Le corricolo. Dumas Alexandre

Le corricolo - Dumas Alexandre


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avec la persistance de l'instinct. Le danger devient enfin digne de lui: il s'agit d'y faire face.

      Don Philippe était un de ces généraux habiles qui ne risquent une bataille que lorsqu'ils sont sûrs de la gagner, mais qui, dans l'occasion, savent temporiser comme Fabius ou ruser comme Anibal. Cette fois, il ne s'agissait pas de combattre, il s'agissait de fuir; cette fois, il s'agissait de gagner une retraite inviolable; cette fois, il s'agissait d'atteindre une église, l'église étant à Naples lieu d'asile pour les voleurs, les assassins, les parricides et même pour les débiteurs.

      Mais gagner une église n'était pas chose facile. L'église la plus proche était distante de six cents pas au moins. Il existe, comme nous l'avons dit, un livre intitulé: Naples sans soleil, mais il n'en existe pas qui soit intitulé: Naples sans recors.

      Tout à coup une idée sublime traverse son cerveau. La veille, il a laissé sa vieille domestique un peu indisposée; il entre chez elle, la trouve au lit, s'approche d'elle et lui tâte le pouls.

      – Marie, lui dit-il en secouant la tête, ma pauvre Marie, nous allons donc plus mal qu'hier?

      – Non, excellence, au contraire, répond la vieille, je me sens beaucoup mieux, et j'allais me lever.

      – Gardez-vous-en bien, ma bonne Marie! gardez-vous-en bien! je ne le souffrirai pas. Le pouls est petit, saccadé, sec, profond; il y a pléthore.

      – Eh mon Dieu! monsieur, qu'est-ce que c'est que cette maladie-là?

      – C'est un engorgement des canaux qui conduisent le sang veineux aux extrémités et qui ramènent le sang artériel au coeur.

      – Et c'est dangereux, excellence?

      – Tout est dangereux, ma pauvre Marie, pour le philosophe; mais pour le chrétien tout est louable: la mort elle-même qui, pour le philosophe, est une cause de terreur, est pour le chrétien un objet de joie; le philosophe essaie de la fuir, le chrétien se hâte de s'y préparer.

      – Monsieur, voudriez-vous dire que l'heure est venue de penser au salut de mon âme?

      – Il faut toujours y penser, ma bonne Marie, c'est le moyen de ne pas être pris à l'improviste.

      – Et qu'il serait temps que je me préparasse?

      – Non, non, certainement; vous n'en êtes pas là; mais à votre place, ma bonne Marie, j'enverrais toujours chercher le viatique.

      – Ah! mon Dieu! mon Dieu!

      – Allons, allons, du courage! Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour moi, ma bonne Marie, je suis fort tourmenté, fort inquiet, et cela me tranquillisera, parole d'honneur!

      – Ah! en effet, je me sens bien mal.

      – Là, tu vois!

      – Et je ne sais pas s'il est temps encore.

      – Sans doute, en se pressant.

      – Oh! le viatique! le viatique! mon cher maître.

      – A l'instant même, ma bonne Marie.

      – Le petit garçon du portier fut expédié à la paroisse, et, dix minutes après, on entendit les clochettes du sacristain: don Philippe respira.

      La vieille Marie fit ses dernières dévotions avec une foi et une humilité qui édifièrent tous les assistans; puis, ses dévotions faites, son pieux maître, qui lui avait donné un si bon conseil et qui ne l'avait pas quittée pendant tout le temps qu'elle l'accomplissait, prit un des bâtons du dais, pour reconduire la procession à l'église.

      A la porte, il trouva les gardes du commerce qui, leur ordonnance à la main, venaient l'arrêter à domicile. A l'aspect du Saint-Sacrement, ils tombèrent à genoux et virent d'abord défiler le sacristain sonnant sa sonnette, puis deux lazzaroni vêtus en anges, puis les ouvriers de la paroisse qui étaient de tour et qui marchaient deux à deux une torche à la main, puis le prêtre qui portait le Saint-Sacrement, puis enfin leur débiteur qui leur échappait, grâce au bâton du dais qu'il tenait des deux mains, et qui passait devant eux en chantant à tue-tête le Te Deum laudamus.

