La San-Felice, Tome 04. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 04 - Dumas Alexandre


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continua le roi, qui, tandis que le cardinal lisait la première partie de la lettre de l'empereur, avait ouvert son portefeuille et y avait retrouvé la première missive, nous allons en juger: voici la lettre de mon cher neveu; nous la comparerons à celle-ci, et nous verrons bien qui, de lui ou de moi, a tort. Continuez, continuez.

      Le cardinal, en effet, continua:

      «Non-seulement je ne vous ai pas promis cela, mais je vous ai, au contraire, positivement écrit que je ne me mettrais en campagne qu'à l'arrivée du général Souvorov et de ses quarante mille Russes, c'est-à-dire vers le mois d'avril prochain…»

      – Vous comprenez, mon éminentissime, reprit le roi, qu'un de nous deux est fou.

      – Je dirai même un de nous trois, reprit le cardinal, car je l'ai lu comme Votre Majesté.

      – Eh bien, alors, continuez.

      Le cardinal se remit à sa lecture.

      «Je suis d'autant plus sûr de ce que je vous dis, mon cher oncle et beau-père, que, selon la recommandation que Votre Majesté m'en avait faite j'ai écrit la lettre que j'ai eu l'honneur de lui adresser tout entière de ma main…»

      – Vous entendez? de sa main!

      – Oui; mais je dirai, comme Votre Majesté, que je n'y comprends absolument rien.

      – Vous allez voir, Éminence, qu'il n'y a de l'auguste main de mon neveu, au contraire, que l'adresse, l'en-tête et la salutation.

      – Je me rappelle tout cela parfaitement.

      – Continuez, alors.

      Le cardinal reprit:

      «Et que, pour ne m'écarter en rien de ce que j'avais l'honneur de dire à Votre Majesté, j'en ai fait prendre copie par mon secrétaire; cette copie, je vous l'envoie afin que vous la compariez à l'original et que vous vous assuriez de visu qu'il ne pouvait y avoir, dans mes phrases, aucune ambiguïté qui vous induisit en pareille erreur…»

      Le cardinal regarda le roi.

      – Y comprenez-vous quelque chose? demanda Ferdinand.

      – Pas plus que vous, sire; mais permettez que j'aille jusqu'au bout.

      – Allez, allez! ah! nous sommes dans de beaux draps, mon cher cardinal!

      «Et, comme j'avais l'honneur de le dire à Votre Majesté, continua Ruffo, je suis doublement heureux que la Providence ait béni ses armes; car, si au lieu d'être victorieuse, elle eût été battue, il m'eût été impossible, sans manquer aux engagements pris par moi envers les puissances confédérées, d'aller à son secours, et j'eusse été obligé, à mon grand regret, de l'abandonner à sa mauvaise fortune; ce qui eût été pour mon coeur un grand désespoir que, par bonheur, la Providence m'a épargné en lui accordant la victoire…»

      – Oui, la victoire, dit le roi, elle est belle, la victoire!

      «Et maintenant, recevez, mon cher frère et cousin, oncle et beau-père…»

      – Et coetera, et coetera! interrompit le roi. Ah!.. Et maintenant, mon cher cardinal, voyons la copie de la prétendue lettre, dont, par bonheur, j'ai conservé l'original.

      Cette copie était effectivement incluse dans la lettre. Ruffo la tenait, il la lut. C'était bien celle de la dépêche qui avait été décachetée par la reine et Acton, et qui, leur ayant paru mal seconder leur désir, avait été remplacée par la lettre falsifiée que le roi tenait à la main, prêt à la comparer à la copie que lui envoyait François II.

      Quand nous aurons remis sous les yeux de nos lecteurs cette copie de la véritable lettre, – comme nous croyons la chose nécessaire à la clarté de notre récit, – on jugera de l'étonnement où elle devait jeter le roi.

      «Château de Schoenbrünn, 28 septembre 1798.

      »Très-excellent frère, cousin et oncle, allié et confédéré.

