La coucaratcha. I. Эжен Сю

La coucaratcha. I - Эжен Сю


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diligence de Brest.

      Or il avait choisi Brest comme lieu d'embarquement, parce qu'un cousin de sa mère était écrivain du port.

      Narcisse, arrivant à Brest fut droit chez le cousin, lui exposa ses désirs, sa volonté de poète et lui demanda ses conseils.

      Le cousin était justement l'intime du capitaine de la Cauchoise; jolie goëlette en chargement pour la Martinique.

      Le cousin arrêta le passage de Narcisse Gelin sur la Cauchoise. Narcisse eût voulu un nom peut-être plus poétique, plus sonore. La Cauchoise lui paraissait assez vulgaire; pourtant il se décida, le choix étant très borné dans ce port militaire. Mais en vérité, il eût bien donné dix louis de plus pour que la goëlette se fût nommée l'Ondine ou la Phébé. Il fallut donc se résigner, d'ailleurs il comptait se dédommager sur le nom du capitaine, car le capitaine devait s'appeler au moins d'Artimon ou Stribord. – Point, le capitaine s'appelait Hochard!!! – Malgré son bon naturel, ce fut un tort que Narcisse ne lui pardonna jamais.

      On attendait un vent favorable pour sortir du goulet, et ce fut un beau jour pour Narcisse, que le jour où son cousin lui dit: Il faut pourtant faire connaissance avec votre navire, allons à bord.

      Ils s'embarquèrent à Recouvrance dans un bateau de passage, et se dirigèrent vers la Cauchoise, mouillée en grande rade, pour faciliter son appareillage. – La houle était forte, le canot, petit et conduit par un Plougastel, roulait d'une affreuse manière. – Narcisse comptait sur un accident, une émotion forte. Il n'eut que mal au cœur.

      On accosta la goëlette. – Narcisse faillit tomber deux fois à l'eau, mais avec l'aide du cousin, il se guinda sur le pont.

      En le parcourant, d'un air effaré, il cherchait des visages rudes, marqués, bronzés, des têtes de forban. – Il vit trois Bas-Normands blonds, frais et roses qui buvaient du cidre sur l'avant et jouaient à la drogue.

      Deux autres marins lavaient et étendaient du linge sur l'avant du navire.

      Il ne leur manque plus que de repasser pour être de parfaites blanchisseuses, pensa Narcisse avec une cruelle répugnance. Narcisse fut introduit chez le capitaine Hochard; le capitaine n'était pas seul, il fit signe aux nouveau-venus de s'asseoir et continua la conversation qu'il avait commencée avec un homme d'un embonpoint extraordinaire, qui se tenait debout devant lui.

      Narcisse put à son aise examiner le lieu où il se trouvait: c'était une petite chambre boisée comme à terre, un canapé comme à terre, des chaises, une table, un plafond, une fenêtre, des gravures encadrées, tout cela comme à terre.

      Narcisse soupira, et avant d'abaisser ses regards sur le capitaine, il se figura, par la pensée, l'homme qui devait commander à la tempête, braver les éléments en furie.

      – Il devait avoir six pieds, un crâne de granit et des yeux flamboyants. – Il regarda et vit M. Hochard; c'était un homme de quarante ans à peu près, d'une taille moyenne, maigre, d'une physionomie insignifiante, fort poli, des manières communes, mais prévenantes; de plus, il portait une perruque blonde, des boucles d'oreilles, une redingote marron, un gilet noir, un pantalon bleu, des bas blancs et des souliers à boucles. Il est impossible de se rendre compte de l'affreux serrement de cœur qu'éprouva Narcisse quand il eut complétée cet ignoble et prosaïque signalement.

      De ce moment, il se proposa de demander au cousin s'il n'y aurait pas moyen de débarquer en accordant une indemnité au capitaine.

      Pour se distraire, il se prit à examiner l'interlocuteur de M. Hochard.

      On l'a dit, l'interlocuteur était fort gros, d'une haute taille, chauve et très coloré; deux petits yeux gris toujours en mouvement, donnaient une rare expression de vivacité à sa bonne et joviale figure; son costume était celui d'un homme du peuple, une veste et un pantalon. – Allons, allons, monsieur le capitaine, disait le gros homme, soyez raisonnable, ne rançonnez pas un pauvre diable comme moi; – en vérité 600 francs pour moi et mes caisses… c'est aussi par trop cher… – Comme vous voudrez, répondit le capitaine, mais je n'ai qu'un prix, et je ne fais jamais marchander mes chalands.

