Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron
pas de pleurs.
Laissez-les plutôt couler; il n'a pas pleuré au milieu des tortures, elles ne peuvent ici le déshonorer. Elles soulageront son cœur, – ce cœur trop sensible, – et je saurai essuyer ces larmes amères ou y joindre les miennes; je pourrais pleurer maintenant, mais je ne veux pas faire tant de plaisir au méchant qui nous contemple. Sortons. Doge! conduisez-nous.
La torche!
Oui, éclairez-nous comme dans une pompe funèbre, suivie par Lorédano, pleurant comme un avide héritier.
Mon fils! vous êtes faible: prenez cette main.
Hélas! faut-il que la jeunesse s'appuie sur les années! c'était moi qui devais être votre soutien.
Prenez mon bras.
Foscari! Foscari! ne le touchez pas; c'est un dard vénéneux. Signor, arrêtez! nous savons bien que si la main des vôtres devait nous sortir du gouffre où nous sommes plongés, vous vous garderiez bien de nous la présenter. Viens, Foscari! prends la main que l'autel a jointe à la tienne; elle n'a pu te sauver, elle te soutiendra du moins toujours.
FIN DU TROISIÈME ACTE.
ACTE IV
Avez-vous confiance dans un pareil projet?
Oui.
Sa vieillesse en sera bien affligée.
Dites plutôt qu'elle se trouvera heureuse d'être ainsi délivrée du fardeau de l'état.
Son cœur en sera brisé.
La vieillesse n'a plus de cœur à briser. Il a vu celui de son fils sur le point de l'être, et, si l'on excepte un éclair d'attendrissement, en le voyant dans son cachot, il n'a pas été ému.
Dans sa contenance, je l'avoue; mais quelquefois je l'ai vu en proie à un tel découragement intérieur, que le plus bruyant désespoir ne pouvait rien trouver à lui envier. Où est-il?
Dans ses appartemens, avec son fils, et toute la race des Foscari.
Ils se disent adieu.
Un dernier adieu, comme celui que le vieillard fera bientôt à la dignité de Doge.
Et quand le fils met-il à la voile?
Tout de suite, et quand ils en auront fini avec leurs longs adieux. Il est tems de les avertir.
Arrêtez! Voulez-vous encore abréger de pareils momens?
Ce n'est pas moi; nous avons des soins plus importans. Il faut que ce jour soit en même tems le dernier du règne du vieux Doge et le premier du dernier bannissement de son fils. Et voilà la vengeance.
À mes yeux trop cruelle.
Elle est trop douce. – Ce n'est pas même vie pour vie, cette loi de représailles admise dans tous les âges: ils me doivent encore la mort de mon père et de mon oncle.
Mais cette dette, le Doge ne l'a-t-il pas hautement niée?
Sans doute.
Et ce désaveu n'a-t-il pas ébranlé vos doutes?
Non.
Quoi qu'il en soit, si la déchéance doit être obtenue par notre influence réunie dans le conseil, il faut que ce soit avec toute la déférence due à ses cheveux blancs, à son rang et à ses services.
Avec toutes les cérémonies qu'il vous plaira, pourvu que la chose se fasse. Vous pouvez, je m'en soucie peu, lui députer le conseil, pour lui demander, les genoux en terre (comme Barberousse au pape), d'avoir l'extrême courtoisie d'abdiquer.
Et s'il ne veut pas?
Alors, nous en choisirons un autre, et nous annulerons son élection.
Mais les lois? -
Quelles lois? – Les Dix, voilà les lois; et s'ils n'existaient pas, je serais, dans cette circonstance, législateur.
À vos propres périls?
Ce n'est pas ici le cas, – vous dis-je; nous en avons le droit.
Mais déjà, à deux reprises, il a sollicité la permission de se retirer, et deux fois on la lui a refusée.
Excellente raison pour la lui accorder une troisième fois.
Sans qu'il le demande?
Pour lui prouver que ses premières instances ont fait impression. Si elles partaient du cœur, il nous devra des remerciemens: sinon, il est juste de punir son hypocrisie. Allons, ils ont eu le tems de se réunir, il faut les rejoindre; et sur ce point-là seulement, montrez une résolution inébranlable. Les argumens que j'ai préparés sont de nature à les ébranler et à renverser le vieillard. N'allez pas, avec vos scrupules ordinaires, et quand nous sommes sûrs de leurs dispositions et de leur volonté, nous arrêter au moment de la réussite.
Si j'étais sûr que la déchéance du père ne sera pas le prélude d'une persécution acharnée comme celle dont son fils est la victime, je vous appuierais sans hésiter.
Il n'a rien à craindre, vous dis-je; ses quatre-vingt-cinq ans continueront autant qu'il pourra les traîner: il ne s'agit que de son trône.
Les princes déposés ont rarement beaucoup de tems à vivre.
Plus rarement encore les octogénaires.
Pourquoi donc ne pas attendre quelques jours?
Parce que nous avons déjà bien assez attendu, et qu'il vit plus qu'il ne convient. Allons! rendons-nous au conseil!
Un ordre de nous rendre au conseil des Dix! quel en peut être le motif?
Les Dix seuls peuvent répondre: rarement ils manifestent leurs pensées d'avance. Nous sommes cités; – il suffit.
Il suffit pour eux, mais non pour nous; je voudrais savoir pourquoi.
En obéissant vous le saurez; autrement, vous n'en apprendrez pas moins pourquoi vous auriez dû obéir.
Je ne prétends pas m'opposer, mais-
Dans Venise, mais désigne un traître. Ne hasardez pas de mais, à moins que vous ne vouliez passer sur le pont que l'on repasse bien rarement.
Je me tais.
Pourquoi d'ailleurs cette agitation? – Les Dix invoquent, dans leurs délibérations, l'assistance de vingt-cinq patriciens; – vous êtes l'un de ceux qu'ils ont choisis, j'en suis un autre; et le choix, ou la chance qui nous réunit à une assemblée si auguste,