Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8. George Gordon Byron

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8 - George Gordon Byron


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encore ma vie pour lui, comme je lui ai déjà sacrifié d'autres objets mille fois plus chers que la vie. Mais quant à ma dignité, – je la tiens de toute la république; quand la volonté générale sera consultée, alors je pourrai vous donner une réponse.

LE CHEF DES DIX

      Celle que vous nous faites nous afflige, mais elle ne peut avoir le moindre poids.

LE DOGE

      Je suis prêt à tout; mais rien ne changera ma volonté, même pour un moment. Décrétez-ce qu'il vous plaira.

LE CHEF DES DIX

      Voici donc la réponse que nous devons transmettre à ceux qui nous envoient?

LE DOGE

      Vous m'avez entendu.

LE CHEF DES DIX

      Nous nous retirons respectueusement.

(La députation sort. – Un domestique entre.)LE DOMESTIQUE

      Monseigneur, la noble dame Marina demande une audience.

LE DOGE

      Mon tems est à elle.

(Entre Marina.)MARINA

      Pardonnez, monseigneur, si je vous trouble; – peut-être souhaitiez-vous d'être seul?

LE DOGE

      Seul? Quand tout le monde se presserait autour de moi, je n'en resterai pas moins seul aujourd'hui et désormais. Mais nous avons des forces.

MARINA

      Oui, conservons-les pour les objets-Oh! mon cher Jacopo!

LE DOGE

      Ne te contrains pas! je n'ai pas de consolations à t'offrir.

MARINA

      Ah! s'il avait vécu dans une autre contrée; doué de tous les avantages, si chéri, si accompli, qui pouvait être plus heureux, plus envié que mon pauvre Foscari? Rien n'eût manqué à son bonheur et au mien; rien, s'il n'eût pas été de Venise.

LE DOGE

      Ou le fils d'un prince.

MARINA

      Oui; tout ce que les autres hommes souhaitent dans leur vanité ou dans leurs illusions de bonheur, tout, par une destinée étrange, lui est devenu fatal. La patrie, le peuple qui l'idolâtrait, le prince dont il était le fils aîné, et-

LE DOGE

      Le prince? il n'a plus long-tems à l'être.

MARINA

      Comment?

LE DOGE

      Ils m'ont ravi mon fils, maintenant ils songent à me ravir un anneau et un diadême trop long-tems portés. Ah! laissons-leur reprendre ces vains hochets!

MARINA

      Les tyrans! et dans un tel jour encore!

LE DOGE

      Ils n'en pouvaient choisir un plus favorable: une heure plus tôt j'y eusse été sensible.

MARINA

      Quoi! n'avez-vous pas de ressentiment? – Ô vengeance! mais hélas! celui qui vous eût protégé si lui-même l'avait été, mon cher Foscari, ne peut plus aider son père.

LE DOGE

      Il ne l'eût jamais aidé contre son pays, quand il aurait eu mille vies au lieu de celle-

MARINA

      Qu'ils lui arrachèrent dans les supplices. Vous appelez cela du patriotisme? Mais je suis femme; et mon mari, mes enfans, voilà ma patrie et mon bonheur. Je l'ai aimé, – je l'ai idolâtré! et je l'ai vu supporter des épreuves qui eussent glacé d'épouvante les plus intrépides martyrs. Il n'est plus; et moi, qui aurais voulu donner tout mon sang pour lui, je n'ai rien à lui donner que des larmes! Que ne puis-je espérer de le voir venger? – Mais j'ai des fils: un jour ils seront des hommes.

LE DOGE

      Le malheur vous égare.

MARINA

      Je croyais pouvoir le supporter quand je le voyais en proie à d'horribles tourmens; oui, je pensais que mieux eût valu le voir mort que victime d'une captivité plus longue: – je reçois la punition d'une pareille pensée. Que ne suis-je dans son tombeau!

LE DOGE

      Il faut que je le voie encore une fois.

MARINA

      Venez avec moi.

LE DOGE

      Est-il-

MARINA

      Son monument aujourd'hui est notre lit nuptial.

LE DOGE

      Mais est-il dans son linceul?

MARINA

      Viens, vieillard, viens!

(Le Doge et Marina sortent. – Entrent Barbarigo et Lorédano.)BARBARIGO, à un domestique

      Où est le Doge?

LE DOMESTIQUE

      Il vient de se retirer à l'instant avec l'illustre dame, veuve de son fils.

LORÉDANO

      Où?

LE DOMESTIQUE

      Dans la chambre où le corps est déposé.

BARBARIGO

      Il ne nous reste donc qu'à retourner.

LORÉDANO

      Vous oubliez que vous ne le pouvez. Nous avons l'ordre implicite de la junte d'attendre qu'elle se présente ici, et de l'assister: elle ne tardera pas à arriver.

BARBARIGO

      Et la junte se hâtera-t-elle de faire entendre au Doge sa réponse?

LORÉDANO

      Elle exprime le vœu d'une grande célérité. Le Doge avait répondu vivement, il faut qu'on lui réplique de même. On a égard à sa dignité; on s'est occupé de son sort: – que peut-il désirer de plus?

BARBARIGO

      De mourir dans ses vêtemens de Doge. Certes, il ne peut survivre long-tems encore; mais j'ai fait de mon mieux pour défendre son rang; et jusqu'à la fin j'ai combattu la proposition, bien que sans succès. Pourquoi me forcer ici à exprimer le vote de la majorité?

LORÉDANO

      Il était important d'appeler à témoins quelques opinions différentes des nôtres, afin d'empêcher la calomnie d'insinuer qu'une majorité tyrannique redoutait pour ses actes l'assistance des autres.

BARBARIGO

      Dites aussi, car je dois le croire, que vous avez voulu me faire rougir de l'inutilité de ma résistance. Lorédano! dans vos moyens de vengeance, vous êtes ingénieux, poétique même, un véritable Ovide dans l'art de haïr; c'est donc à vous-(car la haine porte un œil microscopique, même dans les objets secondaires) que je dois, pour mieux faire ressortir le zèle des autres, d'avoir été associé involontairement aux travaux de votre junte.

LORÉDANO

      Comment! ma junte?

BARBARIGO

      Oui, la vôtre! Ils parlent d'après vous, ourdissent vos trames, adoptent vos plans et exécutent votre ouvrage; ne sont-ils pas les vôtres?

LORÉDANO

      Vous oubliez la prudence: – souhaitez qu'ils ne vous entendent pas.

BARBARIGO

      Oh! viendra le jour qu'ils entendront des voix plus terribles que la mienne: ils ont outrepassé tous leurs excès; et quand on montre une telle audace dans les états les plus vils et les plus méprisés, l'humanité s'y relève encore pour les punir.

LORÉDANO

      Vous parlez avec peu de sagesse.

BARBARIGO

      C'est ce qu'il faudrait prouver. Mais voici nos collègues.

(Entre la députation de la junte.)LE CHEF DES DIX

      Lw Doge sait-il que nous désirons le voir?

LE DOMESTIQUE

      On va le lui apprendre.

(Le domestique sort.)BARBARIGO

      Le Doge est avec son fils.

LE CHEF DES DIX

      S'il en est ainsi, nous remettrons l'affaire après la cérémonie. Sortons; nous avons encore jusqu'au soir assez de tems.

LORÉDANO, à part, à Barbarigo

      Que le feu de l'enfer dessèche ton indiscrète langue! Je l'arracherai de cette imprudente et sotte bouche, et je saurai bien ainsi vous ôter le pouvoir d'exprimer autre chose que des sanglots. (Haut, à ses


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