      Arrivé dans l'église, et par conséquent se trouvant en lieu de sûreté, il écrivit à la bonne Marie qu'elle n'était pas plus malade que lui, et qu'elle eût à venir le rejoindre le plus tôt possible.

      Une heure après, le digne couple était réuni.

      Le créancier trouva quatre chaises, un buffet et quatre corbeilles de porcelaine cassée: le tout fut rendu à la criée pour la somme de dix carlins.

      Don Philippe n'avait plus besoin de meubles; il avait momentanément trouvé un logement garni. Son ami l'artiste, qui contrefaisait si admirablement les Anglais, était devenu millionnaire tout à coup par un de ces caprices de fortune aussi inouï que bien-venu. Un Anglais immensément riche, et qui avait quitté l'Angleterre attaqué du spleen, était venu à Naples comme y viennent tous les Anglais; il était allé voir Polichinelle, et il n'avait pas ri; il était allé entendre les sermons des capucins, et il n'avait pas ri; il avait assisté au miracle de saint Janvier, et il n'avait pas ri. Son médecin le regardait comme un homme perdu.

      Un jour il s'avisa d'aller aux Fiorentini; on y jouait une traduction des Anglaises pour rire, de l'illustrissime signore Scribe. En Italie, tout est Scribe. J'y ai vu jouer le Marino Faliero, de Scribe; la Lucrèce Borgia, de Scribe; l'Antony, de Scribe; et lorsque j'en suis parti, on annonçait le Sonneur de Saint-Paul, de Scribe.

      Le malade était donc allé voir les Anglaises pour rire, de Scribe; et à la vue de Lélio, qui jouait l'une de ces dames (Lélio était l'ami de don Philippe), notre Anglais avait tant ri que son médecin avait craint un instant qu'il n'eût, comme Bobèche, la rate attaquée.

      Le lendemain, il était retourné aux Fiorentini: on jouait les Deux Anglais, de Scribe, et le splénétique y avait ri plus encore que la veille.

      Le surlendemain, le convalescent ne s'était pas fait faute d'un remède qui lui faisait si grand bien: il était retourné, pour la troisième fois, aux Fiorentini; il avait vu le Grondeur, de Scribe, et il avait ri plus encore qu'il n'avait fait les jours précédens.

      Il en était résulté que l'Anglais, qui ne mangeait plus, qui ne buvait plus, avait peu à peu retrouvé l'appétit et la soif; et cela de telle façon, qu'au bout de trois mois qu'il était au Lélio, il avait pris une indigestion de macaroni et de muscats calabrais qui l'avait joyeusement conduit la nuit suivante au tombeau. De laquelle fin, plein de reconnaissance pour qui de droit, le digne insulaire avait laissé trois mille livres sterling de rente à Lélio, qui l'avait guérit. Lélio, comme nous l'avons dit, se trouvait donc millionnaire. En conséquence, il s'était retiré du théâtre, s'appelait don Lélio, et avait loué le premier étage du plus beau palais de la rue de Tolède, où, fidèle à l'amitié, il s'était empressé d'offrir un appartement à don Philippe Villani. C'était cette offre, faite de la veille seulement, qui rendait don Philippe si insoucieux sur la perte de ses meubles.

      On fut un an à peu près sans entendre aucunement parler de don Philippe Villani. Les uns disaient qu'il était passé en France, où il s'était fait entrepreneur de chemins de fer; les autres, qu'il était passé en Angleterre, où il avait inventé un nouveau gaz.

      Mais personne ne pouvait dire positivement ce qu'était devenu don Philippe Villani, lorsque, le 15 du mois de novembre 1835, la congrégation des pèlerins reçut l'avis suivant:

      «Le sieur don Philippe Villani étant décédé du spleen, la vénérable confrérie des pèlerins est priée de donner les ordres les plus opportuns pour ses obsèques.»

      Pour que nos lecteurs comprennent le sens de cette invitation, il est bon que nous leur disions quelques mots de la manière dont se fait à Naples le service des pompes funèbres.

      Une vieille habitude veut que les morts soient enterrés dans les églises: c'est malsain, cela donne l'aria cattiva, la peste, le choléra; mais n'importe, c'est l'habitude, et d'un bout de l'Italie à l'autre on s'incline devant ce mot.

      Les nobles ont des chapelles


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