Mathilde. Эжен Сю

Mathilde - Эжен Сю


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si distrait et si absorbé par mon amour, – reprit Gontran avec grâce, – qu'il y a bien des choses que je ne vous ai pas dites… J'avais laissé Lugarto à Londres; il est très-paresseux; il écrit rarement, et j'avais trop de charmantes compensations pour m'apercevoir du silence de cet ingrat.

      – Mais savez-vous, Gontran, qu'il faut que vous aimiez en effet beaucoup M. Lugarto pour lui faire le sacrifice que vous lui faites… Nous étions si heureux, dans notre retraite!

      – Oui, oui, sans doute; mais, de son côté, Lugarto m'a autrefois rendu de très-grands services; je vous conterai cela.

      – Oh! alors, mon ami, si vous acquittez une dette de reconnaissance, je ne me plains plus; d'ailleurs j'ai mon projet, et, à mon tour, je vous demanderai une grâce à laquelle je tiens beaucoup.

      – Parlez… parlez… Mathilde.

      – Eh bien! il faut me promettre de venir chaque mois passer quelques jours dans notre maisonnette de Chantilly.

      Gontran me regarda avec étonnement.

      – Mais cette maison ne m'appartient pas, me dit-il.

      Mon cœur se serra douloureusement.

      – Comment cela? lui demandai-je.

      – Mon Dieu! rien de plus simple; j'avais chargé mon homme d'affaires de me chercher une petite maison à Chantilly ou dans quelque endroit bien retiré, et de me la louer pour la saison; il m'a trouvé cette maison de paysan presque enclavée dans la forêt; je vins la voir, cela me parut charmant comme position, j'y envoyai mon architecte qui est très-bon décorateur; car, vous le voyez, il a transformé une affreuse chaumière en un vrai chalet d'opéra. Cela se trouvait d'autant mieux que le propriétaire de cette masure et de quelques arpents de terre qui en dépendent est sur le point de les vendre à M. le duc de Bourbon; dès qu'on aura enlevé ce que nous avons laissé dans cette maisonnette, on l'abattra; je ne l'avais louée que pour quatre mois, et il nous reste, je crois, encore environ trois semaines de jouissance.

      Hélas! les paroles de Gontran me rappelèrent cruellement ma remarque du matin, sur l'éclat factice des fleurs éphémères de notre jardin.

      Sans le vouloir, M. de Lancry me causait un sensible chagrin. Cet homme d'affaires, ce décorateur, ce loyer… tous ces mots vinrent gâter un à un tous mes souvenirs chéris.

      Sans doute je n'étais pas assez insensée pour vouloir échapper aux réalités de la vie; mais il me semblait qu'un si petit réduit devait rester environné de tout son prestige, de toute sa poésie, et que, sans prodigalité folle, on aurait pu le respecter à tout jamais.

      Je n'accusai pas Gontran; absorbé par le bonheur présent, il avait pu négliger l'avenir; je songeai qu'à nous autres femmes était surtout réservé le culte du passé.

      – Gontran, – lui dis-je, – je suis toute fière d'une pensée que vous n'avez pas eue malgré votre cœur si ingénieusement inventif…

      – Parlez, ma chère Mathilde.

      – Il nous faut acquérir tout de suite cette maison et le petit champ qui l'environne, puisque heureusement cela n'est pas encore vendu à M. le duc de Bourbon.

      – Vous n'y songez pas, Mathilde; le prince doit payer la convenance de cette acquisition. Le propriétaire nous ferait les mêmes conditions qu'au prince, et dans de pareilles circonstances, ces gens-là ont toujours des prétentions exorbitantes.

      – Mais encore, combien cela vaut-il?

      – Que sais-je? peut-être trente, quarante mille francs, plus même, car on ne peut assigner de prix raisonnable à une chose toute de convenance…

      – Comment! ce ne serait pas plus cher que cela? – m'écriai-je avec joie.

      – Enfant! – me dit Gontran en me serrant tendrement la main.

      – Mais qu'est-ce que c'est que trente mille francs auprès…?

      – Écoutez, Mathilde, – me dit M. de Lancry en m'interrompant avec bonté, – puisque nous sommes sur ce chapitre, il faut que nous parlions un peu raison… et ménage, comme l'on dit; c'est très-ennuyeux, mais très-nécessaire, et puis je désire savoir si les dispositions que j'ai prises vous conviendront.