      – Ses chalands!.. – Narcisse n'y tenait plus, il se croyait assis près du comptoir paternel de la rue du Cadran.

      – Mais enfin, disait le gros homme, que fait un homme de plus ou de moins sur un équipage comme le vôtre… monsieur le capitaine?

      – Cela fait un dixième, voilà tout.

      – Eh bien!.. dix au lieu de neuf, puisque je ne demande qu'à manger avec vos matelots, monsieur le capitaine.

      – Je n'ai pas deux prix, je vous l'ai déjà dit, répondit imperturbablement le froid M. Hochard. – Je ne surfais jamais.

      Ces débats faisaient bouillir l'âme de poète de Narcisse.

      – Allons donc puisqu'il faut en passer par là, dit le gros homme avec un profond soupir; mais une dernière condition, monsieur le capitaine: mes caisses ont besoin d'air, je ne voudrais pas qu'elles fussent descendues dans la calle au moins, – vous savez ce qu'elles contiennent, et l'humidité les pourrait gâter.

      – On les placera dans le faux pont.

      – Et je pourrai les visiter quand il me plaira, monsieur le capitaine?

      – Quand il vous plaira…

      – Voilà votre argent, – c'est chose faite, monsieur le capitaine, dit le gros homme en tirant un sac de sa poche. Il paya en or, salua et sortit en trébuchant.

      – En voilà un qui n'a pas le pied marin, dit le cousin.

      – C'est un pauvre diable; il va faire voir des figures de cire aux Antilles, dit le capitaine…

      – Mais, mon cher, sa pacotille fondra au soleil, riposta ingénieusement le cousin.

      – Ma foi, ça le regarde. – Puis saluant Narcisse M. Hochard continua avec sa voix monotone:

      – Mais nous ne fondrons pas, nous autres, je l'espère bien; aussi je suis enchanté, Monsieur de faire votre connaissance, j'ose croire que nous nous entendrons bien: vous serez ici comme chez vous, comme à terre mon Dieu… pas la moindre différence. Je vous le répète… comme à terre.

      Ici une grimace significative de Narcisse Gelin.

      – Nous sommes au mois de juillet, nous appareillerons avec une brise faite, nous gagnons les Açores, les vents alisés, et nous arrivons à la Martinique… comme sur des roulettes.

      Narcisse était désespéré…

      Pourtant, capitaine, dit-il, on n'a jamais vu de traversée sans tempête… Sans…

      – Bon Dieu! que dites-vous là, mon cher Monsieur? Je suis à ma vingt-unième année de navigation, et excepté quelques petits coups de vent par-ci par-là, j'ai toujours été favorisé de temps superbes… de temps magnifiques.

      – Que le diable t'étrangle, toi et tes temps superbes, – pensa Narcisse, malgré le peu de logique de ce souhait.

      – Si nous partions au mois de février ou mars, je ne dis pas, nous aurions bien à craindre quelque petite queue d'équinoxe, mais au mois de juillet!.. ajouta-t-il, avec un air de joyeuse et intime conviction, ah! mon Dieu… au mois de juillet… vous ne vous apercevez seulement pas que vous avez quitté la terre.

      – Comme c'est agréable, pensa Narcisse. Aussi, prenant son parti violemment: Ne pourrai-je pas débarquer de votre bord, Monsieur? demanda-t-il au capitaine.

      – Dieu du Ciel! et pourquoi? Où trouverez-vous un meilleur navire; monsieur? Et quel équipage! Des Bas-Normands doux et rangés comme des filles! ça se mène avec un fil; jamais un mot plus haut que l'autre; c'est sage et tranquille, jamais ça ne jure… Voyez-vous, pour la morale ou non, j'ai mes principes là-dessus, et je m'en suis bien trouvé, aussi est-ce moi qui ai toujours passé les religieuses que le gouvernement envoie aux colonies, et je vous assure que les saintes filles n'ont jamais eu à rougir d'un mot inconvenant…

      – Allons…


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