Le Speronare. Dumas Alexandre

Le Speronare - Dumas Alexandre


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n'est-ce pas, Pietro?

      – Oui, capitaine, à l'exception de Sienni; vous savez bien que nous étions entrés à votre service après la mort de votre oncle, de sorte que ça n'a quasi pas changé.

      – C'est bien cela, reprit le capitaine; mon pauvre oncle est mort en 1825.

      – Oh! mon Dieu, oui! Le 15 septembre 1825, reprit Pietro avec une expression de tristesse dont je n'aurais pas cru son visage joyeux susceptible.

      – Enfin, la mort de mon pauvre oncle n'a rien à faire dans tout ceci, continua le capitaine en soupirant. Nous étions à Malte depuis deux jours; nous devions y rester huit jours encore, de sorte qu'au lieu de me tenir sur mon bâtiment comme je devais le faire, j'étais allé renouveler connaissance avec de vieux amis que j'avais à la Cité Villette. Les vieux amis m'avaient donné à dîner, et après le dîner nous étions allés prendre une demi-tasse au café Grec. Si vous allez jamais à Malte, allez prendre votre café là, voyez-vous; ce n'est pas le plus beau, mais c'est le meilleur établissement de toute la ville, rue des Anglais, à cent pas de la prison.

      – Bien, capitaine, je m'en souviendrai.

      – Nous venions donc de prendre notre tasse de café; il était sept heures du soir, c'est-à-dire qu'il faisait tout grand jour. Nous causions à la porte, quand tout à coup je vois déboucher, au coin d'une petite ruelle dont le café fait l'angle, un jeune homme de vingt-cinq à vingt-huit ans, pâle, effaré, sans chapeau, hors de lui-même enfin. J'allais frapper sur l'épaule de mon voisin pour lui faire remarquer cette singulière apparition, quand tout à coup, le jeune homme vient droit à moi, et avant que j'aie eu le temps de me défendre, me donne un coup de couteau dans la poitrine, laisse le couteau dans la blessure, repart comme il était venu, tourne l'angle de la rue, et disparaît.

      Tout cela fut l'affaire d'une seconde. Personne n'avait vu que j'étais frappé, moi-même je le savais à peine. Chacun se regardait avec stupéfaction, et répétait le nom de Gaëtano Sferra. Moi, pendant ce temps-là, je sentais mes forces qui s'en allaient.

      – Qu'est-ce qu'il t'a donc fait, ce farceur-là, Giuseppe? me dit mon voisin; comme tu es pâle!

      – Ce qu'il m'a fait? répondis-je; tiens. – Je pris le couteau par le manche, et je le tirai de la blessure. – Tiens, voilà ce qu'il m'a fait. Puis, comme mes forces s'en allaient tout à fait, je m'assis sur une chaise, car je sentais que j'allais tomber de ma hauteur.

      – A l'assassin! à l'assassin! cria tout le monde. C'est Gaëtano Sferra.

      Nous l'avons reconnu, c'est lui. A l'assassin!

      – Oui, oui, murmurai-je machinalement; oui, c'est Gaëtano Sferra. A l'assassin! à l'assas… Ma foi! c'était fini, j'avais tourné de l'oeil.

      – C'est pas étonnant, dit Pietro, il avait trois pouces de fer dans la poitrine; on tournerait de l'oeil à moins.

      – Je restai deux ou trois jours sans connaissance, je ne sais pas au juste. En revenant à moi, je trouvai Nunzio, le pilote, celui qui est là, à mon chevet; il ne m'avait pas quitté, le vieux cormoran. Aussi, il le sait bien, entre nous c'est à la vie, à la mort. N'est-ce pas, Nunzio?

      – Oui, capitaine, répondit le pilote en levant son bonnet comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il répondait à quelqu'une de nos questions.

      – Tiens, lui dis-je, pilote, c'est vous?

      – Oh! il me reconnaît, cria le pilote, il me reconnaît. Alors ça va bien.

      – Vous le voyez, Nunzio: il n'est pas bien gai, n'est-ce pas?

      – Non, le fait est qu'il n'en a pas l'air.

