Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo


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avec la rapidite irresistible des foules combattantes.

      Ici, tres brievement, mais tres nettement, expliquons-nous sur le droit d'insurrection.

      L'insurrection de juin avait-elle raison?

      On serait tente de repondre oui et non.

      Oui, si l'on considere le but, qui etait la realisation de la republique; non, si l'on considere le moyen, qui etait le meurtre de la republique. L'insurrection de juin tuait ce qu'elle voulait sauver. Meprise fatale.

      Ce contre-sens etonne, mais l'etonnement cesse si l'on considere que l'intrigue bonapartiste et l'intrigue legitimiste etaient melees a la sincere et formidable colere du peuple. L'histoire aujourd'hui le sait, et la double intrigue est demontree par deux preuves, la lettre de Bonaparte a Rapatel, et le drapeau blanc de la rue Saint-Claude.

      L'insurrection de juin faisait fausse route.

      En monarchie, l'insurrection est un pas en avant; en republique, c'est un pas en arriere.

      L'insurrection n'est un droit qu'a la condition d'avoir devant elle la vraie revolte, qui est la monarchie. Un peuple se defend contre un homme, cela est juste.

      Un roi, c'est une surcharge; tout d'un cote, rien de l'autre; faire contrepoids a cet homme excessif est necessaire; l'insurrection n'est autre chose qu'un retablissement d'equilibre.

      La colere est de droit dans les choses equitables; renverser la

      Bastille est une action violente et sainte.

      L'usurpation appelle la resistance; la republique, c'est-a-dire la souverainete de l'homme sur lui-meme, et sur lui seul, etant le principe social absolu, toute monarchie est une usurpation; fut-elle legalement proclamee; car il y a des cas, nous l'avons dit [note: Preface du tome Ier, Avant l'exil.], ou la loi est traitre au droit. Ces rebellions de la loi doivent etre reprimees, et ne peuvent l'etre que par l'indignation du peuple. Royer-Collard disait: Si vous faites cette loi, je jure de lui desobeir.

      La monarchie ouvre le droit a l'insurrection.

      La republique le ferme.

      En republique, toute insurrection est coupable.

      C'est la bataille des aveugles.

      C'est l'assassinat du peuple par le peuple. En monarchie, l'insurrection c'est la legitime defense; en republique, l'insurrection c'est le suicide.

      La republique a le devoir de se defendre, meme contre le peuple; car le peuple, c'est la republique d'aujourd'hui, et la republique, c'est le peuple d'aujourd'hui, d'hier et de demain.

      Tels sont les principes.

      Donc l'insurrection de juin 1848 avait tort.

      Helas! ce qui la fit terrible, c'est qu'elle etait venerable. Au fond de cette immense erreur on sentait la souffrance du peuple. C'etait la revolte des desesperes. La republique avait un premier devoir, reprimer cette insurrection, et un deuxieme devoir, l'amnistier. L'Assemblee nationale fit le premier devoir, et ne fit pas le second. Faute dont elle repondra devant l'histoire.

      Nous avons du en passant dire ces choses parce qu'elles sont vraies et que toutes les verites doivent etre dites, et parce qu'aux epoques troublees il faut des idees claires; maintenant nous reprenons le recit commence.

      Ce fut par la maison n deg. 6 que les insurges penetrerent dans la place dont nous avons parle. Cette maison avait une cour qui, par une porte de derriere, communiquait avec une impasse donnant sur une des grandes rues de Paris. Le concierge, nomme Desmasieres, ouvrit cette porte aux insurges, qui, par la, se ruerent dans la cour, puis dans la place. Leur chef etait un ancien maitre d'ecole destitue par M. Guizot. Il s'appelait Gobert, et il est mort depuis, proscrit, a Londres. Ces hommes firent irruption dans cette cour, orageux, menacants, en haillons, quelques-uns pieds nus, armes des armes que le hasard donne a la fureur, piques, haches, marteaux, vieux sabres, mauvais fusils, avec tous les gestes inquietants de la colere et du combat; ils avaient ce sombre regard des vainqueurs qui se sentent vaincus. En entrant dans la cour, un d'eux cria: "C'est ici la maison du pair de France!" Alors ce bruit se repandit dans toute la place chez les habitants effares: Ils vont piller le n deg. 6!

      Un des locataires du no. 6 etait, en effet, un ancien pair de France qui etait a cette epoque membre de l'Assemblee constituante. Il etait absent de la maison, et sa famille aussi. Son appartement, assez vaste, occupait tout le second etage, et avait a l'une de ses extremites une entree sur le grand escalier, et, a l'autre extremite, une issue sur un escalier de service.

      Cet ancien pair de France etait en ce moment-la meme un des soixante representants envoyes par la Constituante pour reprimer l'insurrection, diriger les colonnes d'attaque et maintenir l'autorite de l'Assemblee sur les generaux. Le jour ou ces faits se passaient, il faisait face a l'insurrection dans une des rues voisines, seconde par son collegue et ami le grand statuaire republicain David d'Angers.

      – Montons chez lui! crierent les insurges.

      Et la terreur fut au comble dans toute la maison.

      Ils monterent au second etage. Ils emplissaient le grand escalier et la cour. Une vieille femme qui gardait le logis en l'absence des maitres leur ouvrit, eperdue. Ils entrerent pele-mele, leur chef en tete. L'appartement, desert, avait le grave aspect d'un lieu de travail et de reverie.

      Au moment de franchir le seuil, Gobert, le chef, ota sa casquette et dit:

      – Tete nue!

      Tous se decouvrirent.

      Une voix cria:

      – Nous avons besoin d'armes.

      Une autre ajouta:

      – S'il y en a ici, nous les prendrons.

      – Sans doute, dit le chef.

      L'antichambre etait une grande piece severe, eclairee, a une encoignure, d'une etroite et longue fenetre, et meublee de coffres de bois le long des murs, a l'ancienne mode espagnole.

      Ils y penetrerent.

      – En ordre! dit le chef.

      Ils se rangerent trois par trois, avec toutes sortes de bourdonnements confus.

      – Faisons silence, dit le chef.

      Tous se turent.

      Et le chef ajouta:

      – S'il y a des armes, nous les prendrons.

      La vieille femme, toute tremblante, les precedait. Ils passerent de l'antichambre a la salle a manger.

      – Justement! cria l'un d'eux.

      – Quoi? dit le chef.

      – Voici des armes.

      Au mur de la salle a manger etait appliquee, en effet, une sorte de panoplie en trophee. Celui qui avait parle reprit:

      – Voici un fusil.

      Et il designait du doigt un ancien mousquet a rouet, d'une forme rare.

      – C'est un objet d'art, dit le chef.

      Un autre insurge, en cheveux gris, eleva la voix:

      – En 1830, nous en avons pris de ces fusils-la, au musee d'artillerie.

      Le chef repartit:

      – Le musee d'artillerie appartenait au peuple.

      Ils laisserent le fusil en place.

      A cote du mousquet a rouet pendait un long yatagan turc dont la lame etait d'acier de Damas, et dont la poignee et le fourreau, sauvagement sculptes, etaient en argent massif.

      – Ah! par exemple, dit un insurge, voila une bonne arme. Je la prends.

      C'est un sabre.

      – En argent! cria la foule.

      Ce mot suffit. Personne n'y toucha.

      Il y avait dans cette multitude beaucoup de chiffonniers du faubourg

      Saint-Antoine, pauvres hommes tres indigents.

      Le salon faisait suite a la salle a manger. Ils y entrerent.

      Sur une table etait jetee une tapisserie aux


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