La San-Felice, Tome 04. Dumas Alexandre

La San-Felice, Tome 04 - Dumas Alexandre


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mangé depuis vingt-quatre heures.

      Puis, se tournant vers la reine:

      – Avez-vous encore d'autres questions à me faire, madame? lui demanda-t-il.

      – Une dernière, sire.

      – Faites.

      – Je m'informerai de Votre Majesté, à quel propos cette mascarade.

      Et Caroline montra d'Ascoli avec son habit brodé, ses croix, ses cordons et ses crachats.

      – Quelle mascarade?

      – Le duc d'Ascoli vêtu en roi!

      – Ah! oui, et le roi vêtu en duc d'Ascoli! Mais, d'abord, asseyez-vous; cela me gêne de manger assis, tandis que vous êtes tous debout autour de moi, et surtout Leurs Altesses royales, dit le roi se levant, se tournant vers Mesdames et saluant.

      – Sire! dit madame Victoire, quelles que soient les circonstances dans lesquelles nous la revoyons, que Votre Majesté soit bien persuadée que nous sommes heureuses de la revoir.

      – Merci, merci. Et qu'est-ce que c'est que ce beau jeune lieutenant-là qui se permet de ressembler à mon fils?

      – Un des sept gardes que vous avez accordés à Leurs Altesses royales, dit la reine; M. de Cesare est de bonne famille corse, sire, et, d'ailleurs, l'épaulette anoblit.

      – Quand celui qui la porte ne la dégrade pas… Si ce que Mack m'a dit est vrai, il y a dans l'armée pas mal d'épaulettes à faire changer d'épaule. Servez bien mes cousines, monsieur de Cesare, et nous vous garderons une de ces épaulettes-là.

      Le roi fit signe de s'asseoir, et l'on s'assit, quoique personne ne mangeât.

      – Et maintenant, dit Ferdinand à la reine, vous me demandiez pourquoi d'Ascoli était vêtu en roi et pourquoi, moi, j'étais vêtu en d'Ascoli? D'Ascoli va vous raconter cela. Raconte, duc, raconte.

      – Ce n'est pas à moi, sire, à me vanter de l'honneur que m'a fait Votre Majesté.

      – Il appelle cela un honneur! pauvre d'Ascoli!.. Eh bien, je vais vous le raconter, moi, l'honneur que je lui ai fait. Imaginez-vous qu'il m'était revenu que ces misérables jacobins avaient dit qu'ils me pendraient si je tombais entre leurs mains.

      – Ils en eussent bien été capables!

      – Vous le voyez, madame, vous aussi, vous êtes de cet avis… Eh bien, comme nous sommes partis tels que nous étions et sans avoir le temps de nous déguiser, à Albano, j'ai dit à d'Ascoli: «Donne-moi ton habit et prends le mien, afin que, si ces gueux de jacobins nous prennent, ils croient que tu es le roi et me laissent fuir; puis, quand je serai en sûreté, tu leur expliqueras que ce n'est pas toi qui es le roi.» Mais une chose à laquelle n'avait pas pensé le pauvre d'Ascoli, ajouta le roi en éclatant de rire, c'est que, si nous eussions été pris, ils ne lui auraient pas donné le temps de s'expliquer, et qu'ils auraient commencé par le pendre, quitte à écouter ses explications après.

      – Si fait, sire, j'y avais pensé, répondit simplement le duc, et c'est pour cela que j'ai accepté.

      – Tu y avais pensé?

      – Oui, sire.

      – Et, malgré cela, tu as accepté?

      – J'ai accepté, comme j'ai l'honneur de le dire à Votre Majesté, fit d'Ascoli en s'inclinant, à cause de cela.

      Le roi se sentit de nouveau touché de ce dévouement si simple et si noble; d'Ascoli était celui de ses courtisans qui lui avait le moins demandé et pour lequel il n'avait jamais, par conséquent, pensé à rien faire.

      – D'Ascoli, dit le roi, je te l'ai déjà dit et je te le répète, tu garderas cet habit, tel qu'il est, avec ses cordons et ses plaques, en souvenir du jour où tu t'es offert à sauver la vie à ton roi, et moi, je garderai le tien en souvenir de ce jour aussi. Si jamais tu avais une grâce à me demander ou un reproche à me faire, d'Ascoli, tu mettrais cet habit et tu viendrais à moi.