      – Eh bien! le voilà qui se met à danser comme un fou autour de mon lit.

      – C'est que j'étais content, dit le pilote.

      – Oui, reprit le capitaine, tu étais content, mon vieux, ça se voyait. Mais d'où est-ce que je reviens donc? lui demandai-je. – Ah! vous revenez de loin, me répondit-il. En effet, je commençais à me rappeler. Oui, oui, c'est juste, dis-je. Je me souviens, c'est un farceur qui m'a donné un coup de couteau; eh bien! au moins est-il arrêté, l'assassin?

      – Ah bien, oui, arrêté! dit le pilote: il court encore.

      – Cependant on savait qui, repris-je. C'était, c'était, attends donc, ils l'ont nommé; c'était Gaëtano Sferra, je me rappelle bien.

      – Eh bien! Voilà ce qui vous trompe, capitaine, c'est que ce n'était pas lui. Tout cela, c'est une drôle d'histoire, allez.

      – Comment ce n'était pas lui?

      – Ah! non, ça ne pouvait pas être lui, puisque Gaëtano Sferra avait été condamné le matin à mort pour avoir donné un coup de couteau; qu'il était en prison où il attendait le prêtre, et qu'il devait être exécuté le lendemain. C'en est un autre qui lui ressemble, à ce qu'il paraît, quelque frère jumeau, peut-être.

      – Ah! dis-je. Moi, au fait, je ne sais pas si c'est lui, je ne le connais pas.

      – Comment, pas du tout?

      – Pas le moins du monde.

      – Ce n'est pas pour quelque petite affaire d'amour, hein?

      – Non, parole d'honneur, vieux, je ne connais personne à Malte.

      – Et vous ne savez pas pourquoi il vous en voulait, cet enragé-là?

      – Je n'en sais rien.

      – Alors n'en parlons plus.

      – C'est égal, repris-je, c'est embêtant tout de même d'avoir un coup de couteau dans la poitrine, et de ne pas savoir pourquoi on l'a reçu ni qui vous l'a donné. Mais, si jamais je le rencontre, il aura affaire à moi, Nunzio, je ne te dis que cela.

      – Et vous aurez raison, capitaine. En ce moment Pietro ouvrit la porte de ma chambre.

      – Eh! Pilote, dit-il, c'est le juge.

      – Tiens, tu es là aussi, Pietro, m'écriai-je.

      – Un peu, capitaine, que je suis là, et que je n'en ai pas quitté, encore.

      C'est vrai tout de même; il était dans l'antichambre pour empêcher qu'on ne fît du bruit; et comme il entendait que nous devisions, Nunzio et moi, il avait ouvert la porte.

      – Ça va donc mieux? dit Vicenzo en passant la tête à son tour.

      – Ah ça! mais, repris-je, vous y êtes donc tous?

      – Non, il n'y a que nous trois, capitaine, les autres sont au speronare; seulement, ils viennent voir deux fois par jour comment vous allez.

      – Et comme je vous le disais, capitaine, reprit Pietro, c'est le juge.

      – Eh bien! Fais-le entrer, le juge.

      – Capitaine, c'est qu'il n'est pas seul.

      – Avec qui est-il?

      – Il est avec celui qu'on prenait pour votre assassin.

      – Ah! ah! dis-je.

      – Je vous demande pardon, monsieur le juge, dit Nunzio, c'est que le capitaine n'est pas encore bien crâne, attendu qu'il n'y a qu'un quart d'heure qu'il a ouvert les yeux, et qu'il n'y a que dix minutes qu'il parle, et nous avons peur.

      – Alors nous reviendrons demain, dit une voix.

      – Non, non, répondis-je; puisque vous voilà, entrez tout de suite, allez.

      – Entrez, puisque le capitaine le veut, reprit Pietro en ouvrant la porte.

      Le juge entra; il était suivi d'un jeune homme qui avait les mains liées et qui était conduit par des soldats; derrière le jeune homme marchaient deux individus habillés de noir; c'étaient les greffiers.

      – Capitaine Arena, dit le juge, c'est bien vous qui avez été frappé d'un coup de couteau à la porte du café Grec?

      – Pardieu! oui, c'est bien


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