Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo


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on voyait les initiales du maitre de la maison.

      – Ah ca mais pourtant, dit un insurge, il nous combat!

      – Il fait son devoir, dit le chef.

      L'insurge reprit:

      – Et alors, nous, qu'est-ce que nous faisons?

      Le chef repondit:

      – Notre devoir aussi.

      Et il ajouta:

      – Nous defendons nos familles; il defend la patrie.

      Des temoins, qui sont vivants encore, ont entendu ces calmes et grandes paroles.

      L'envahissement continua, si l'on peut appeler envahissement le lent defile d'une foule silencieuse. Toutes les chambres furent visitees l'une apres l'autre. Pas un meuble ne fut remue, si ce n'est un berceau. La maitresse de la maison avait eu la superstition maternelle de conserver a cote de son lit le berceau de son dernier enfant. Un des plus farouches de ces deguenilles s'approcha et poussa doucement le berceau, qui sembla pendant quelques instants balancer un enfant endormi.

      Et cette foule s'arreta et regarda ce bercement avec un sourire.

      A l'extremite de l'appartement etait le cabinet du maitre de la maison, ayant une issue sur l'escalier de service. De chambre en chambre ils y arriverent.

      Le chef fit ouvrir l'issue, car, derriere les premiers arrives, la legion des combattants maitres de la place encombrait tout l'appartement, et il etait impossible de revenir sur ses pas.

      Le cabinet avait l'aspect d'une chambre d'etude d'ou l'on sort et ou l'on va rentrer. Tout y etait epars, dans le tranquille desordre du travail commence. Personne, excepte le maitre de la maison, ne penetrait dans ce cabinet; de la une confiance absolue. Il y avait deux tables, toutes deux couvertes des instruments de travail de l'ecrivain. Tout y etait mele, papiers et livres, lettres decachetees, vers, prose, feuilles volantes, manuscrits ebauches. Sur l'une des tables etaient ranges quelques objets precieux; entre autres la boussole de Christophe Colomb, portant la date 1489 et l'inscription la Pinta.

      Le chef, Gobert, s'approcha, prit cette boussole, l'examina curieusement, et la reposa sur la table en disant:

      – Ceci est unique. Cette boussole a decouvert l'Amerique.

      A cote de cette boussole, on voyait plusieurs bijoux, des cachets de luxe, un en cristal de roche, deux en argent, et un en or, joyau cisele par le merveilleux artiste Froment-Meurice.

      L'autre table etait haute, le maitre de la maison ayant l'habitude d'ecrire debout.

      Sur cette table etaient les plus recentes pages de son oeuvre interrompue,[note: Les Miserables.] et sur ces pages etait jetee une grande feuille depliee chargee de signatures. Cette feuille etait une petition des marins du Havre, demandant la revision des penalites, et expliquant les insubordinations d'equipages par les cruautes et les iniquites du code maritime. En marge de la petition etaient ecrites ces lignes de la main du pair de France representant du peuple: "Appuyer cette petition. Si l'on venait en aide a ceux qui souffrent, si l'on allait au-devant des reclamations legitimes, si l'on rendait au peuple ce qui est du au peuple, en un mot, si l'on etait juste, on serait dispense du douloureux devoir de reprimer les insurrections."

      Ce defile dura pres d'une heure. Toutes les miseres et toutes les coleres passerent la, en silence. Ils entraient par une porte et sortaient par l'autre. On entendait au loin le canon.

      Tous s'en retournerent au combat.

      Quand ils furent partis, quand l'appartement fut vide, on constata que ces pieds nus n'avaient rien insulte et que ces mains noires de poudre n'avaient touche a rien. Pas un objet precieux ne manquait, pas un papier n'avait ete derange. Une seule chose avait disparu, la petition des marins du Havre.

      [Note: Cette disparition s'est expliquee depuis. Le chef, Gobert, avait emporte cette petition annotee comme on vient de le voir, afin de montrer aux combattants a quel point l'habitant de cette maison, tout en faisant contre l'insurrection sa mission de representant, etait un ami vrai du peuple.]

      Vingt ans apres, le 27 mai 1871, voici ce qui se passait dans une autre grande place; non plus a Paris, mais a Bruxelles, non plus le jour, mais la nuit.