      »Je réponds à Votre Majesté de ma main, comme elle m'a écrit de la sienne.

      »Mon avis, d'accord avec celui du conseil aulique, est que nous ne devons commencer la guerre contre la France que quand nous aurons réuni toutes nos chances de succès; et une des chances sur lesquelles il m'est permis de compter, c'est la coopération des 40,000 hommes de troupes russes conduites par le feld-maréchal Souvorov, à qui je compte donner le commandement en chef de nos armées; or, ces 40,000 hommes ne seront ici qu'à la fin de mars. Temporisez donc, mon très-excellent frère, cousin et oncle; retardez par tous les moyens possibles l'ouverture des hostilités; je ne crois pas que la France soit plus que nous désireuse de faire la guerre; profitez de ses dispositions pacifiques; donnez quelque raison, bonne ou mauvaise, de ce qui s'est passé; et, au mois d'avril, nous entrerons en campagne avec tous nos moyens.

      »Sur ce, et la présente n'étant à autre fin, je prie, mon très-cher frère, cousin et oncle, allié et confédéré, que Dieu vous ait en sa sainte et digne garde.

      »FRANÇOIS.»

      – Et, maintenant que vous venez de lire la prétendue copie, dit le roi, lisez l'original, et vous verrez s'il ne dit pas tout le contraire.

      Et il passa au cardinal la lettre falsifiée par Acton et par la reine, lettre qu'il lut tout haut, comme il avait fait de la première.

      Comme la première, elle doit être mise sous les yeux de nos lecteurs, qui se souviennent peut-être du sens, mais qui, à coup sur, ont oublié le texte:

      La voici:

      «Château de Schoenbrünn, 28 septembre 1798.

      »Très-excellent frère, cousin et oncle, allié et confédéré,

      »Rien ne pouvait m'être-plus agréable que la lettre que vous m'écrivez et dans laquelle vous me promettez de vous soumettre en tout point à mon avis. Les nouvelles qui m'arrivent de Rome me disent que l'armée française est dans l'abattement le plus complet; il en est tout autant de l'armée de la haute Italie.

      »Chargez-vous donc de l'une, mon très-excellent frère, cousin et oncle, allié et confédéré; je me chargerai de l'autre. A peine aurai-je appris que vous êtes à Rome, que, de mon côté, j'entre en campagne avec 140,000 hommes; vous en avez de votre côté 60,000; j'attends 40,000 Russes; c'est plus qu'il n'en faut pour que le prochain traité de paix, au lieu de s'appeler le traité de Campo-Formio, s'appelle le traité de Paris.

      »Sur ce, et la présente n'étant à autre fin, je prie, mon très-cher frère, cousin et oncle, allié et confédéré, que Dieu vous ait en sa sainte et digne garde.

      »FRANÇOIS.»

      Le cardinal demeura pensif après avoir achevé sa lecture.

      – Eh bien, éminentissime, que pensez-vous de cela? dit le roi.

      – Que l'empereur a raison, mais que Votre Majesté n'a pas tort.

      – Ce qui signifie?

      – Qu'il y a là-dessous, comme l'a dit Votre Majesté, quelque mystère terrible peut-être; plus qu'un mystère, une trahison.

      – Une trahison! Et qui avait intérêt à me trahir?

      – C'est me demander le nom des coupables, sire et je ne les connais pas.

      – Mais ne pourrait-on pas les connaître?

      – Cherchons-les, je ne demande pas mieux que d'être le limier de Votre Majesté; Jupiter a bien, trouvé Ferrari… Et tenez, à propos de Ferrari, sire, il serait bon de l'interroger.

      – Cela a été ma première pensée; aussi lui ai-je fait dire de se tenir prêt.

      – Alors, que Votre Majesté le fasse venir.

      Le roi sonna; le même valet de pied qui était venu lui parler à table parut.

      – Ferrari! demanda le roi.

      – Il attend dans l'antichambre, sire.

      – Fais-le


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