Une page d'amour. Emile Zola
bien! vous êtes gentil, vous! d'aller dire partout que je n'ai que de la camelote chez moi!
– Ah! oui, répondit-il tranquillement, ce petit salon… Certainement, c'est de la camelote. Vous n'avez pas un objet qui vaille la peine d'être regardé.
Elle était très-piquée.
– Comment, le magot?
– Mais non, mais non, tout cela est bourgeois… Il faut du goût. Vous n'avez pas voulu me charger de l'arrangement…
Alors, elle l'interrompit, très-rouge, vraiment en colère.
– Votre goût, parlons-en! Il est joli, votre goût!.. On vous a rencontré avec une dame…
– Quelle dame? demanda-t-il, surpris par la rudesse de l'attaque.
– Un beau choix, je vous en fais mon compliment. Une fille que tout Paris…
Mais elle se tut, en apercevant Pauline. Elle l'avait oubliée.
– Pauline, dit-elle, va donc une minute dans le jardin.
– Ah! non, c'est fatigant à la fin! déclara la jeune fille qui se révoltait. On me dérange toujours.
– Va dans le jardin, répéta Juliette avec plus de sévérité.
La jeune fille s'en alla en rechignant. Puis, elle se tourna, pour Ajouter:
– Dépêchez-vous au moins.
Dès qu'elle ne fut plus là, madame Deberle tomba de nouveau sur Malignon. Comment un garçon distingué comme lui pouvait-il se montrer en public avec cette Florence? Elle avait au moins quarante ans, elle était laide à faire peur, tout l'orchestre la tutoyait aux premières représentations.
– Avez-vous fini? cria Pauline, qui se promenait sous les arbres d'un air boudeur. Je m'ennuie, moi.
Mais Malignon se défendait. Il ne connaissait pas cette Florence; jamais il ne lui avait adressé la parole. On avait pu le voir avec une dame, il accompagnait quelquefois la femme d'un de ses amis. D'ailleurs, quelle était la personne qui l'avait vu? Il fallait des preuves, des témoins.
– Pauline, demanda brusquement madame Deberle, en haussant la voix, n'est-ce pas que tu l'as rencontré avec Florence?
– Oui, oui, répondit la jeune fille, sur le boulevard, en face de chez Bignon.
Alors, madame Deberle, triomphante devant le sourire embarrassé de Malignon, cria:
– Tu peux revenir, Pauline. C'est fini.
Malignon avait une loge pour le lendemain, aux Folies-Dramatiques. Il l'offrit galamment, sans paraître tenir rancune à madame Deberle; d'ailleurs, ils se querellaient toujours. Pauline voulut savoir si elle pouvait aller voir la pièce qu'on jouait; et comme Malignon riait, en branlant la tête, elle dit que c'était bien stupide, que les auteurs auraient dû écrire des pièces pour les jeunes filles. On ne lui permettait que la Dame blanche et le théâtre classique.
Cependant, ces dames ne surveillaient plus les enfants. Tout d'un coup, Lucien poussa des cris terribles.
– Que lui as-tu fait, Jeanne? demanda Hélène.
– Je ne lui ai rien fait, maman, répondit la petite fille. C'est lui qui s'est jeté par terre.
La vérité était que les enfants venaient de partir pour les fameux glaciers. Comme Jeanne prétendait qu'on arrivait sur les montagnes, ils levaient tous les deux les pieds très-haut, afin d'enjamber les rochers. Mais Lucien, essoufflé par cet exercice, avait fait un faux pas et s'était étalé au beau milieu d'une plate-bande. Une fois par terre, très-vexé, pris d'une rage de marmot, il avait éclaté en larmes.
– Relève-le, cria de nouveau Hélène.
– Il ne veut pas, maman. Il se roule.
Et Jeanne se reculait, comme blessée et irritée de voir le petit garçon si mal élevé. Il ne savait pas jouer, il allait certainement la salir. Elle avait une moue de duchesse qui se compromet. Alors, madame Deberle, que les cris de Lucien impatientaient, pria sa soeur de le ramasser et de le faire taire. Pauline ne demandait pas mieux. Elle courut, se jeta par terre à côté de l'enfant, se roula un instant avec lui. Mais il se débattait, il ne voulait pas qu'on le prit. Elle se releva pourtant, en le tenant sous les bras; et, pour le calmer:
– Tais-toi, braillard! dit-elle. Nous allons nous balancer.
