Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo


Скачать книгу
aussi sont furieux! Contre un ennemi? non. Contre un combattant? non. Ils sont furieux contre une bonne action; action toute simple sans aucun doute, mais evidemment juste et honnete. Tellement simple cependant que, sans leur colere, ce ne serait pas la peine d'en parler. Cette chose juste a ete commise le matin meme. Un homme a ose etre fraternel; dans un moment qui fait songer aux autodafes et aux dragonnades, il a pense a l'evangile du bon samaritain; dans un instant ou l'on semble ne se souvenir que de Torquemada, il a ose se souvenir de Jesus-Christ; il a eleve la voix pour dire une chose clemente et humaine; il a entre-baille une porte de refuge a cote de la porte toute grande ouverte du sepulcre, une porte blanche a cote de la porte noire; il n'a pas voulu qu'il fut dit que pas un coeur n'etait misericordieux pour ceux qui saignent, que pas un foyer n'etait hospitalier pour ceux qui tombent; a l'heure ou l'on acheve les mourants, il s'est fait ramasseur de blesses; cet homme de 1871, qui est le meme que l'homme de 1848, pense qu'il faut combattre les insurrections debout et les amnistier tombees; c'est pourquoi il a commis ce crime, ouvrir sa maison aux vaincus, offrir un asile aux fugitifs. De la l'exasperation des vainqueurs. Qui defend les malheureux indigne les heureux. Ce forfait doit etre chatie. Et sur l'humble maison solitaire, ou il y a deux berceaux, une foule s'est ruee, criant tous les cris du meurtre, et ayant l'ignorance dans le cerveau, la haine au coeur, et aux mains des pierres, de la boue et des gants blancs.

      L'assaut a manque, point par la faute des assiegeants. Si la porte n'a pas ete enfoncee, c'est que la poutre est arrivee trop tard; si un enfant n'a pas ete tue, c'est que la pierre n'a point passe assez pres; si l'homme n'a pas ete massacre, c'est que le soleil s'est leve.

      Le soleil a ete le trouble-fete.

      Concluons.

      Laquelle de ces deux foules est la populace? Entre ces deux multitudes, les miserables de Paris et les heureux de Bruxelles, quels sont les miserables?

      Ce sont les heureux.

      Et l'homme de la place des Barricades avait raison de leur jeter ce mot meprisant au moment ou l'assaut commencait.

      Maintenant, entre ces deux sortes d'hommes, ceux de Paris et ceux de

      Bruxelles, quelle difference y a-t-il?

      Une seule.

      L'education.

      Les hommes sont egaux au berceau. A un certain point de vue intellectuel, il y a des exceptions, mais des exceptions qui confirment la regle. Hors de la, un enfant vaut un enfant. Ce qui, de tous ces enfants egaux, fait plus tard des hommes differents, c'est la nourriture. Il y a deux nourritures; la premiere, qui est bonne, c'est le lait de la mere; la deuxieme, qui peut etre mauvaise, c'est l'enseignement du maitre.

      De la, la necessite de surveiller cet enseignement.

      VI

      On pourrait dire que dans notre siecle il y a deux ecoles. Ces deux ecoles condensent et resument en elles les deux courants contraires qui entrainent la civilisation en sens inverse, l'un vers l'avenir, l'autre vers le passe; la premiere de ces deux ecoles s'appelle Paris, l'autre s'appelle Rome. Chacune de ces deux ecoles a son livre; le livre de Paris, c'est la Declaration des Droits de l'Homme; le livre de Rome, c'est le Syllabus. Ces deux livres donnent la replique au Progres. Le premier lui dit Oui; le second lui dit Non.

      Le progres, c'est le pas de Dieu.

      Les revolutions, bien qu'elles aient parfois l'allure de l'ouragan, sont voulues d'en haut.

      Aucun vent ne souffle que de la bouche divine.

      Paris, c'est Montaigne, Rabelais, Pascal, Corneille, Moliere,

      Montesquieu, Diderot, Rousseau, Voltaire, Mirabeau, Danton.

      Rome, c'est Innocent III, Pie V, Alexandre VI, Urbain VIII, Arbuez,

      Cisneros, Lainez, Grillandus, Ignace.

      Nous venons d'indiquer les ecoles. A present voyons les eleves.

      Confrontons.

