Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron
encore ma vie pour lui, comme je lui ai déjà sacrifié d'autres objets mille fois plus chers que la vie. Mais quant à ma dignité, – je la tiens de toute la république; quand la volonté générale sera consultée, alors je pourrai vous donner une réponse.
Celle que vous nous faites nous afflige, mais elle ne peut avoir le moindre poids.
Je suis prêt à tout; mais rien ne changera ma volonté, même pour un moment. Décrétez-ce qu'il vous plaira.
Voici donc la réponse que nous devons transmettre à ceux qui nous envoient?
Vous m'avez entendu.
Nous nous retirons respectueusement.
Monseigneur, la noble dame Marina demande une audience.
Mon tems est à elle.
Pardonnez, monseigneur, si je vous trouble; – peut-être souhaitiez-vous d'être seul?
Seul? Quand tout le monde se presserait autour de moi, je n'en resterai pas moins seul aujourd'hui et désormais. Mais nous avons des forces.
Oui, conservons-les pour les objets-Oh! mon cher Jacopo!
Ne te contrains pas! je n'ai pas de consolations à t'offrir.
Ah! s'il avait vécu dans une autre contrée; doué de tous les avantages, si chéri, si accompli, qui pouvait être plus heureux, plus envié que mon pauvre Foscari? Rien n'eût manqué à son bonheur et au mien; rien, s'il n'eût pas été de Venise.
Ou le fils d'un prince.
Oui; tout ce que les autres hommes souhaitent dans leur vanité ou dans leurs illusions de bonheur, tout, par une destinée étrange, lui est devenu fatal. La patrie, le peuple qui l'idolâtrait, le prince dont il était le fils aîné, et-
Le prince? il n'a plus long-tems à l'être.
Comment?
Ils m'ont ravi mon fils, maintenant ils songent à me ravir un anneau et un diadême trop long-tems portés. Ah! laissons-leur reprendre ces vains hochets!
Les tyrans! et dans un tel jour encore!
Ils n'en pouvaient choisir un plus favorable: une heure plus tôt j'y eusse été sensible.
Quoi! n'avez-vous pas de ressentiment? – Ô vengeance! mais hélas! celui qui vous eût protégé si lui-même l'avait été, mon cher Foscari, ne peut plus aider son père.
Il ne l'eût jamais aidé contre son pays, quand il aurait eu mille vies au lieu de celle-
Qu'ils lui arrachèrent dans les supplices. Vous appelez cela du patriotisme? Mais je suis femme; et mon mari, mes enfans, voilà ma patrie et mon bonheur. Je l'ai aimé, – je l'ai idolâtré! et je l'ai vu supporter des épreuves qui eussent glacé d'épouvante les plus intrépides martyrs. Il n'est plus; et moi, qui aurais voulu donner tout mon sang pour lui, je n'ai rien à lui donner que des larmes! Que ne puis-je espérer de le voir venger? – Mais j'ai des fils: un jour ils seront des hommes.
Le malheur vous égare.
Je croyais pouvoir le supporter quand je le voyais en proie à d'horribles tourmens; oui, je pensais que mieux eût valu le voir mort que victime d'une captivité plus longue: – je reçois la punition d'une pareille pensée. Que ne suis-je dans son tombeau!
Il faut que je le voie encore une fois.
Venez avec moi.
Est-il-
Son monument aujourd'hui est notre lit nuptial.
Mais est-il dans son linceul?
Viens, vieillard, viens!
Où est le Doge?
Il vient de se retirer à l'instant avec l'illustre dame, veuve de son fils.
Où?
Dans la chambre où le corps est déposé.
Il ne nous reste donc qu'à retourner.
Vous oubliez que vous ne le pouvez. Nous avons l'ordre implicite de la junte d'attendre qu'elle se présente ici, et de l'assister: elle ne tardera pas à arriver.
Et la junte se hâtera-t-elle de faire entendre au Doge sa réponse?
Elle exprime le vœu d'une grande célérité. Le Doge avait répondu vivement, il faut qu'on lui réplique de même. On a égard à sa dignité; on s'est occupé de son sort: – que peut-il désirer de plus?
De mourir dans ses vêtemens de Doge. Certes, il ne peut survivre long-tems encore; mais j'ai fait de mon mieux pour défendre son rang; et jusqu'à la fin j'ai combattu la proposition, bien que sans succès. Pourquoi me forcer ici à exprimer le vote de la majorité?
Il était important d'appeler à témoins quelques opinions différentes des nôtres, afin d'empêcher la calomnie d'insinuer qu'une majorité tyrannique redoutait pour ses actes l'assistance des autres.
Dites aussi, car je dois le croire, que vous avez voulu me faire rougir de l'inutilité de ma résistance. Lorédano! dans vos moyens de vengeance, vous êtes ingénieux, poétique même, un véritable Ovide dans l'art de haïr; c'est donc à vous-(car la haine porte un œil microscopique, même dans les objets secondaires) que je dois, pour mieux faire ressortir le zèle des autres, d'avoir été associé involontairement aux travaux de votre junte.
Comment! ma junte?
Oui, la vôtre! Ils parlent d'après vous, ourdissent vos trames, adoptent vos plans et exécutent votre ouvrage; ne sont-ils pas les vôtres?
Vous oubliez la prudence: – souhaitez qu'ils ne vous entendent pas.
Oh! viendra le jour qu'ils entendront des voix plus terribles que la mienne: ils ont outrepassé tous leurs excès; et quand on montre une telle audace dans les états les plus vils et les plus méprisés, l'humanité s'y relève encore pour les punir.
Vous parlez avec peu de sagesse.
C'est ce qu'il faudrait prouver. Mais voici nos collègues.
Lw Doge sait-il que nous désirons le voir?
On va le lui apprendre.
Le Doge est avec son fils.
S'il en est ainsi, nous remettrons l'affaire après la cérémonie. Sortons; nous avons encore jusqu'au soir assez de tems.
Que le feu de l'enfer dessèche ton indiscrète langue! Je l'arracherai de cette imprudente et sotte bouche, et je saurai bien ainsi vous ôter le pouvoir d'exprimer autre chose que des sanglots. (Haut, à ses