OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09. Guy de Maupassant

OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09 - Guy de Maupassant


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autour, je m’approche, et jamais je ne découvre la phrase nécessaire. Une seule fois j’ai fait une tentative de conversation. Comme je voyais de la façon la plus évidente qu’on attendait mes ouvertures, et comme il fallait absolument dire quelque chose, je balbutiai: «Vous allez bien, madame?» Elle me rit au nez, et je me suis sauvé.»

      Je promis à Paul d’employer toute mon adresse pour amener une conversation, et, lorsque nous eûmes repris nos places, je demandai gracieusement à notre voisine: «Est-ce que la fumée de tabac vous gêne? madame.»

      Elle répondit: «Non capisco.»

      C’était une Italienne! Une folle envie de rire me saisit. Paul ne sachant pas un mot de cette langue, je devais lui servir d’interprète. J’allais commencer mon rôle. Je prononçai, alors, en italien.

      — Je vous demandais, madame, si la fumée du tabac vous gêne le moins du monde?

      Elle me jeta d’un air furieux: «Che mi fa!»

      Elle n’avait pas tourné la tête ni levé les yeux sur moi, et je demeurai fort perplexe, ne sachant si je devais prendre ce «qu’est-ce que ça me fait?» pour une autorisation, pour un refus, pour une vraie marque d’indifférence ou pour un simple: «Laissez-moi tranquille.»

      Je repris: «Madame, si l’odeur vous gêne le moins du monde...?»

      Elle répondit alors: «mica» avec une intonation qui équivalait à: «Fichez-moi la paix!» C’était cependant une permission, et je dis à Paul: «Tu peux fumer.» Il me regardait avec ces yeux étonnés qu’on a quand on cherche à comprendre des gens qui parlent devant vous une langue étrangère. Et il demanda d’un air tout à fait drôle:

      — Qu’est-ce que tu lui as dit?

      — Je lui ai demandé si nous pouvions fumer?

      — Elle ne sait donc pas le français?

      — Pas un mot.

      — Qu’a-t-elle répondu?

      — Qu’elle nous autorisait à faire tout ce qui nous plairait.

      Et j’allumai mon cigare.

      Paul reprit: «C’est tout ce qu’elle a dit?

      — Mon cher, si tu avais compté ses paroles, tu aurais remarqué qu’elle en a prononcé juste six, dont deux pour me faire comprendre qu’elle n’entendait pas le français. Il en reste donc quatre. Or, en quatre mots, on ne peut vraiment exprimer une quantité de choses.»

      Paul semblait tout à fait malheureux, désappointé, désorienté.

      Mais soudain l’Italienne me demanda de ce même ton mécontent qui lui paraissait naturel: «Savez-vous à quelle heure nous arriverons à Gênes?»

      Je répondis: «A onze heures du soir, madame?» Puis, après une minute de silence, je repris: «Nous allons également à Gênes, mon ami et moi, et si nous pouvions, pendant le trajet, vous être bons à quelque chose, croyez que nous en serions très heureux?»

      Comme elle ne répondait pas, j’insistai: «Vous êtes seule, et si vous aviez besoin de nos services...» Elle articula un nouveau «mica» si dur que je me tus brusquement.

      Paul demanda:

      — Qu’est-ce qu’elle a dit?

      — Elle a dit qu’elle te trouvait charmant.

      Mais il n’était pas en humeur de plaisanterie; et il me pria sèchement de ne point me moquer de lui. Alors, je traduisis et la question de la jeune femme et ma proposition galante si vertement repoussée.

      Il était vraiment agité comme un écureuil en cage. Il dit: «Si nous pouvions savoir à quel hôtel elle descend, nous irions au même. Tâche donc de l’interroger adroitement, de faire naître une nouvelle occasion de lui parler.»

      Ce n’était vraiment pas facile et je ne savais qu’inventer, désireux moi-même de faire connaissance avec cette personne difficile.

      On passa Nice, Monaco, Menton, et le train s’arrêta à la frontière pour la visite des bagages.

      Bien que j’aie en horreur les gens mal élevés qui déjeunent et dînent dans les wagons, j’allai acheter tout un chargement de provisions pour tenter un effort suprême sur la gourmandise de notre compagne. Je sentais bien que cette fille-là devait être, en temps ordinaire, d’abord aisé. Une contrariété quelconque la rendait irritable, mais il suffisait peut-être d’un rien, d’une envie éveillée, d’un mot, d’une offre bien faite pour la dérider, la décider et la conquérir.

      On repartit. Nous étions toujours seuls tous les trois. J’étalai mes vivres sur la banquette, je découpai le poulet, je disposai élégamment les tranches de jambon sur un papier, puis j’arrangeai avec soin tout près de la jeune femme notre dessert: fraises, prunes, cerises, gâteaux et sucreries.

      Quand elle vit que nous nous mettions à manger, elle tira à son tour d’un petit sac un morceau de chocolat et deux croissants et elle commença à croquer de ses belles dents aiguës le pain croustillant et la tablette.

      Paul me dit à demi-voix:

      — Invite-la donc?

      — C’est bien mon intention, mon cher, mais le début n’est pas facile.

      Cependant elle regardait parfois du côté de nos provisions et je sentis bien qu’elle aurait encore faim une fois finis ses deux croissants. Je la laissai donc terminer son dîner frugal. Puis je lui demandai:

      — Vous seriez tout à fait gracieuse, madame, si vous vouliez accepter un de ces fruits?

      Elle répondit encore: «mica!» mais d’une voix moins méchante que dans le jour, et j’insistai: «Alors, voulez-vous me permettre de vous offrir un peu de vin. Je vois que vous n’avez rien bu. C’est du vin de votre pays, du vin d’Italie, et puisque nous sommes maintenant chez vous, il nous serait fort agréable de voir une jolie bouche italienne accepter l’offre des Français, ses voisins.»

      Elle faisait «non» de la tête, doucement, avec la volonté de refuser, et avec le désir d’accepter, et elle prononça encore «mica» mais un «mica» presque poli. Je pris la petite bouteille vêtue de paille à la mode italienne; j’emplis un verre et je le lui présentai.

      — Buvez, lui dis-je, ce sera notre bienvenue dans votre patrie.

      Elle prit le verre d’un air mécontent et le vida d’un seul trait, en femme que la soif torture, puis elle me le rendit sans dire merci.

      Alors, je lui présentai les cerises: «Prenez, madame, je vous en prie. Vous voyez bien que vous nous faites grand plaisir.»

      Elle regardait de son coin tous les fruits étalés à côté d’elle et elle prononça si vite que j’avais grand’peine à entendre: «A me non piacciono ne le ciliegie ne le susine; amo soltanto le fragole.»

      — Qu’est-ce qu’elle dit? demanda Paul aussitôt.

      — Elle dit qu’elle n’aime ni les cerises ni les prunes, mais seulement les fraises.

      Et je posai sur ses genoux le journal plein de fraises des bois. Elle se mit aussitôt à les manger très vite, les saisissant du bout des doigts et les lançant, d’un peu loin, dans sa bouche qui s’ouvrait pour les recevoir d’une façon coquette et charmante.

      Quand elle eut achevé le petit tas rouge que nous avions vu en quelques minutes diminuer, fondre, disparaître sous le mouvement vif de ses mains, je lui demandai: «Et maintenant, qu’est-ce que je peux vous offrir?»

      Elle répondit: «Je veux bien un peu de poulet.»

      Et elle dévora certes la moitié de la volaille qu’elle dépeçait


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