – Pourquoi cela? répondit Georges en le regardant fixement.

      – Mais sur un autre que sur vous, je présume.

      – Sur un autre ou sur moi-même, peu importe.

      – Ce serait téméraire à vous, Monsieur, de risquer une pareille épreuve, je vous en préviens.

      – Non, car j'ai dit ce que je pensais, et, par conséquent, ma conviction est que je ne risquerais pas grand-chose.

      – Ainsi, Monsieur, vous me répétez pour la seconde fois qu'à vingt-cinq pas, je manquerais mon homme?

      – Vous vous trompez, Monsieur, ce n'est pas pour la seconde fois que je vous le répète; c'est, si je me le rappelle bien, pour la cinquième.

      – Ah! c'est trop fort, Monsieur, et vous voulez m'insulter.

      – Libre à vous de croire que c'est mon intention.

      – C'est bien, Monsieur. Votre heure?

      – À l'instant même, si vous voulez.

      – Le lieu?

      – Nous sommes à cinq cents pas du bois de Boulogne.

      – Vos armes?

      – Mes armes? Mais le pistolet. Ce n'est pas d'un duel qu'il s'agit, c'est une expérience que nous faisons.

      – À vos ordres, Monsieur.

      – C'est moi qui suis aux vôtres.

      Les deux jeunes gens montèrent chacun dans son cabriolet, accompagnés chacun d'un ami.

      Arrivés sur le terrain, les deux témoins voulurent arranger l'affaire, mais c'était chose difficile. L'adversaire de Georges exigeait des excuses, et Georges prétendait qu'il ne devait ces excuses que dans le cas où il serait blessé ou tué, puisque, dans ce cas seulement, il aurait tort.

      Les deux témoins perdirent un quart d'heure en négociations qui n'amenèrent aucun résultat.

      On voulut alors placer les adversaires à trente pas l'un de l'autre; mais Georges fit observer qu'il n'y avait plus d'expérience réelle si on n'adoptait point la distance à laquelle on tire d'habitude sur la plaque c'est-à-dire vingt cinq pas. En conséquence, on mesura vingt-cinq pas.

      Alors on voulut jeter un louis en l'air pour décider à qui tirerait le premier; mais Georges déclara qu'il regardait ce préliminaire comme inutile attendu que le droit de primauté appartenait tout naturellement à son adversaire. L'adversaire de Georges de son côté, se piqua d'honneur, et insista pour que le sort décidât d'un avantage qui, entre deux hommes d'une force si grande, donnait toute chance à celui qui tirerait le premier. Mais Georges tint bon, et son adversaire fut obligé de céder.

      Le garçon du tir avait suivi les combattants. Il chargea les pistolets avec la même mesure, la même poudre et les mêmes balles que celles avec lesquelles les expériences précédentes avaient été faites. C'étaient aussi les mêmes pistolets. Georges avait imposé ce point comme une condition sine qua non.

      Les adversaires se placèrent à vingt-cinq pas, et chacun d'eux reçut des mains de son témoin un pistolet tout chargé. Puis les témoins s'éloignèrent, laissant aux combattants la faculté de tirer l'un sur l'autre dans l'ordre convenu.

      Georges ne prit aucune des précautions usitées en pareille circonstance, il n'essaya de garantir avec son pistolet aucune partie de son corps. Il laissa pendre son bras le long de sa cuisse et présenta, dans toute sa largeur, sa poitrine entièrement désarmée.

      Son adversaire ne savait ce que voulait dire une telle conduite; il s'était trouvé plusieurs fois en circonstance pareille: jamais il n'avait vu un semblable sang-froid. Aussi cette conviction profonde de Georges commença-t-elle à produire son effet. Ce tireur si habile, qui n'avait jamais manqué son coup, douta de lui-même.

      Deux fois il leva le pistolet sur Georges, et deux fois il le baissa. C'était contre toutes les règles du duel; mais à chaque fois, Georges se contenta de lui dire:

      – Prenez


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