      – Parlez, mon ami; mais je ne vous tiens pas quitte de notre maisonnette, j'y reviendrai tout à l'heure.

      Gontran haussa les épaules en souriant, me regarda et continua:

      – Vous comprenez, Mathilde, que notre position nous oblige à tenir un état de maison convenable, digne de notre fortune, et qui vous mette enfin à même de jouir des plaisirs de votre âge.

      – Notre chalet… voilà tout l'état de maison que mon cœur désire.

      – Mathilde, parlons sérieusement. Voici comment j'ai arrangé nos dispositions intérieures: nous aurons un maître d'hôtel, homme de confiance qui nous servira d'intendant; un valet de chambre pour vous, un pour moi; quatre valets de pied pour l'antichambre et…

      – Mais, mon ami, je vous assure que pour moi je préfère réduire cette livrée, et conserver notre petit paradis.

      – Soyez donc raisonnable. Il faut, ma chère enfant, d'abord parler des dépenses nécessaires… Notre écurie se composera de quatre chevaux de voiture et d'un cocher pour vous; pour moi, de deux chevaux de harnais et de deux ou trois chevaux de selle, avec mes gens d'écurie anglais, deux femmes pour vous, sans madame Blondeau; un cuisinier et une fille de cuisine compléteront notre domestique. Pardonnez-moi ces détails, ma chère Mathilde; mais une fois tout ceci convenu, nous n'en parlerons plus.

      – Je vous écoute, mon ami; tout à l'heure je vous ferai mes observations.

      – Nous habiterons l'hôtel Rochegune pendant l'hiver; ensuite nous ferons un voyage aux eaux ou en Italie, afin de revenir dans votre terre de Maran vers le mois de septembre pour la chasse; nous y resterons jusqu'au mois de décembre, époque de notre retour à Paris. Vous aurez, si vous le voulez, un soir par semaine pour recevoir; nous donnerons à dîner le même jour. Vous choisirez vos jours de loge, l'un à l'Opéra, l'autre aux Bouffes. Enfin, si vous trouvez que mille francs par mois vous suffisent pour votre toilette, nous fixerons cette somme.

      – Mon ami…

      – Encore un mot, ma chère Mathilde, et je me tais, – dit Gontran en souriant: – Vous voyez que notre état de maison est fort simple; dans notre position, nous ne pouvons avoir moins; ne m'en voulez pas si maintenant j'arrive à de grands vilains chiffres. Votre fortune s'élève à cent trente mille francs de rente environ; avec ce qui me reste de la mienne, nous pouvons donc compter à peu près sur un revenu de cent soixante mille francs; mais en défalquant l'acquisition de l'hôtel Rochegune, les non-valeurs et les économies que nous devons rigoureusement tenir en réserve pour les cas imprévus, nous ne devons calculer à peu près que sur cent mille francs par an. Eh bien! ma chère Mathilde, il ne nous faut ni plus ni moins que cela pour tenir notre maison sur le pied que je vous ai dit. Vous le voyez, nous n'avons que ce que l'on pourrait appeler le nécessaire du luxe, sans aucun superflu, car toutes les dépenses que je vous ai énumérées sont absolument indispensables.

      – Ce que vous ferez sera toujours parfaitement fait, mon ami, quoiqu'il me semble qu'on puisse vivre très-heureux sans un si grand entourage de nécessaire, comme vous dites; mais ce qui vous plaît est bien; je ne veux voir que par vos yeux, ne penser que par votre pensée. Seulement, dussé-je pour cela retrancher sur ce que vous m'accordez, je veux… vous entendez, je veux absolument mon chalet de Chantilly; c'est pour moi le plus indispensable, le plus nécessaire, la moins superficielle de toutes les dépenses; ce sera mon luxe de cœur. Nous irons de temps en temps y faire un joli pèlerinage, avec ma pauvre Blondeau pour toute suite.

      – Allons, allons, soyez tranquille, nous reparlerons de cela, jolie petite opiniâtre, – me dit Gontran avec gaieté. – Ah! j'oubliais; il faudra envoyer notre architecte à votre château de Maran. Depuis vingt ans il n'a été habité que par votre régisseur; il doit être en ruines.

      – Sans


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