Lucien se tut brusquement, Jeanne perdit son air grave, et une joie ardente illumina son visage. Tous trois coururent vers la balançoire. Mais ce fut Pauline qui s'assit sur la planchette.
– Poussez-moi, dit-elle aux enfants.
Ils la poussèrent de toute la force de leurs petites mains. Seulement, Elle était lourde, ils la remuaient à peine.
– Poussez donc! répétait-elle. Oh! les grosses bêtes, ils ne savent pas.
Dans le pavillon, madame Deberle venait d'avoir un léger frisson. Elle trouvait qu'il ne faisait pas chaud, malgré ce beau soleil. Et elle avait prié Malignon de lui passer un burnous de cachemire blanc, accroché à une espagnolette. Malignon s'était levé pour lui poser le burnous sur les épaules. Tous deux causaient familièrement de choses qui intéressaient fort peu Hélène. Aussi cette dernière, inquiète, craignant que Pauline, sans le vouloir, ne renversât les enfants, alla-t-elle dans le jardin, laissant Juliette et le jeune homme discuter une mode de chapeaux qui les passionnait.
Dès que Jeanne vit sa mère, elle s'approcha d'elle, d'un air câlin, avec une supplication dans toute sa personne.
– Oh! maman, murmura-t-elle; oh! maman…
– Non, non, répondit Hélène, qui comprit très-bien. Tu sais qu'on te l'a défendu.
Jeanne adorait se balancer. Il lui semblait qu'elle devenait un oiseau, disait-elle. Ce vent qui lui soufflait au visage, cette brusque envolée, ce va-et-vient continu, rythmé comme un coup d'aile, lui causait l'émotion délicieuse d'un départ pour les nuages. Elle croyait s'en aller là-haut. Seulement, cela finissait toujours mal. Une fois, on l'avait trouvée cramponnée aux cordes de la balançoire, évanouie, les yeux grands ouverts, pleins de l'effarement du vide. Une autre fois, elle était tombée, raidie comme une hirondelle frappée d'un grain de plomb.
– Oh! maman, continuait-elle, rien qu'un peu, un tout petit peu.
Sa mère, pour avoir la paix, l'assit enfin sur la planchette. L'enfant rayonnait, avec une expression dévote, un léger tremblement de jouissance qui agitait ses poignets nus. Et, comme Hélène la balançait très-doucement:
– Plus fort, plus fort, murmurait-elle.
Mais Hélène ne l'écoutait pas. Elle ne quittait point la corde. Et elle s'animait elle-même, les joues roses, toute vibrante des poussées qu'elle imprimait à la planchette. Sa gravité habituelle se fondait dans une sorte de camaraderie avec sa fille.
– C'est assez, déclara-t-elle, en enlevant Jeanne entre ses bras.
– Alors, balance-toi, je t'en prie, balance-toi, dit l'enfant, qui était restée pendue à son cou.
Elle avait la passion de voir sa mère s'envoler, comme elle le disait, prenant plus de joie encore à la regarder qu'à se balancer elle-même. Mais celle-ci lui demanda en riant qui la pousserait; quand elle jouait, elle, c'était sérieux: elle montait par-dessus les arbres. Juste à ce moment; M. Rambaud parut, conduit par la concierge. Il avait rencontré madame Deberle chez Hélène, et il avait cru pouvoir se présenter, en ne trouvant pas cette dernière à son appartement. Madame Deberle se montra très-aimable, touchée par la bonhomie du digne homme. Puis, elle s'enfonça de nouveau dans un entretien très-vif avec Malignon.
– Bon ami va te pousser! bon ami va te pousser! criait Jeanne en sautant autour de sa mère.
– Veux-tu te taire! nous ne sommes pas chez nous, dit Hélène, qui affecta un air de sévérité.
– Mon Dieu! murmura M. Rambaud, si cela vous amuse,