      Un homme, un aieul, avec une jeune mere et deux petits enfants, habitait la maison numero 3 de cette place, dite place des Barricades; c'etait le meme qui avait habite le numero 6 de la place Royale a Paris; seulement il n'etait plus qualifie "ancien pair de France", mais "ancien proscrit"; promotion due au devoir accompli.

      Cet homme etait en deuil. Il venait de perdre son fils. Bruxelles le connaissait pour le voir passer dans les rues, toujours seul, la tete penchee, fantome noir en cheveux blancs.

      Il avait pour logis, nous venons de le dire, le numero 3 de la place des Barricades.

      Il occupait, avec sa famille et trois servantes, toute la maison.

      Sa chambre a coucher, qui etait aussi son cabinet de travail, etait au premier etage et avait une fenetre sur la place; au-dessous, au rez-de-chaussee, etait le salon, ayant de meme une fenetre sur la place; le reste de la maison se composait des appartements des femmes et des enfants. Les etages etaient fort eleves; la porte de la maison etait contigue a la grande fenetre du rez-de-chaussee. De cette porte un couloir menait a un petit jardin entoure de hautes murailles au dela duquel etait un deuxieme corps de logis, inhabite a cette epoque a cause des vides qui s'etaient faits dans la famille.

      La maison n'avait qu'une entree et qu'une issue, la porte sur la place.

      Les deux berceaux des petits enfants etaient pres du lit de la jeune mere, dans la chambre du second etage donnant sur la place, au-dessus de l'appartement de l'aieul.

      Cet homme etait de ceux qui ont l'ame habituellement sereine. Ce jour-la, le 27 mai, cette serenite etait encore augmentee en lui par la pensee d'une chose fraternelle qu'il avait faite le matin meme. L'annee 1871, on s'en souvient, a ete une des plus fatales de l'histoire; on etait dans un moment lugubre. Paris venait d'etre viole deux fois; d'abord par le parricide, la guerre de l'etranger contre la France, ensuite par le fratricide, la guerre des francais contre les francais. Pour l'instant la lutte avait cesse; l'un des deux partis avait ecrase l'autre; on ne se donnait plus de coups de couteau, mais les plaies restaient ouvertes; et a la bataille avait succede cette paix affreuse et gisante que font les cadavres a terre et les flaques de sang fige.

      Il y avait des vainqueurs et des vaincus; c'est-a-dire d'un cote nulle clemence, de l'autre nul espoir.

      Un unanime vae victis retentissait dans toute l'Europe. Tout ce qui se passait pouvait se resumer d'un mot, une immense absence de pitie. Les furieux tuaient, les violents applaudissaient, les morts et les laches se taisaient. Les gouvernements etrangers etaient complices de deux facons; les gouvernements traitres souriaient, les gouvernements abjects fermaient aux vaincus leur frontiere. Le gouvernement catholique belge etait un de ces derniers. Il avait, des le 26 mai, pris des precautions contre toute bonne action; et il avait honteusement et majestueusement annonce dans les deux Chambres que les fugitifs de Paris etaient au ban des nations, et que, lui gouvernement belge, il leur refusait asile.

      Ce que voyant, l'habitant solitaire de la place des Barricades avait decide que cet asile, refuse par les gouvernements a des vaincus, leur serait offert par un exile.

      Et, par une lettre rendue publique le 27 mai, il avait declare que, puisque toutes les portes etaient fermees aux fugitifs, sa maison a lui leur etait ouverte, qu'ils pouvaient s'y presenter, et qu'ils y seraient les bienvenus, qu'il leur offrait toute la quantite d'inviolabilite qu'il pouvait avoir lui-meme, qu'une fois entres chez lui personne ne les toucherait sans commencer par lui, qu'il associait son sort au leur, et qu'il entendait ou etre en danger avec eux, ou qu'ils fussent en surete avec lui.

      Cela fait, le soir venu, apres sa journee ordinaire de promenade solitaire, de reverie et de travail, il rentra dans sa maison. Tout le monde etait deja couche dans le logis. Il monta au deuxieme etage, et ecouta a travers une porte la respiration egale des petits enfants. Puis il redescendit au premier dans sa chambre, il s'accouda quelques instants a sa croisee, songeant aux vaincus, aux accables, aux desesperes, aux suppliants, aux choses violentes que font les hommes, et contemplant la celeste douceur de la nuit.

      Puis


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