      Regardez ces hommes; ils sont, j'y insiste, ceux qui n'ont rien; ils portent tout le poids de la societe humaine; un jour ils perdent patience, sombre revolte des cariatides; ils s'insurgent, ils se tordent sous le fardeau, ils livrent bataille. Tout a coup, dans la fauve ivresse du combat, une occasion d'etre injustes se presente; ils s'arretent court. Ils ont en eux ce grand instinct, la revolution, et cette grande lumiere, la verite; ils ne savent pas etre en colere au dela de l'equite; et ils donnent au monde civilise ce spectacle sublime qu'etant les accables, ils sont les moderes, et qu'etant les malheureux, ils sont les bons.

      Regardez ces autres hommes; ils sont ceux qui ont tout. Les autres sont en bas, eux ils sont en haut. Une occasion se presente d'etre laches et feroces; ils s'y precipitent. Leur chef est le fils d'un ministre; leur autre chef est le fils d'un senateur; il y a un prince parmi eux. Ils s'engagent dans un crime, et ils y vont aussi avant que la brievete de la nuit le leur permet. Ce n'est pas leur faute s'ils ne reussissent qu'a etre des bandits, ayant reve d'etre des assassins. Qui a fait les premiers? Paris.

      Qui a fait les seconds? Rome.

      Et, je le repete, avant l'enseignement, ils se valaient. Enfants riches et enfants pauvres, ils etaient dans l'aurore les memes tetes blondes et roses; ils avaient le meme bon sourire; ils etaient cette chose sacree, les enfants; par la faiblesse presque aussi petits que la mouche, par l'innocence presque aussi grands que Dieu.

      Et les voila changes, maintenant qu'ils sont hommes; les uns sont doux, les autres sont barbares. Pourquoi? c'est que leur ame s'est ouverte, c'est que leur esprit s'est sature d'influences dans des milieux differents; les uns ont respire Paris, les autres ont respire Rome.

      L'air qu'on respire, tout est la. C'est de cela que l'homme depend. L'enfant de Paris, meme inconscient, meme ignorant, car, jusqu'au jour ou l'instruction obligatoire existera, il a sur lui une ignorance voulue d'en haut, l'enfant de Paris respire, sans s'en douter et sans s'en apercevoir, une atmosphere qui le fait probe et equitable. Dans cette atmosphere il y a toute notre histoire; les dates memorables, les belles actions et les belles oeuvres, les heros, les poetes, les orateurs, le Cid, Tartuffe, le Dictionnaire philosophique, l'Encyclopedie, la tolerance, la fraternite, la logique, l'ideal litteraire, l'ideal social, la grande ame de la France. Dans l'atmosphere de Rome il y a l'inquisition, l'index, la censure, la torture, l'infaillibilite d'un homme substituee a la droiture de Dieu, la science niee, l'enfer eternel affirme, la fumee des encensoirs compliquee de la cendre des buchers. Ce que Paris fait, c'est le peuple; ce que Rome fait, c'est la populace. Le jour ou le fanatisme reussirait a rendre Rome respirable a la civilisation, tout serait perdu; l'humanite entrerait dans de l'ombre.

      C'est Rome qu'on respire a Bruxelles. Les hommes qu'on vient de voir travailler place des Barricades sont des disciples du Quirinal; ils sont tellement catholiques qu'ils ne sont plus chretiens. Ils sont tres forts; ils sont devenus merveilleusement reptiles et tortueux; ils savent le double itineraire de Mandrin et d'Escobar; ils ont etudie toutes les choses nocturnes, les procedes du banditisme et les doctrines de l'encyclique; ce serait des chauffeurs si ce n'etait des jesuites; ils attaquent avec perfection une maison endormie; ils utilisent ce talent au service de la religion; ils defendent la societe a la facon des voleurs de grand chemin; ils completent l'oraison jaculatoire par l'effraction et l'escalade; ils glissent du bigotisme au brigandage; et ils demontrent combien il est aise aux eleves de Loyola d'etre les plagiaires de Schinderhannes.

      Ici une question.

      Est-ce que ces hommes sont mechants?

      Non.

      Que sont-ils donc?

      Imbeciles.

      Etre feroce n'est point difficile; pour cela l'imbecillite suffit.

      Sont-ils donc nes imbeciles?

      Point.

      On les a faits; nous venons de le dire.

      Abrutir est un art.

      Les pretres des divers cultes appellent cet art Liberte d'enseignement.

      Ils n'y mettent aucune mauvaise intention, ayant eux-memes ete soumis a la mutilation d'intelligence qu'ils voudraient pratiquer apres l'avoir subie.

      Le castrat faisant l'eunuque, cela s'appelle l'Enseignement


Скачать книгу