Une page d'amour. Emile Zola

Une page d'amour - Emile Zola


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agrandir démesurément ce jardinet parisien, que l'on balayait comme un salon. Entre deux ormes pendait une balançoire, dont l'humidité avait verdi la planchette.

      Hélène regardait, se penchait pour mieux voir.

      – Oh! c'est un trou, dit négligemment madame Deberle. Mais, à Paris, les arbres sont si rares… On est bien heureux d'en avoir une demi- douzaine à soi.

      – Non, non, vous êtes très-bien, murmurait Hélène. C'est charmant.

      Ce jour-là, dans le ciel pâle, le soleil mettait une poussière de lumière blonde. C'était, entre les branches sans feuilles, une pluie lente de rayons. Les arbres rougissaient, on voyait les fins bourgeons violâtres attendrir le ton gris de l'écorce. Et sur la pelouse, le long des allées, les herbes et les graviers avaient des pointes de clarté, qu'une brume légère, au ras du sol, noyait et fondait. Il n'y avait pas une fleur, la gaieté seule du soleil sur la terre nue annonçait le printemps.

      – Maintenant, c'est encore un peu triste, reprit madame Deberle. Vous verrez en juin, on est dans un vrai nid. Les arbres empêchent les gens d'à côté d'espionner, et nous sommes alors complètement chez nous…

      Mais elle s'interrompit pour crier:

      – Lucien, veux-tu bien ne pas toucher à la fontaine!

      Le petit garçon, qui faisait les honneurs du jardin à Jeanne, venait de la conduire devant une fontaine, sous le perron, et là il avait tourné le robinet, présentant le bout de ses bottines pour les mouiller. C'était un jeu qu'il adorait. Jeanne, très-grave, le regardait se tremper les pieds.

      – Attends, dit Pauline qui se leva, je vais le faire tenir tranquille.

      Juliette la retint.

      – Non, non, tu es plus écervelée que lui. L'autre jour, on aurait cru que vous aviez pris un bain tous tes deux… C'est singulier qu'une grande fille ne puisse pas rester deux minutes assise… Et, se tournant:

      – Entends-tu, Lucien, ferme le robinet tout de suite!

      L'enfant, effrayé, voulut obéir. Mais il tourna la clef davantage, l'eau coula avec une raideur et un bruit qui achevèrent de lui faire perdre la tête. Il recula, éclaboussé jusqu'aux épaules.

      – Ferme le robinet tout de suite! répétait sa mère, dont un flot de sang empourprait les joues.

      Alors, Jeanne, muette jusque-là, s'approcha de la fontaine avec toutes sortes de précautions, pendant que Lucien éclatait en sanglots, en face de cette eau enragée dont il avait peur et qu'il ne savait plus comment arrêter. Elle mit sa jupe entre ses jambes, allongea ses poignets nus pour ne pas mouiller ses manches, et ferma le robinet, sans recevoir une seule éclaboussure. Brusquement, le déluge cessa. Lucien, étonné, frappé de respect, rentra ses larmes et leva ses gros yeux sur la demoiselle.

      – Vraiment, cet enfant me met hors de moi, reprit madame Deberle, qui redevenait toute blanche et s'allongeait comme brisée de fatigue.

      Hélène crut devoir intervenir.

      – Jeanne, dit-elle, prends-lui la main, jouez à vous promener.

      Jeanne prit la main de Lucien, et, gravement, ils s'en allèrent par les allées, à petits pas. Elle était beaucoup plus grande que lui, il avait le bras en l'air; mais ce jeu majestueux, qui consistait à tourner en cérémonie autour de la pelouse, semblait les absorber l'un et l'autre et donner une grande importance à leurs personnes. Jeanne, comme une vraie dame, avait les regards flottants et perdus. Lucien ne pouvait s'empêcher, par moments, de risquer un coup d'oeil sur sa compagne. Ils ne se disaient pas un mot.

      – Ils sont drôles, murmura madame Deberle, souriante et calmée. Il faut dire que votre Jeanne est une bien charmante enfant… Elle est d'une obéissance, d'une sagesse…

      – Oui, quand elle est chez les autres, répondit Hélène. Elle a des heures terribles. Mais comme elle m'adore, elle tâche d'être sage pour ne pas me faire de la peine.