      – Bravo! sire, s'écria de Cesare, voilà ce qui s'appelle récompenser!

      – Eh bien, jeune homme, dit madame Adélaïde, oubliez-vous que vous avez l'honneur de parler à un roi?

      – Pardon, Votre Altesse, jamais je ne m'en suis souvenu davantage, car jamais je n'ai vu un roi plus grand.

      – Ah! ah! dit Ferdinand, il y a du bon dans ce jeune homme. Viens ici! comment t'appelles-tu?

      – De Cesare, sire.

      – De Cesare, je t'ai dit que tu pourrais bien gagner une paire d'épaulettes arrachées aux épaules d'un lâche; tu n'attendras point jusque-là, et tu n'auras point cette honte: je te fais capitaine. Monsieur Acton, vous veillerez à ce que son brevet lui soit expédié demain; vous y ajouterez une gratification de mille ducats.

      – Que Votre Majesté me permettra de partager avec mes compagnons, sire?

      – Tu feras comme tu voudras; mais, en tout cas, présente-toi demain devant moi avec les insignes de ton nouveau grade, afin que je sois sûr que mes ordres ont été exécutés.

      Le jeune homme s'inclina et regagna sa place à reculons.

      – Sire, dit Nelson, permettez-moi de vous féliciter; vous avez été deux fois roi dans cette soirée.

      – C'est pour les jours où j'oublie de l'être, milord, répondit Ferdinand avec cet accent qui flottait entre la finesse et la bonhomie; ce qui rendait si difficile de porter un jugement sur son compte.

      Puis, se tournant vers le duc:

      – Eh bien, d'Ascoli, lui dit le roi, pour en revenir à nos moutons, est-ce marché fait?

      – Oui, sire, et la reconnaissance est toute de mon côté, répliqua d'Ascoli. Seulement, que Votre Majesté ait la bonté de me rendre une petite tabatière d'écaille sur laquelle se trouve le portrait de ma fille et qui est dans la poche de ma veste, et moi, de mon côté, je vous restituerai cette lettre de Sa Majesté l'empereur d'Autriche, que Votre Majesté a mise dans sa poche après en avoir lu la première ligne seulement.

      – C'est vrai, je me le rappelle. Donne, duc:

      – La voilà, sire.

      Le roi prit la lettre des mains de d'Ascoli et l'ouvrit machinalement.

      – Notre gendre se porte bien? demanda la reine avec une certaine inquiétude.

      – Je l'espère; au reste, je vais vous le dire, attendu que, comme me le faisait observer d'Ascoli, la lettre m'a été remise au moment où je montais à cheval.

      – De sorte, insista la reine, que vous n'en avez lu que la première ligne?

      – Laquelle me félicitait sur mon entrée triomphale à Rome; or, comme le moment était mal choisi, attendu qu'elle arrivait juste au moment où j'allais en sortir peu triomphalement, je n'ai pas jugé à propos de perdre mon temps à la lire. Maintenant, c'est autre chose, et, si vous permettez, je…

      – Faites, sire, dit la reine en s'inclinant.

      Le roi se mit à lire; mais, à la deuxième ou troisième ligne, sa figure se décomposa tout à coup, et, changeant d'expression, s'assombrit visiblement.

      La reine et Acton échangèrent un regard, et leurs yeux se fixèrent avidement sur cette lettre, que le roi continuait de lire avec une agitation croissante.

      – Ah! fit le roi, voilà, par saint Janvier, qui est étrange, et, à moins que la peur ne m'ait donné la berlue…

      – Mais qu'y a-t-il donc, sire? demanda la reine.

      – Rien, madame, rien… Sa Majesté l'empereur m'annonce une nouvelle à laquelle je ne m'attendais pas, voilà tout.

      – A l'expression de votre visage, sire, je crains qu'elle ne soit mauvaise.

      – Mauvaise! vous ne vous trompez point, madame; nous sommes dans notre jour; vous le savez, il y a un proverbe qui dit: «Les corbeaux volent par troupes.» Il paraît que


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