La San-Felice, Tome 04. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 04 - Dumas Alexandre


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j'en suis sûr, moi.

      Ferrari parut à la porte, botté, éperonné, prêt à partir.

      – Viens ici, mon brave, lui dit le roi.

      – Aux ordres de Votre Majesté. Mes dépêches, sire?

      – Il ne s'agit pas de dépêches ce soir, mon ami, dit le roi; il s'agit seulement de répondre à nos questions.

      – Je suis prêt, sire.

      – Interrogez, cardinal.

      – Mon ami, dit Ruffo au courrier, le roi a la plus grande confiance en vous.

      – Je crois l'avoir méritée par quinze ans de bons et loyaux services, monseigneur.

      – C'est pourquoi le roi vous prie de rappeler tous vos souvenirs, et il veut bien vous prévenir par ma voix qu'il s'agit d'une affaire très-importante.

      – J'attends votre bon plaisir, monseigneur, dit Ferrari.

      – Vous vous rappelez bien les moindres circonstances de votre voyage à Vienne, n'est-ce pas? demanda le cardinal.

      – Comme si j'en arrivais, monseigneur.

      – C'est bien l'empereur qui vous a remis lui-même la lettre que vous avez apportée au roi?

      – Lui-même, oui, monseigneur, et j'ai déjà eu l'honneur de le dire à Sa Majesté. – Sa Majesté désirerait en recevoir une seconde fois l'assurance de votre bouche.

      – J'ai l'honneur de la lui donner.

      – Où avez-vous mis la lettre de l'empereur?

      – Dans cette poche-là, dit Ferrari en ouvrant sa veste.

      – Où vous êtes-vous arrêté?

      – Nulle part, excepté pour changer de cheval.

      – Où avez-vous dormi?

      – Je n'ai pas dormi.

      – Hum! fit le cardinal; mais j'ai entendu dire – vous nous avez même dit – qu'il vous était arrivé un accident.

      – Dans la cour du château, monseigneur; j'ai fait tourner mon cheval trop court, il s'est abattu des quatre pieds, ma tête a porté contre une borne, et je me suis évanoui.

      – Où avez-vous repris vos sens?

      – Dans la pharmacie.

      – Combien de temps êtes-vous resté sans connaissance?

      – C'est facile à calculer, monseigneur. Mon cheval s'est abattu vers une heure ou une heure et demie du matin, et, quand j'ai rouvert les yeux, il commençait à faire jour.

      – Au commencement d'octobre, il fait jour vers cinq heures et demie du matin, six heures peut-être; c'est donc pendant quatre heures environ que vous êtes resté évanoui?

      – Environ, oui, monseigneur.

      – Qui était près de vous quand vous avez rouvert les yeux?

      – Le secrétaire de Son Excellence le capitaine général, M. Richard, et le chirurgien de Santa-Maria.

      – Vous n'avez aucun soupçon que l'on ait touché à la lettre qui était dans votre poche?

      – Quand je me suis réveillé, la première chose que j'ai faite a été d'y porter la main, elle y était toujours. J'ai examiné le cachet et l'enveloppe, ils m'ont paru intacts.

      – Vous aviez donc quelques doutes?

      – Non, monseigneur, j'ai agi instinctivement.

      – Et ensuite?

      – Ensuite, monseigneur, comme le chirurgien de Santa-Maria m'avait pansé pendant mon évanouissement, on m'a fait prendre un bouillon; je suis parti, et j'ai remis ma lettre à Sa Majesté. Du reste, vous étiez là, monseigneur.

      – Oui, mon cher Ferrari, et je crois pouvoir affirmer au roi que, dans toute cette affaire, vous vous êtes conduit en bon et loyal serviteur. Voilà tout ce que l'on désirait savoir de vous; n'est-ce pas, sire?

      – Oui, répondit Ferdinand.

      – Sa Majesté vous permet donc de vous retirer, mon ami, et de prendre un repos dont vous devez avoir grand besoin.

      – Oserai-je demander à Sa Majestés! j'ai démérité en rien de ses bontés?

      – Au contraire, mon cher Ferrari, dit le roi, au contraire, et tu es plus que jamais l'homme de ma confiance.

      – Voilà tout ce que je désirais savoir, sire; car c'est la seule récompense que j'ambitionne.

      Et il se retira heureux de l'assurance que lui donnait le roi.

      – Eh bien? demanda Ferdinand.

      – Eh bien, sire, s'il y a eu substitution de lettre, ou changement fait à la lettre, c'est pendant l'évanouissement de ce malheureux que la chose a eu lieu.

      – Mais, comme il vous l'a dit, mon éminentissime, le cachet et l'enveloppe étaient intacts.

      – Une empreinte de cachet est facile à prendre.

      – On aurait donc contrefait la signature de l'empereur? Dans tous les cas, celui qui aurait fait le coup serait un habile faussaire.

      – On n'a pas eu besoin de contrefaire la signature de l'empereur, sire.

      – Comment s'y est-on pris, alors?

      – Remarquez, sire, que je ne vous dis pas ce que l'on a fait.

      – Que me dites-vous donc?

      – Je dis à Votre Majesté ce que l'on aurait pu faire.

      – Voyons.

      – Supposez, sire, que l'on se soit procuré ou que l'on ait fait faire un cachet représentant la tête de Marc-Aurèle.

      – Après?

      – On aurait pu amollir la cire du cachet en la plaçant au-dessus d'une bougie, ouvrir la lettre, la plier ainsi…

      Et Ruffo la plia, en effet, comme avait fait Acton.

      – Pour quoi faire la plier ainsi? demanda le roi.

      – Pour sauvegarder l'en-tête et la signature; puis, avec un acide quelconque, enlever l'écriture, et, à la place de ce qui y était alors, mettre ce qu'il y a aujourd'hui.

      – Vous croyez cela possible, Éminence?

      – Rien de plus facile; je dirai même que cela expliquerait parfaitement, vous en conviendrez, sire, une lettre d'une écriture étrangère entre un en-tête et une salutation de l'écriture de l'empereur.

      – Cardinal! cardinal! dit le roi après avoir examiné la lettre avec attention, vous êtes un bien habile homme.

      Le cardinal s'inclina.

      – Et maintenant, qu'y a-t-il à faire, à votre avis? demanda le roi.

      – Laissez-moi le reste de la nuit pour y penser, répliqua le cardinal, et, demain, nous en reparlerons.

      – Mon cher Ruffo, dit le roi, n'oubliez pas que, si je ne vous fais pas premier ministre, c'est que je ne suis pas le maître.

      – J'en suis si bien convaincu, sire, que, tout en ne l'étant pas, j'en ai la même reconnaissance à Votre Majesté que si je l'étais.

      Et, saluant le roi avec son respect accoutumé, le cardinal sortit, laissant Sa Majesté pénétrée d'admiration pour lui.

      LX

      OÙ VANNI TOUCHE ENFIN AU BUT QU'IL AMBITIONNAIT DEPUIS SI LONGTEMPS

      On se rappelle la recommandation qu'avait faite le roi Ferdinand dans une de ses lettres à la reine. Cette recommandation disait de ne point laisser languir en prison Nicolino Caracciolo et de presser le marquis Vanni, procureur fiscal, d'instruire le plus promptement possible son procès. Nos lecteurs ne se sont point trompés, nous l'espérons, à l'intention


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