      Ces dames causèrent des enfants. Les filles étaient plus précoces que les garçons. Pourtant, il ne fallait pas se fier à l'air bêta de Lucien. Avant un an, lorsqu'il se serait un peu débrouillé, ce serait un gaillard. Et, sans transition apparente, on en vint à parler d'une femme qui habitait un petit pavillon en face, et chez laquelle il se passait vraiment des choses…

      Madame Deberle s'arrêta pour dire à sa soeur:

      – Pauline, va donc une minute dans le jardin.

      La jeune fille sortit tranquillement et resta sous les arbres. Elle était habituée à ce qu'on la mît dehors, chaque fois que dans la conversation se présentait quelque chose de trop gros dont on ne pouvait parler devant elle.

      – Hier, j'étais à la fenêtre, reprit Juliette, et j'ai parfaitement vu cette femme… Elle ne tire pas même les rideaux… C'est d'une indécence! Des enfants pourraient voir ça.

      Elle parlait tout bas, l'air scandalisé, avec un mince sourire dans le coin des lèvres pourtant. Puis, haussant la voix, elle cria:

      – Pauline, tu peux revenir.

      Sous les arbres, Pauline regardait en l'air, d'un air indifférent, en attendant que sa soeur eût fini. Elle entra dans le pavillon et reprit sa chaise, pendant que Juliette continuait, en s'adressant à Hélène:

      – Vous n'avez jamais rien aperçu, vous, madame?

      – Non, répondit celle-ci, mes fenêtres ne donnent pas sur le pavillon.

      Bien qu'il y eût une lacune pour la jeune fille dans la conversation, elle écoutait, avec son blanc visage de vierge, comme si elle avait compris.

      – Ah bien! dit-elle en regardant encore en l'air par la porte, il y a joliment des nids dans les arbres!

      Cependant, madame Deberle avait repris sa broderie comme maintien. Elle faisait deux points toutes les minutes. Hélène, qui ne pouvait rester inoccupée, demanda la permission d'apporter de l'ouvrage, une autre fois. Et, prise d'un léger ennui, elle se tourna, elle examina le pavillon japonais. Les murs et le plafond étaient tendus d'étoffes brochées d'or, avec des vols de grues qui s'envolaient, des papillons et des fleurs éclatantes, des paysages où des barques bleues nageaient sur des fleuves jaunes. Il y avait des sièges et des jardinières de bois de fer, sur le sol des nattes fines, et, encombrant des meubles de laque, tout un monde de bibelots, petits bronzes, petites potiches, jouets étranges bariolés de couleurs vives. Au fond, un grand magot en porcelaine de Saxe, les jambes pliées, le ventre nu et débordant, éclatait d'une gaieté énorme en branlant furieusement la tête, à la moindre poussée.

      – Hein? est-il assez laid! s'écria Pauline qui avait suivi les regards d'Hélène. Dis donc, soeur, tu sais que c'est de la camelote, tout ce que tu as acheté? Le beau Malignon appelle ta japonerie «le bazar à treize sous»… À propos, je l'ai rencontré, le beau Malignon. Il était avec une dame, oh! une dame, la petite Florence, des Variétés.

      – Où donc, que je le taquine! demanda vivement Juliette.

      – Sur le boulevard… Est-ce qu'il ne doit pas venir, aujourd'hui?

      Mais elle ne reçut pas de réponse. Ces dames s'inquiétaient des enfants, qui avaient disparu. Où pouvaient-ils être? Et comme elles les appelaient, deux voix aiguës s'élevèrent.

      – Nous sommes là!

      Ils étaient là, en effet, au milieu de la pelouse, assis dans l'herbe, à demi cachés par un fusain.

      – Qu'est-ce que vous faites donc?

      – Nous sommes arrivés à l'auberge! cria Lucien. Nous nous reposons dans notre chambre.

      Un instant, elles les regardèrent, très-égayées. Jeanne se prêtait au jeu, complaisamment. Elle coupait de l'herbe autour d'elle, sans doute pour préparer le déjeuner. La malle des voyageurs était figurée par un bout de planche, qu'ils avaient ramassé au fond d'un massif. Maintenant, ils causaient. Jeanne se passionnait, répétant avec conviction qu'ils étaient en Suisse et qu'ils allaient partir pour visiter les glaciers, ce qui semblait stupéfier


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